Distinctions justifiées par la liberté de culte

La Cour Constitutionnelle de Belgique, dans un arrêt 17/2009 du 12 février 2009, relatif à la loi du 10 mai 2007 « tendant à lutter contre certaines formes de discrimination » a pris d’importantes positions concernant la liberté de religion et les distinctions qui peuvent y être associées.

1. On lira notamment que « B.102.7 En ce qui concerne l’interdiction générale de discrimination, qui est en règle générale imposée au moyen de mesures civiles, il a déjà été dit qu’une différence de traitement fondée sur l’un des motifs mentionnés dans les lois attaquées peut en principe toujours être justifiée, soit sur la base de motifs de justification limités, spécifiques et précisés au préalable (plus précisément les « exigences professionnelles essentielles et déterminantes », la « mesure d’action positive » et la « distinction imposée par ou en vertu de la loi »), soit en vertu d’une « justification objective et raisonnable » qui n’est pas précisée et qui est laissée à l’appréciation finale du juge.

Il découle de la liberté d’opinion ainsi que de la liberté des cultes consacrées par les articles 19 et 21 de la Constitution que des exigences religieuses ou philosophiques

peuvent justifier, sous le contrôle du juge, qu’une distinction soit établie

  • sur la base d’une conviction religieuse ou philosophique,
  • ou sur la base d’un des autres motifs mentionnés dans les lois attaquées,

lorsque cette distinction doit être considérée

  • comme une « exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée au regard » de la conviction religieuse ou philosophique
  • ou comme une justification objective et raisonnable.

B.102.8. Enfin, il ressort du champ d’application des lois attaquées, exposé en B.2.1, qu’elles

  • ne sont pas applicables à des activités purement privées
  • et qu’elles ne peuvent pas davantage, compte tenu de l’article 21, alinéa 1er, de la Constitution, être considérées comme applicables à la nomination ou à l’installation des ministres d’un quelconque culte ».

 

2. On lira ensuite, dans un deuxième axe :  B.103.1. Dans le cas des activités professionnelles des organisations publiques et privées, dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique, une distinction directe fondée sur la conviction religieuse ou philosophique ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature des activités ou du contexte dans lequel celles-ci sont exercées, la conviction religieuse ou philosophique constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée au regard du fondement de l’organisation (article 13 de la loi générale anti-discrimination (1)). B.103.2. Cette disposition a été justifiée comme suit :« Cette règle a été reprise de la directive-cadre européenne. Elle instaure une règle particulière en matière d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes pour les organisations de tendance. Sur la base de cette règle, les organisations dont le fondement repose sur la religion ou la conviction peuvent également, à ce niveau, poser des exigences vis-à-vis des membres du personnel » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2720/009, p. 112).

En ce que les parties requérantes, par la deuxième branche du seizième moyen, critiquent le fait

  • qu’il ne soit pas prévu un motif de justification spécifique comparable pour les objecteurs de conscience individuels, il convient de rappeler que les objecteurs de conscience individuels peuvent invoquer les motifs généraux de justification contenus dans les lois attaquées et que, ainsi qu’il a été mentionné en B.102.7, des prescriptions religieuses ou philosophiques peuvent justifier qu’une distinction soit établie sur la base de la conviction religieuse ou philosophique, ou sur la base d’un autre motif mentionné dans les lois attaquées.Il n’existe donc pas de différence fondamentale entre les objecteurs de conscience individuels et les organisations publiques ou privées dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique. B.103.4. En ce que les parties requérantes critiquent ensuite le fait que le motif de justification de l’article 13 de la loi générale anti-discrimination
  • ne s’applique pas à d’autres activités que les activités professionnelles, il convient de constater que les organisations publiques ou privées dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique peuvent, en dehors de leurs activités professionnelles, également invoquer, sous le contrôle du juge, les motifs généraux de justification contenus dans les lois attaquées ainsi que des exigences religieuses ou philosophiques en vue de justifier une distinction qu’elles établissent, lorsque cette dernière est légitime et justifiée compte tenu du fondement de l’organisation ».

La Cour confirme ainsi clairement que l’exception visée à l’article 13 de la loi du 10 mai 2007 (1) en faveur des entreprises de tendance n’épuise nullement leur condition juridique au regard de la loi, mais se limite à les faire bénéficier, sans rupture d’égalité, d’une présomption légale de légitimité dans un cadre limité.

De façon plus décisive, la Cour confirme que les relations spécifiques des ministres du culte doivent être soustraites au champ d’application de la loi, à raison des garanties constitutionnelles d’autonomie des cultes.

On lira enfin, par ailleurs, que « A.80.2. Selon le Conseil des ministres, les lois attaquées ne s’appliquent pas aux cérémonies religieuses. En effet, elles ne tombent pas dans le champ d’application de « l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services à la disposition du public », ni de « l’accès et la participation et tout autre exercice d’une activité économique, sociale, culturelle ou politique accessible au public ». (…) S’il avait été dans l’intention du législateur d’introduire également une interdiction de discrimination dans le cadre des cérémonies religieuses, alors cette activité aurait été expressément mentionnée dans les lois attaquées. »

Dans d’autres considérants importants, la Cour aborde la question du statut constitutionnel et international des exceptions de conscience pour rappeler que « Les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées ne protègent toutefois pas tout acte inspiré par une religion ou une conviction et ne garantissent pas en toutes circonstances le droit de se comporter selon les prescriptions religieuses ou selon sa conviction » (…) Des restrictions peuvent être autorisées « pour autant qu’elles soient nécessaires, dans une société démocratique, entre autres, à l’ordre public ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (B.102.5).

 

(1) Art. 13. « Dans le cas des activités professionnelles des organisations publiques et privées, dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique, une distinction directe fondée sur la conviction religieuse ou philosophique ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature des activités ou du contexte dans lequel celles-ci sont exercées, la conviction religieuse ou philosophique constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée au regard du fondement de l’organisation.
Sur base de cette disposition, aucune autre distinction directe fondée sur un autre critère protégé ne peut être justifié, à moins qu’elle ne le soit en application d’une autre disposition du présent titre [=TITRE II couvrant les art. 7 et 8].
Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente loi ne porte pas préjudice au droit des organisations publiques ou privées dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation ».

Sur les mêmes thèmes, on renverra aussi aux arrêts de la Cour constitutionnelle de Belgique n° 39 et 40 du 11 mars 2009.



Religion et prison

Le Bulletin des Questions-Réponses de la Chambre des Représentants, B048 du 9 février 2009, publie une réponse du  Ministre de la Justice concernant les locaux où se pratiquent les cultes en prison, question posée par la Députée M. De Schampelaere.

« Question :   En vertu de l’article 73 de la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus du 12 janvier 2005, des aumôniers, des conseillers appartenant à un des cultes reconnus ainsi que des conseillers moraux ont le droit de recevoir les détenus dans un local adéquat qui leur permet de rencontrer ceux-ci dans une atmosphère confidentielle. Cependant, des manquements graves sont constatés sur ce plan. Par exemple, le « local adéquat » dont il est question doit être partagé avec des représentants d’autres obédiences. Dans certaines prisons, l’aumônier ne peut même pas utiliser la chapelle comme local adéquat pour un entretien confidentiel. Or tant pour un aumônier que pour un conseiller appartenant à un des cultes reconnus ou un conseiller moral, le fait de pouvoir disposer d’un local adéquat où les détenus peuvent s’exprimer librement dans une atmosphère intime est une condition sine qua non de l’exercice de leurs fonctions. 1. a) Avez-vous connaissance de ce problème ? b) Est-il prévu, dans le cadre des projets de nouvelles constructions et de rénovation, d’aménager un local adéquat où les représentants du culte ou de la philosophie du détenu pourront rencontrer celui-ci dans une atmosphère confidentielle (par exemple un bureau personnel) ? c) Dans la négative, envisagez-vous d’entreprendre des démarches afin de répondre à ce besoin ? 2. En vertu de l’article 74, § 4 de la loi de principes précitée, un local adéquat doit être prévu dans chaque prison pour les activites communes qui s’inscrivent dans le cadre du droit du détenu de vivre et de pratiquer librement sa religion ou sa philosophie. Ces activités peuvent être organisées dans la chapelle de la prison. Il arrive qu’on tente de prédestiner certains locaux servant actuellement au culte catholique en faisant en sorte qu’ils remplissent désormais la fonction de « zones de silence » ou de « locaux multi-confessionnels ». Mais une autre « école » préconise d’organiser les activités cultuelles dans la salle polyvalente de l’établissement pénitentiaire. Toutefois, dans ce genre de salles polyvalentes, il est très malaisé de garantir une atmosphère sacrée compte tenu du fait que d’autres activités communes peuvent y être organisées. a) Sera-t-il prévu de ménager dans les projets de nouvelles constructions et de rénovation un local adéquat où pourront être organisées des activités communes qui s’inscrivent dans le cadre du droit du détenu de vivre librement sa religion ou sa philosophie, ou sera-t-il seulement prévu d’aménager une salle polyvalente ? b) Si seule une salle polyvalente est aménagée, envisagerez-vous d’entreprendre des démarches afin de remédier à ce problème ?

Réponse     1. Dans la philosophie de la loi de principes, la pratique du culte par les détenus est considérée comme une activité essentielle. Il importe dès lors que toutes les conditions soient réunies pour pouvoir faciliter l’exercice de ce droit et, par conséquent, la tâche des aumôniers et des conseillers moraux. Etant donné que dans certains cas des difficultés ont effectivement été constatées quant aux conditions de travail des aumôniers et des conseillers moraux dans certains établissements, le directeur général, après s’être concerté avec leurs représentants, a envoyé une note aux prisons demandant de prévoir un local réservé à leurs entretiens avec les détenus. A cet égard, il convient toutefois de tenir compte des possibilités en termes d’infrastructure de certains établissements qui doivent déjà faire preuve de créativité avec l’espace disponible. Dans les nouvelles prisons, un espace suffisant sera prévu pour les aumôniers et les conseillers moraux. 2. Dans la même note, il est également demandé de mettre à disposition un local pour la pratique commune des différents cultes. Ce local doit être aménagé de manière à permettre la pratique effective de ces cultes, dans une atmosphère empreinte de sérénité et de dignité. Ici également, il faut tenir compte des possibilités en matière d’infrastructure, qui empêchent souvent la mise à disposition d’un local séparé. Dans les nouvelles prisons, il sera prévu un local spécifiquement dédié à la pratique commune des différents cultes ».

La diversité croissante des appartenances confessionnelles des détenus, et notamment de cultes minoritaires, complique progressivement la pratique de la liberté religieuse en prison, tant pour les détenus que pour la liberté d’accès des aumôniers et conseillers. Diversités et minorités riment aussi avec un renforcement des limitations de sécurité, notamment par un contrôle plus ferme des contacts prosélytes. Faudrait-il par exemple — et à supposer que oui, comment — chercher à distinguer des pratiques sincères et des usages stratégiques ou intéressés ? Peut-on, autre exemple, interdire la pratique simultanée de plusieurs cultes ? Jusqu’où accepter les pratiques motivées par une conviction ? Comment en sens inverse faire une pesée légitime avec une pratique de la liberté religieuse qui présente elle-aussi des effets indirects socialement utiles, en termes de dignité des personnes ou de réintégration sociale ?

Le respect des droits fondamentaux en prison, y compris en matière religieuse, suscite sans surprise une littérature et une jurisprudence internationale de plus en plus importante (1).

(1) V. par exemple, James A. BECKFORD, Danièle JOLY et Farhad KHOSROKHAVAR, Les musulmans en prison en Grande-Bretagne et en France, Presses universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2007.



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