Expression et ‘représentation’ des cultes

Dans une question parlementaire du 14 mars 2012 (CRABV 53 COM 432), le Député B. Schoofs interroge la Ministre de la Justice sur le silence de l’Exécutif des Musulmans de Belgique relatif à une agression homophobe lors d’une fête.  « Qu’en pense la ministre? L’Exécutif des Musulmans n’est-il pas subventionné pour prendre position sur toute question de société qui concerne des musulmans? Ne lui incombe-t-il pas dès lors de condamner de vive voix les actes de violence commis par des musulmans contre des homosexuels? Sinon, quelle est l’utilité de cet Exécutif? »

La réponse de la Ministre A. Turtelboom est la suivante : « L’Exécutif des Musulmans reçoit des subsides pour gérer les budgets du culte islamique. La Constitution stipule que le ministre de la Justice ne peut donner d’injonctions à l’Exécutif des Musulmans ni déterminer la manière dont cet Exécutif doit intervenir dans des questions de société. Si un membre de l’Exécutif des Musulmans ou l’Exécutif lui-même commet des faits punissables, je me tournerai vers les autorités judiciaires. L’Exécutif des Musulmans, qui est avant tout un organisme cultuel, doit déterminer lui-même la façon dont il remplit sa mission et décider s’il intervient ou non dans un débat portant sur une question de société. Cela vaut pour tous les cultes et toutes les tendances philosophiques reconnues ».

La Ministre s’inscrit ainsi dans l’axe constitutionnel déjà rappelé par ses prédécesseurs. Ainsi, dans une question parlementaire du 18 novembre 2009 (CRABV 52 COM 705), le Député Denis Ducarme avait pris position sur le rôle selon lui très limité de l’Exécutif des musulmans :  « Le récent communiqué de presse de l’Exécutif des musulmans de Belgique concernant le port de signes religieux ostensibles au sein des écoles en  Flandre m’incite, sans entrer dans la question de fond, à rappeler que l’Exécutif des musulmans de Belgique est seulement compétent en matière de  gestion du temporel du culte, et n’est pas un organe de représentation politique. Il est subventionné par l’État fédéral pour exercer des fonctions strictement  liées à la gestion temporelle du culte et aux missions administratives s’y rapportant ».

La réponse du Ministre de la Justice contredisait déjà la position restrictive évoquée par la question parlementaire : « Les missions reprises dans le rapport au Roi, jointes à l’arrêté royal du 3 mai 1999 portant reconnaissance de l’Exécutif des musulmans de  Belgique, ne sont pas limitatives. Si cet organe doit assurer en premier lieu la gestion temporelle du culte musulman, cela ne l’empêche pas de bénéficier de la liberté d’expression et de pouvoir  adopter des points de vue, même si les organes représentatifs doivent faire preuve d’une certaine réserve. En raison des principes de séparation de l’Église et de l’État, je ne peux donner de directives à l’Exécutif des musulmans sur des sujets sur lesquels il  souhaite s’exprimer. Et je ne peux certainement pas le faire a priori. Ce qui précède ne s’oppose nullement à un jugement de valeur de ma part  concernant la communication faite par l’Exécutif. »

La question est celle de l’étendue de la représentation des cultes au regard des pouvoirs publics, du moins pour les « organes » que l’Etat a contribué à façonner ou auxquels il a concédé certaines fonctions ou compétences. Concernant l’Exécutif des musulmans, la situation est particulièrement complexe en raison de l’absence de hiérarchie religieuse dans l’Islam sunnite. 

Le Rapport au Roi précédant l’Arrêté royal du 3 mai 1999 énonce à propos de l’Exécutif :  »
Cet organe représentatif sera à l’avenir l’interlocuteur des autorités, tant au niveau fédéral, en ce qui concerne le temporel des cultes (nomination des imams et des aumôniers et gestion administrative des communautés locales) qu’au niveau des communautés, notamment pour l’enseignement (programmes, inspections et désignation des professeurs de religion) ».

L’octroi de certaines compétences au regard du droit belge conduit-il à priver de liberté d’expression (ou d’autres champs de représentativité) les organes représentatifs des cultes ?

La référence à une « certaine réserve », faite par le Ministre en 2009, est importante : cette réserve constitue pour le Ministre le lieu d’équilibre entre les fonctions « étatiques » de l’Exécutif des musulmans et les diverses autres facettes de représentativité que ce dernier peut acquérir par ailleurs.  Quel est toutefois la portée de cette « certaine réserve » ?

On pourra la supposer  moins exigeante que celui qui pèse sur un fonctionnaire public — que ne sont pas les membres de l’Exécutif. Mais plus encore, est-ce bien de « réserve » qu’il s’agit ? La position des organes représentatifs des cultes au regard de l’Etat suppose une forme de « confiance globale » sur laquelle peut se construire l’équilibre entre séparation des pouvoirs et régime de cultes reconnus.  C’est cette confiance globale qui doit être préservée, sorte de loyauté propre au régime des cultes reconnus. Telle est la portée spécifique que l’on devrait donner à une notion ici très particulière de « devoir de réserve ».

Certains pourraient aussi discuter le « devoir de réserve » non comme trop exigeant, mais comme trop faible. On sait que la ministre de la Justice Laurette Onkelinkx a rappelé au Parlement l’existence de l’article 268 du Code pénal qui énonce que  » Seront punis d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six francs à cinq cents francs, les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ». On doutera toutefois de l’applicabilité de ce texte au regard de sa formule : un organe représentatif est-il en tant que tel un « ministre du culte dans l’exercice de son ministère » ? Le principe d’interprétation stricte du droit pénal conduit à en douter. Sans doute le législateur du XIXe siècle n’avait-il pas imaginé les formes actuelles de ‘représentation’ (hybride ?) des cultes.

Le Ministre de la Justice est encore revenu sur ces questions dans le Rapport au Roi précédant l’Arrêté Royal du 30 décembre 2009 (relatif à l’Exécutif des musulmans de Belgique) (M.B. 12 janvier 2010): « (…) une certaine confusion règne à propos du rôle de l’Exécutif lui-même, bien qu’à cet égard, la liste non exhaustive de tâches dressée dans le Rapport au Roi de l’arrêté royal du 3 mai 1999 portant reconnaissance de l’Exécutif des Musulmans de Belgique soit indicative. 
L’Exécutif des Musulmans de Belgique est l’Organe-Chef du culte islamique, chargé de la gestion du temporel du culte islamique, et cette mission doit être définie de façon plutôt restrictive (reconnaissance de mosquées, désignation d’imams et d’aumôniers, contrôle des comptes et des budgets des comités institués au niveau des communautés locales).
 L’Exécutif au sens d’un organe représentatif du culte islamique n’est pas l’organe représentatif de l’ensemble de la communauté musulmane de Belgique dans tous ses domaines, à laquelle sont liés de nombreux aspects non religieux. (…) »



Vers une réforme du régime des cultes

Le 1er févier 2011, un rapport sur la réforme de la législation sur les cultes et les organisations philosophiques non confessionnelle, assuré à la demande du Gouvernement par un Groupe de travail interuniversitaire co-présidé par les Prof. Louis-Léon Christians (UCL) et Michel Magits (VUB) (Arrêté royal du 13 mai 2009) était présenté à la Commission de la Justice de la Chambre des Représentants. Le rapport du Groupe est disponible sur le site du SPF Justice et ici. Le Rapport de la Commission de la Justice n° 53/1502, du 25 mai 2011 est ici.

fichier pdf RapportChristiansMagitsCultes  fichier pdf 53k1502001

Le 7 mars 2012, à une question parlementaire du Député O. Destrebecq (n°9957), la Ministre de la Justice a précisé le suivi non prioritaire de ce dossier (CRIV 53 COM 418).

Annemie Turtelboom, ministre: « L’accord du gouvernement prévoit qu’un débat relatif à la reconnaissance des cultes doit être ouvert. C’est dans ce cadre que diverses propositions pourront être examinées. Comme vous l’indiquez, le système belge du financement des cultes que nous connaissons à l’heure actuelle est le résultat d’un développement de plus de deux siècles. Bien qu’au début le Concordat était à la base, on doit constater que des philosophies non confessionnelles, comme la laïcité, sont également entrées dans ce système et qu’il ne se limite donc plus qu’aux cultes. Ce financement ne concerne d’ailleurs pas seulement le traitement des ministres des cultes reconnus mais aussi les interventions communales, provinciales, régionales, communautaires, qui forment un tout. J’ai bien la volonté de lancer ce débat, chez nous, au cours de cette législature mais j’accorde entièrement la priorité, dans les premiers mois de mon mandat, à la réforme de la justice que le pays attend depuis si longtemps. Je vous rappelle d’ailleurs que l’article 181 de la Constitution n’est pas soumis à révision et que, de toute façon, le travail fondamental, s’il s’avère nécessaire, devra se faire dans une prochaine législature ».



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