L’aveu de non neutralité

La presse a récemment estimé qu’un certain consensus existait entre trois constitutionnalistes pour appeler à un retrait des cours de religion et de morale, de l’école publique. Il est étonnant d’imaginer que la simple opinion universitaire pourrait attester de « la péremption » de la Constitution belge. A mieux regarder, on découvre d’ailleurs qu’un seul point semble faire convergence : le fait que les cours de religion/morale ne doivent pas nécessairement, au titre de la Constitution, avoir une durée de deux heures par semaine. Pour le reste, les travaux préparatoires de l’article 24 de la Constitution attestent bien du caractère nécessairement obligatoire de ces enseignements pour les élèves. Que la Constitution l’ait confirmé en 1988 après 30 ans de pratique, et que cette norme constitutionnelle se soit maintenue depuis 25 nouvelles années semblent un critère d’usage plus sûr qu’un oracle universitaire, tout méritant qu’il serait.

Evoquer une mutation en Flandre pour soutenir la nature devenue facultative de ces cours est erroné. L’exception par dérogation purement individuelle que la Flandre a mis en place n’ôte nullement aux cours leur caractère obligatoire, mais vise à donner une réponse ponctuelle à des décisions du Conseil d’Etat, chambre flamande, actant à la demande notamment de parents Témoins de Jéhovah qu’en Flandre le cours de morale n’est pas neutre, et ne peut dès lors plus tenir lieu de cours subsidiaire. La section francophone du Conseil d’Etat a en son temps pris une décision inverse, et a affirmé le caractère neutre du cours de morale : aucune exemption n’a donc été nécessaire en Communauté française.

On apprend aussi que le cours de morale non confessionnelle aurait changé dans l’espace francophone et serait désormais engagé et non neutre. Comment expliquer cette soudaine révélation ? Sans doute deux conceptions de la laïcité s’y opposent-elles en arrière-plan. Mais une question s’impose alors: y aurait-il eu violation de la loi dans le chef des cours de morale non confessionnelle, notamment depuis 1993 ? Pourquoi cet aveu deviendrait-il subitement un argument déterminant pour priver l’école publique d’une expérimentation réelle du pluralisme du sens ?

Il ne nous appartient pas de soutenir qu’une réforme ne serait pas souhaitable. Il ne s’agit pas non plus de nier l’intérêt d’un questionnement en philosophie et en sciences des religions, ni de contester l’évolution de nos sociétés. Il s’agit simplement d’en appeler à deux choses : sur le plan démocratique, que l’on ait à cœur de faire respecter les règles de révision de la Constitution, plutôt qu’à les contourner ; sur le plan de la quête de sens, que l’on ne renforce pas la perte de repères qui frappe nos sociétés.

L’Etat ne peut imposer une philosophie particulière de la vie, mais sa responsabilité serait engagée s’il en venait à se désintéresser de la quête de sens et à promouvoir l’abandon des jeunes aux simples forces du marché et de la rue. Soutenir le questionnement sur le sens de la vie à travers les variétés de réponses présentes dans la société, ne peut se limiter à un pure approche encyclopédique sur les traditions et folklores, ni à un simple exercice d’une philosophie réputée neutre et dont on risquerait d’apprendre, rétrospectivement — comme aujourd’hui —, qu’elle ne l’a jamais été.

Pour que la démocratisation du pouvoir ne conduise pas à la totalisation du sens, il ne peut exister d’approche unique de la diversité : savoirs critiques et intelligence des questions de sens doivent eux-mêmes être pensés ensemble et diversement.

Il n’y a ni péremption de la Constitution, ni encore moins péremption des pédagogies de quêtes de sens. L’ouverture ne se trouve pas dans l’abandon, mais dans les paroles réellement données.

Louis-Leon Christians

Directeur de la filière juridique du master en sciences des religions (UCL)

Dans une interview réalisée par P. Bouillon, publiée par le journal Le Soir du 17 avril 2013, « La ministre Simonet veut restaurer un cours de morale réellement neutre ». Pour la Ministre, « Le cours de morale, selon (l)es juristes (auditionnés au Parlement), n’est plus neutre. Il est devenu un cours de morale laïque, engagé. En soi, ce n’est pas dérangeant. Mais il y a un vide juridique – le cours de morale non confessionnelle n’est plus assuré. Le Conseil d’Etat avait déjà rendu un avis en ce sens.» La ministre estime qu’il faut restaurer un «vrai cours de morale neutre». Il n’entraînerait pas la disparition du cours de morale laïque. Les deux coexisteraient. L’idée supposerait donc un peu d’engagement – «Il faudrait voir la demande.» Le cours réellement neutre pourrait alors se fonder plutôt sur un « tronc commun » entre les divers cours convictionnels, c’est-à-dire une neutralité inclusive plutôt qu’exclusive.



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