Burqa et loi facialement neutre

La loi du 1er juin 2011 « visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage » (M.B. du 13 juillet 2011), insère un article art. 563bis au Code pénal belge : « Seront punis d’une amende de quinze euros à vingt-cinq euros et d’un emprisonnement d’un jour à sept jours ou d’une de ces peines seulement, ceux qui, sauf dispositions légales contraires, se présentent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables. Toutefois, ne sont pas visés par l’alinéa 1er, ceux qui circulent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables et ce, en vertu de règlements de travail ou d’une ordonnance de police à l’occasion de manifestations festives. » Cette loi s’inscrit dans le sillage d’une loi française du 11 octobre 2010 d’objet analogue, dont la presse étrangère a largement rendu compte, sous l’appellation de lois anti-burqa, puisque telle est bien leur cause avouée. La loi française « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public »  édicte pour sa part que :  » Art. 1. Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. Article 2  I. ― Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. II. ― L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. Article 3. La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné (…) peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.

 

L’étendue spatiale de la loi française est plus large que celle de la loi belge : elle inclut ainsi des lieux qui bien que non ouverts au public seraient affectés à un service public. En revanche, elle prévoit des exceptions plus larges : une ordonnance de police spécifique n’est pas nécessaire; il suffit que la tenue s’inscrive dans le cadre de pratiques festives, mais aussi sportives, artistiques ou traditionnelles. En visant explicitement l’exception de la « tradition », la loi française laisse davantage transparaître ce que dissimule sa portée facialement neutre : une distinction entre les usages dominants et les autres.  Tant l’argument de la « déshumanisation » qui a été prêtée au port de certains vêtements intégraux que l’argument sécuritaire selon lequel les réseaux de caméras de surveillance deviendraient inefficaces, semblent alors se confirmer comme culturellement orientés. La « dissimulation du visage »  suppose une définition autochtone de l’apparence normale. Le port du casque de moto, une fois mis pied à terre, le port de la cagoule et/ou de la barbe et/ou de larges lunettes solaires pourront  plus aisément être considérés admissibles que des tenues exogènes. La protection de la dignité humaine et de la sécurité publique appellent certainement une vigilance démocratique, mais celle-ci devrait moins dévoiler son rejet du pluralisme. La référence française à la « tradition » dissimule en effet mal son vrai visage : celui d’une querelle culturelle (*). Convient-il de laisser entendre aux forces de l’ordre ou aux tribunaux, qu’en deçà de la généralité formelle de la loi, une contextualisation identitaire relèverait de leur discernement ?

 

La Cour constitutionnelle de Belgique aura en tout cas à se prononcer bientôt sur le nouveau texte belge, et à vérifier si l’absence de référence à la « tradition » dans le texte belge, suffit pour assurer la conformité de la loi aux droits fondamentaux. 

 

 

 

(*) Les exemples peuvent être aisément multipliés. Ainsi, dans l’actualité récente, les règlements scolaires prohibant les piercings mais autorisant les boucles d’oreille « traditionnelles » semblent eux-aussi mal cacher leurs a-priori. 

 

 

 

 



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