Les « assises », la loi, le juge et les écoles

A la suite, entre autres, des controverses liées au port du foulard islamique, un nouveau dispositif s’inspirant des modèles de démocratie participative a été lancé en Belgique en septembre 2009 et qui devrait s’achever entre avril et septembre 2010. Il prend la relève d’une ancienne Commission du dialogue interculturelle, fondée davantage sur le modèle de l’expertise, et dont les conclusions, peut-être trop peu manichéennes, n’avaient pas eu de suite.

Le site web du nouveau processus le décrit comme suit  « Lors de la conclusion de l’accord du gouvernement fédéral du 18  mars 2008, il a été prévu de lancer des « Assises de l’Interculturalité ». L’accord de gouvernement précise, en effet, que « Dans le cadre du développement d’une société ouverte et tolérante, le gouvernement favorisera le respect de nos valeurs démocratiques communes et organisera des « Assises de l’Interculturalité » composées de l’ensemble des représentants concernés et chargées de formuler des recommandations au gouvernement en vue de renforcer la réussite d’une société basée sur la diversité, le respect des spécificités culturelles, la non-discrimination, l’insertion et le partage des valeurs communes. »

Au moment où se lance ce nouveau processus de construction d’une raison publique ouverte (1), différents méthodes semblent s’affronter comme autant de voies concurrentes : celle de la loi, qui devrait, selon certains, donner des injonctions rapides et sans d’inutiles débats sociaux (2) ; celle du juge, chargé de trancher des contentieux en cours, mais auquel certains reprochent le mutisme ou l’indécision (3); enfin celle du « terrain », lieu de l’action et de l’expérience locale, dont certains affirment qu’il a déjà tranché les débats (4) : laissées à leur « libre choix », les écoles publiques auraient été amenées à opter à 90 % pour la prohibition du foulard et des signes convictionnels ostentatoires.

La question n’est plus ici de savoir s’il existe ou non des modèles plus ou moins homogènes de gestion de la neutralité (en gros, par espace commun vide, par espace commun plein, ou par une diversité d’espaces). La question est de savoir par quel modèle d’interaction publique ces choix seront construits. La méthode compte sans doute autant que le résultat pour en assurer l’équité et la stabilité.

On reproche aux Assises de durer, on conteste l’utopisme des « experts », on critique le juge pour la complication inaudible de sa jurisprudence – du moins telle que rapportée par la presse, on soupçonne le législateur de croire qu’une société se transforme « par injonction », on estime que laisser à chaque école le poids des décisions devient impraticable, tout en affirmant que la solution majoritaire du « terrain » ne doit plus qu’être adoubée par la loi.

Sans doute y -a-t-il des effets de leurre dans les controverses qui se déploient, sorte de voyage à la Potemkine inversé. Sans doute, après vingt ans de débats et de tentatives, le droit et la jurisprudence ont-ils effectivement épuisé leurs arguments au fond pour ne plus avoir que des balises de formes. On rejoint sur ces deux points les positions d’Emmanuel Bribosia et Isabelle Rorive, dans une carte blanche au Journal Le Soir.

Mais précisément, porter le regard sur la variété des méthodes demeure une nécessité au moment où l’on est tenté de céder à l’argument de l’urgence du fond. Les irrecevabilités récemment opposées par de nouvelles décisions du Conseil d’Etat sont argumentées en droit. Telle est leur force symbolique; telle est leur faiblesse sociologique. La Cour européenne des droits de l’homme a quant à elle clairement indiqué par des arrêts du 30 juin 2009 qu’elle ne se prononcerait plus sur ces questions, laissées désormais à l’appréciation de chaque politique nationale.

Quelle voie « politique » alors ? Trois sont en lice : les classiques démocratie représentative —  qui décide sur un rapport de force électif (caricaturalement : « certains y parlent et y décident »), démocratie directe — par diverses formes de comptage populaire (« tous décident mais sans se parler »), démocratie participative — par diverses formes d’argumentation libre (« tous argumentent mais sans décider »). Et le « terrain » ? Toute prétention normative y achoppe. C’est le statut du « terrain » qui semble le plus piégé ou en tout cas le plus ambigu : est-il une simple cible pour une injonction légale ? est-il un lieu d’argumentation ? est-il un lieu d’expertise ? est-il un lieu d’expérimentation ? est-il un lieu de décision ?

C’est dans ses différentes facettes que le terrain doit être interrogé, chaque fois avec des conditions et des balises spécifiques.

A titre d’illustration, on voudrait ici souligner le paralogisme d’un argument fondé sur la proportion élevée d’écoles qui ont finalement décider de prohiber le foulard. S’il convenait d’y voir une contrainte pour le législateur, il faudrait rouvrir les débats sur les risques de démagogie sociale de la démocratie directe. Par ailleurs, il conviendrait de vérifier si ces règlements scolaires se sont eux mêmes constitués dans le respect des principes démocratiques des droits de la défense et de la participation effective des intéressés (audiatur et altera pars). Mais plus fondamentalement, ne peut-on observer que l’impraticabilité imputée au système de l’autonomie des établissements provient  du jeu de concentration qui découle de prohibitions en cascade, davantage que de la liberté réglementaire comme telle ? Une diminution des prohibitions locales conduirait tout autant à de meilleures répartitions et à des intégrations plus aisées d’une certaine diversité réelle.

Tout n’est pas encore dit sur l’argument du « terrain » ni sur l’enchevêtrement des diverses formes et procédures de débat, mais en tout cas suffisamment pour qu’on interroge avec attention leur portée et les conditions de leur légitimité respective.

 

 



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