Des cultes classés ?

Le 20 septembre 2011, une proposition de décret n° 453/1 a été déposée au Parlement wallon par les Député(e)s Simonis et Senesael, visant à modifier « le Code wallon de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Énergie en vue de réaliser un cadastre des monuments classés affectés à l’exercice d’un culte ». La proposition souligne la part importante des églises catholiques au sein du patrimoine classé : 588 églises et chapelles sur 2800 biens classés, pour un soutien financier spécifique de 4,75 millions d’euro sur un budget total de 39 millions. Le coût budgétaire de ce patrimoine religieux, quoiqu’il ne représente que de 12 % du total pour 21 % du patrimoine classé, conduit la proposition  à s’interroger sur l’usage réel de ces édifices. Le déclin de la pratique religieuse ne devrait-il pas permettre d’envisager certains types de réaffectations ou d’affectations mixtes, en concertation avec les autorités religieuses ? Pour instruire ce processus, il conviendrait toutefois préalablement de « réaliser un cadastre des monuments classés affectés à l’exercice d’un culte en Région wallonne afin de disposer d’une photographie de la situation existante et d’une base objective nécessaire à toute décision raisonnée tant en termes de restauration que de réaffectation ». Il s’agit non seulement de critères d’état de conservation mais aussi de pouvoir quantifier « la fréquentation moyenne, du nombre d’offices et des périodes d’ouverture au public ».

Dans un rapport récent au Ministre de la Justice, un Groupe de travail universitaire a lui-même et plus globalement admis l’utilité pour une bonne gouvernance d’une meilleure appréhension des besoins sociaux dans le cadre du financement des cultes ou des organisations philosophiques. Le même rapport souligne toutefois, avec divers experts sociologues, que se borner au calcul d’un taux de fréquentation moyenne simplifierait erronément la réalité. Ce « calcul » ne pourrait qu’être intégré à des analyses multifactorielles (appartenance, méta-usages, consultation etc.) par ailleurs ouvertes à une concertation ex-ante avec les divers intéressés.

D’autres points préalables font question. Il importe ainsi que la protection de la vie privée — des individus comme des communautés qu’ils composent — soit également  assurée par des dispositifs spécifiques. Et plus encore, ce processus d’évaluation ne peut lui-même s’ériger en politique de discrimination indirecte. Sans doute, le critère du patrimoine classé met-il en avant une proportion élevée d’églises catholiques. On pourra toutefois s’interroger sur la pertinence de soumettre la gestion publique de l’exercice de la liberté de culte et de conscience à un classement de type patrimonial qui distinguerait, d’une part, entre les pratiquants selon que le bâtiment est classé ou non, mais aussi entre les cultes (soumis à évaluation) et les organisations philosophiques (non soumises). Différentes maisons du peuple ou de la laïcité sont ou pourraient être des bâtiments classés, et appeler le même genre d’analyse. En l’état du dispositif, une nouvelle catégorie de cultes apparaitrait, « classés ou non ».

En supposant acquise une technique d’évaluation adéquate, se pose ensuite la question des conséquences à en tirer, en termes, selon la proposition, de restauration ou de réaffectation totale ou partielle.

Comme l’indique la proposition elle-même, la nature de la propriété du bien est importante. A supposer qu’une concertation avec les autorités confessionnelles conduisent à une désaffectation totale, le propriétaire du bien retrouve ses pleins droits, sous réserve des contraintes de classement. Or, effectivement, la propriété des édifices du culte peut varier. Seules les églises les plus anciennes appartiennent aux communes. Les églises postérieures à l’époque révolutionnaire auront souvent l’établissement public « fabrique d’église » pour propriétaire. Le bien ne fait pas alors retour aux pouvoirs publics communaux. Enfin, il existe un certain nombre d’édifices qui sont des propriétés privées (d’asbl ou de particuliers), avec ou sans fabrique d’église. Toute concertation sur l’affectation dépendra évidemment de telles données. 

Enfin, on voudrait souligner qu’à défaut pour le « taux de fréquentation » de déboucher mécaniquement sur un dilemme binaire entre affectation et réaffectation, l’idée de multi-affectation, bien dans la ligne de nos sociétés post-modernes, devrait émerger. Il s’agirait d’un des laboratoires importants de gestion du pluralisme, non pas seulement dans le cadre de bâtiments, mais d’une façon plus générale pour le soutien de nouvelles formes intégrées et ouvertes des styles de vie : une diversité positive des lieux de conscience plutôt qu’une neutralité par le vide, soit, à terme, et selon un lexique patrimonial, plutôt que l’aliénation ou la démolition ?

 

Voy. un débat sur la RTBF, Forum de midi du 16 septembre 2011



Burqa et loi facialement neutre

La loi du 1er juin 2011 « visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage » (M.B. du 13 juillet 2011), insère un article art. 563bis au Code pénal belge : « Seront punis d’une amende de quinze euros à vingt-cinq euros et d’un emprisonnement d’un jour à sept jours ou d’une de ces peines seulement, ceux qui, sauf dispositions légales contraires, se présentent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables. Toutefois, ne sont pas visés par l’alinéa 1er, ceux qui circulent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables et ce, en vertu de règlements de travail ou d’une ordonnance de police à l’occasion de manifestations festives. » Cette loi s’inscrit dans le sillage d’une loi française du 11 octobre 2010 d’objet analogue, dont la presse étrangère a largement rendu compte, sous l’appellation de lois anti-burqa, puisque telle est bien leur cause avouée. La loi française « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public »  édicte pour sa part que :  » Art. 1. Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. Article 2  I. ― Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. II. ― L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. Article 3. La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné (…) peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.

 

L’étendue spatiale de la loi française est plus large que celle de la loi belge : elle inclut ainsi des lieux qui bien que non ouverts au public seraient affectés à un service public. En revanche, elle prévoit des exceptions plus larges : une ordonnance de police spécifique n’est pas nécessaire; il suffit que la tenue s’inscrive dans le cadre de pratiques festives, mais aussi sportives, artistiques ou traditionnelles. En visant explicitement l’exception de la « tradition », la loi française laisse davantage transparaître ce que dissimule sa portée facialement neutre : une distinction entre les usages dominants et les autres.  Tant l’argument de la « déshumanisation » qui a été prêtée au port de certains vêtements intégraux que l’argument sécuritaire selon lequel les réseaux de caméras de surveillance deviendraient inefficaces, semblent alors se confirmer comme culturellement orientés. La « dissimulation du visage »  suppose une définition autochtone de l’apparence normale. Le port du casque de moto, une fois mis pied à terre, le port de la cagoule et/ou de la barbe et/ou de larges lunettes solaires pourront  plus aisément être considérés admissibles que des tenues exogènes. La protection de la dignité humaine et de la sécurité publique appellent certainement une vigilance démocratique, mais celle-ci devrait moins dévoiler son rejet du pluralisme. La référence française à la « tradition » dissimule en effet mal son vrai visage : celui d’une querelle culturelle (*). Convient-il de laisser entendre aux forces de l’ordre ou aux tribunaux, qu’en deçà de la généralité formelle de la loi, une contextualisation identitaire relèverait de leur discernement ?

 

La Cour constitutionnelle de Belgique aura en tout cas à se prononcer bientôt sur le nouveau texte belge, et à vérifier si l’absence de référence à la « tradition » dans le texte belge, suffit pour assurer la conformité de la loi aux droits fondamentaux. 

 

 

 

(*) Les exemples peuvent être aisément multipliés. Ainsi, dans l’actualité récente, les règlements scolaires prohibant les piercings mais autorisant les boucles d’oreille « traditionnelles » semblent eux-aussi mal cacher leurs a-priori. 

 

 

 

 



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