Des cultes classés ? 26 septembre
Le 20 septembre 2011, une proposition de décret n° 453/1 a été déposée au Parlement wallon par les Député(e)s Simonis et Senesael, visant à modifier « le Code wallon de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Énergie en vue de réaliser un cadastre des monuments classés affectés à l’exercice d’un culte ». La proposition souligne la part importante des églises catholiques au sein du patrimoine classé : 588 églises et chapelles sur 2800 biens classés, pour un soutien financier spécifique de 4,75 millions d’euro sur un budget total de 39 millions. Le coût budgétaire de ce patrimoine religieux, quoiqu’il ne représente que de 12 % du total pour 21 % du patrimoine classé, conduit la proposition à s’interroger sur l’usage réel de ces édifices. Le déclin de la pratique religieuse ne devrait-il pas permettre d’envisager certains types de réaffectations ou d’affectations mixtes, en concertation avec les autorités religieuses ? Pour instruire ce processus, il conviendrait toutefois préalablement de « réaliser un cadastre des monuments classés affectés à l’exercice d’un culte en Région wallonne afin de disposer d’une photographie de la situation existante et d’une base objective nécessaire à toute décision raisonnée tant en termes de restauration que de réaffectation ». Il s’agit non seulement de critères d’état de conservation mais aussi de pouvoir quantifier « la fréquentation moyenne, du nombre d’offices et des périodes d’ouverture au public ».
Dans un rapport récent au Ministre de la Justice, un Groupe de travail universitaire a lui-même et plus globalement admis l’utilité pour une bonne gouvernance d’une meilleure appréhension des besoins sociaux dans le cadre du financement des cultes ou des organisations philosophiques. Le même rapport souligne toutefois, avec divers experts sociologues, que se borner au calcul d’un taux de fréquentation moyenne simplifierait erronément la réalité. Ce « calcul » ne pourrait qu’être intégré à des analyses multifactorielles (appartenance, méta-usages, consultation etc.) par ailleurs ouvertes à une concertation ex-ante avec les divers intéressés.
D’autres points préalables font question. Il importe ainsi que la protection de la vie privée — des individus comme des communautés qu’ils composent — soit également assurée par des dispositifs spécifiques. Et plus encore, ce processus d’évaluation ne peut lui-même s’ériger en politique de discrimination indirecte. Sans doute, le critère du patrimoine classé met-il en avant une proportion élevée d’églises catholiques. On pourra toutefois s’interroger sur la pertinence de soumettre la gestion publique de l’exercice de la liberté de culte et de conscience à un classement de type patrimonial qui distinguerait, d’une part, entre les pratiquants selon que le bâtiment est classé ou non, mais aussi entre les cultes (soumis à évaluation) et les organisations philosophiques (non soumises). Différentes maisons du peuple ou de la laïcité sont ou pourraient être des bâtiments classés, et appeler le même genre d’analyse. En l’état du dispositif, une nouvelle catégorie de cultes apparaitrait, « classés ou non ».
En supposant acquise une technique d’évaluation adéquate, se pose ensuite la question des conséquences à en tirer, en termes, selon la proposition, de restauration ou de réaffectation totale ou partielle.
Comme l’indique la proposition elle-même, la nature de la propriété du bien est importante. A supposer qu’une concertation avec les autorités confessionnelles conduisent à une désaffectation totale, le propriétaire du bien retrouve ses pleins droits, sous réserve des contraintes de classement. Or, effectivement, la propriété des édifices du culte peut varier. Seules les églises les plus anciennes appartiennent aux communes. Les églises postérieures à l’époque révolutionnaire auront souvent l’établissement public « fabrique d’église » pour propriétaire. Le bien ne fait pas alors retour aux pouvoirs publics communaux. Enfin, il existe un certain nombre d’édifices qui sont des propriétés privées (d’asbl ou de particuliers), avec ou sans fabrique d’église. Toute concertation sur l’affectation dépendra évidemment de telles données.
Enfin, on voudrait souligner qu’à défaut pour le « taux de fréquentation » de déboucher mécaniquement sur un dilemme binaire entre affectation et réaffectation, l’idée de multi-affectation, bien dans la ligne de nos sociétés post-modernes, devrait émerger. Il s’agirait d’un des laboratoires importants de gestion du pluralisme, non pas seulement dans le cadre de bâtiments, mais d’une façon plus générale pour le soutien de nouvelles formes intégrées et ouvertes des styles de vie : une diversité positive des lieux de conscience plutôt qu’une neutralité par le vide, soit, à terme, et selon un lexique patrimonial, plutôt que l’aliénation ou la démolition ?
Voy. un débat sur la RTBF, Forum de midi du 16 septembre 2011