Conseil d’Etat et enquête sur les cultes 2 juin
Le Conseil d’Etat, dans un avis n° 49285/AG donné le 23 avril 2011 relatif à une proposition de loi n°53/1214/1, évalue la constitutionnalité d’un « critère objectif de répartition du budget finançant les cultes et la laïcité », en l’occurrence une répartition proportionnelle aux résultats d’une « enquête quinquennale auprès de la population ». On n’examine pas ici l’ensemble des considérations de l’avis, mais seulement son coeur : la modification des techniques d’objectivation.
Le Conseil d’Etat rappelle d’abord le système d’objectivation en vigueur, qui est fonction du nombre de communautés locales reconnues progressivement au cours du temps : « L’élément essentiel pour l’établissement du budget fédéral reste, d’une part, le nombre de ministres des cultes reconnus effectivement en place, tel que communiqué dans la demande de prise en charge annuelle introduite par chacun des cultes, de même que le nombre de postes de délégués des organisations non-confessionnelles effectivement occupés au sein du cadre organique fixé par arrêté royal. En règle, ce nombre de ministres des cultes reconnus ne peut pas dépasser le cadre théorique prévu pour ces ministres pour chaque culte reconnu: ce cadre théorique est lui-même fonction tant de la situation héritée du passé, à savoir la prise en compte du nombre d’arrêtés royaux qui, au 1er janvier 2002, avaient reconnu des “communautés locales” et fixé le nombre des ministres des cultes y attachés 22, que des nouvelles “communautés locales” qui, depuis le 1er janvier 2002, ont été ou seront, à l’avenir, reconnues par application du système mis en place par l’accord de coopération du 2 juillet 2008 précité. Les moyens budgétaires sont, ensuite, calculés chaque année, en affectant à chacun des postes occupés le traitement qui lui est attaché par la loi du 2 août 1974 précitée ».
Ce système peut-il être remplacé par une répartition proportionnelle aux résultats d’une enquête auprès de la population ? Le Conseil d’Etat observe qu’il faut déduire de l’article 181 de la Constitution, que le législateur budgétaire fédéral ne peut pas fixer d’une manière discrétionnaire les sommes qui doivent être portées au budget. Cet article impose en effet au législateur budgétaire de porter annuellement au budget les sommes qui sont “nécessaires” aux “traitements et pensions des ministres des cultes” (§ 1er), d’une part, et aux “traitements et pensions des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle” (§ 2), d’autre part.
Pour le Conseil d’Etat ce n’est donc pas en soi l »objectivité » de la répartition qui est exigée par la Constitution, mais bien la « nécessité » d’assurer budgétairement les traitements et les pensions des ministres et délégués reconnus. L’enquête ne peut dès lors pas avoir d’effet direct sur la « nécessité » visée à l’art. 181. Or, pour le Conseil d’Etat, on ne peut pas exclure que, ce système restant inchangé, [la proposition de loi] puisse en fin de compte, après application de la clé de répartition visée dans la proposition de loi, avoir pour effet que ne soient plus admissibles au financement par l’État les traitements de certains “ministres des cultes” et “délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle”, qui ont effectivement été pris en considération pour l’établissement du cadre et subséquemment pour la fixation des sommes inscrites au budget. Une telle conséquence ne se concilierait pas avec l’article 181 de la Constitution, car dans ce cas les traitements des ministres et délégués précités ne seraient pas totalement à la charge de l’État. »
En définitive, ce n’est pas la technique d’enquête en soi qui est en cause, mais le fait de son incidence directe sur le budget, plutôt qu’un effet d’adaptation progressif du cadre des ministres et délégués. Le Conseil d’Etat suggère alors que : » la seule solution qui se situerait dans la ligne de l’objectif poursuivi par la proposition à l’examen et qui permettrait d’éviter une éventuelle violation de l’article 181 de la Constitution, à la suite d’une nouvelle répartition des sommes portées annuellement au budget de l’État fédéral afin de prendre en compte les résultats d’une enquête quinquennale telle que prévue par l’article 3, serait de réduire tant le cadre théorique que le taux d’occupation effectif prévu pour ledit culte reconnu. Ceci impliquerait, donc, une modification du système actuel de prise en charge par l’État fédéral des traitements des ministres des cultes et des délégués ».
La formule du Conseil d’Etat est prudente : elle invite l’enquête à produire des effets sur le cadre et non directement sur le budget, mais elle atténue également la nature de cet effet : c’est une « prise en compte » qui est évoquée.
En conséquence, le Conseil d’Etat estime qu’il conviendrait de prévoir des « mécanismes de lissage », délais intermédiaires et mesures transitoires, pour qu’une adaptation du cadre puisse être préalable à la fluctuation des budgets afférents.
Et de conclure, que » sous réserve de ce qui a été exposé dans les observations générales (nos 13 et s.) quant à la nécessité pour les auteurs de la proposition de loi de s’assurer que le mécanisme mis en place ne risque pas de conduire à une violation de l’article 181 de la Constitution, le choix du nouveau critère de financement des cultes ou des mouvements philosophiques reconnus, à savoir la présence qu’occupe chacun de ceux-ci dans la population belge, relève de l’appréciation du législateur et apparaît, en soi, comme un critère objectif. Même si l’existence d’une telle justification dans les travaux préparatoires d’une norme législative n’est pas, en soi, requise par la Cour constitutionnelle, il ne serait toutefois pas inutile que la pertinence et la proportionnalité du critère ainsi retenu par rapport à l’objectif poursuivi soient mieux mises en évidence lors des travaux préparatoires. Il conviendrait également de mieux encadrer dans la loi l’habilitation conférée au Roi d’organiser l’enquête prévue à cet égard, en indiquant plus clairement dans la loi l’objectif poursuivi par l’enquête, l’objet précis de celle-ci et les éléments de son contenu destinés à éviter toute ingérence dans le droit à la protection de la vie privée et des convictions des personnes appelées à participer à cette enquête ».