Culte, performances énergétique et légistique

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Cultes et performance énergétique

La lutte contre le gaspillage énergétique fait l’objet de législations régionales nombreuses et diversifiées, qui se multiplient — laborieusement — pour assurer un objectif commun. Chaque réglementation présente ses spécificités, plus ou moins grandes, en fonction de compromis politiques ou de contextes économiques réputés différents. Toutes ces normes délimitent toutefois leur champ d’application en l’assortissant de listes d’exceptions et de catégories de dérogation. Parmi les domaines exclus des exigences de certifications énergétiques figurent, à travers les diverses Régions, les activités cultuelles. Certes ces dernières n’ont pas le monopole des régimes dérogatoires : bâtiments industriels et agricoles, bâtiments de petite surface, centres funéraires font aussi l’objet d’exceptions diverses à travers les droits régionaux. L’exception cultuelle est toutefois souvent énoncée en tête de liste, comme par exemple dans le Décret wallon du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments (M.B. 27 décembre 2013), ou  dans l’ Ordonnance du 2 mai 2013 portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Energie (M.B. 21 mai 2013)… Priorité donnée à l’Homme sur les contingences matérielles et productives ? Priorité de droit constitutionnel liée à l’autonomie des cultes et philosophies ? Simple pollution légistique ?

La jurisprudence montre souvent combien les règles d’urbanisme, de sécurité et de performances énergétiques donnent aisément prétextes à des limitations de l’autonomie des cultes. Toutes ne sont pas justifiées par les objectifs formellement invoqués. La vigilance du Conseil d’Etat (de Belgique comme de France) est régulièrement sollicitée pour évaluer des contentieux de ce type, avec des résultats fort variés. Mais en l’occurrence, dans les législations régionales consacrées aux performances énergétiques, ce n’est pas l’autonomie des cultes qui semble au cœur de la dérogation accordée, même en tête de liste. C’est davantage le fait que les lieux de culte sont rarement occupés de façon massive et permanente et souvent chauffés de façon parcimonieuse, ou encore qu’ils présentent des caractéristiques esthétiques à préserver : ils rejoignent ainsi aisément la ratio legis qui fonde les autres exceptions.

En revanche, ce qui frappera le juriste tient à la qualification très variable entre Régions des activités spirituelles exemptées. La qualité légistique des textes présente de ce point de vue deux faiblesses : d’une part une limite intrinsèque, liée à des imprécisions de droit constitutionnel, d’autre part extrinsèque, au plan du droit interfédéral, lorsque l’on observe une variation dépourvue de justification, qui aboutit à des disparités étonnantes et à des incertitudes graves d’une Région à une autre.

  • La Région de Bruxelles (2013) exempte les « locaux affectés à des lieux de culte reconnus et à la morale laïque ».
  • La Région Flamande (2009) prévoit des adaptations pour les « bâtiments servant de lieux de culte et utilisés pour des activités religieuses ».
  • La Région wallonne (2013) exempte des exigences PEB « les unités servant de lieu de culte et utilisées pour des activités religieuses ainsi qu’aux unités servant à offrir une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle, dans la mesure où l’application de certaines exigences minimales en matière de performance énergétique est de nature à influencer leur caractère ou leur apparence de manière incompatible avec l’usage du lieu ».

 

Cultes et performance légistique

La variation de la nomenclature pourrait avoir des conséquences indéniables, mais il n’est pas certain qu’elles aient été aperçues.

Seule la Région de Bruxelles semble restreindre ses exemptions à des organisations reconnues, visant explicitement les « lieux de culte reconnus » et à la « morale Laïque ». On observera toutefois d’une part que le pluriel de l’adjectif « reconnus » s’applique au substantif pluriel « lieux » et non au substantif singulier « culte » . Que serait toutefois un lieu « reconnu », concept étranger au régime des cultes ? Par ailleurs, la syntaxe de la disposition conduirait à exclure cette réserve à l’égard de la morale laïque (comp. toutefois en néerlandais, « de lokalen gebruikt als erkende plaatsen voor erediensten en zedenleer« ). On penchera pour une référence maladroite aux régimes de reconnaissance des cultes et organisations philosophiques non confessionnelles. Un second point appelle une critique légistique, déjà dénoncée par la section législation du Conseil d’Etat en d’autres occasions : mettre sur un même pied la référence abstraite et générale à des « cultes reconnus » et une référence individuelle à la « morale laïque » n’est pas correct. Outre qu’une telle référence spécifique à la « morale laïque » est de facto erronée, il convenait d’adopter un qualificatif d’abstraction analogue, et viser « les organisations philosophiques non confessionnelles reconnues ». A défaut, que faire lorsque la procédure de reconnaissance du Bouddhisme se finalisera ? Exclure les temples bouddhiques de l’exemption de performance énergétique ?

La Région flamande exonère quant à elle les « lieux de cultes utilisés pour des activités religieuses ». Cette formule est plus restreinte, et pourquoi pas discriminatoire, dans la mesure où elle n’inclut pas les organisations philosophiques non confessionnelles. Elle n’inclut pas non plus tous les lieux de culte, mais seulement ceux qui sont réellement utilisés pour des activités religieuses, ce que ne précisaient pas les Ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale.  Mais par ailleurs, la formule est plus large, dans la mesure où elle ne restreint pas la dérogation aux bénéficiaires d’un régime de reconnaissance : c’est bien l’ensemble des lieux de culte, reconnu ou non, qui est exempté, dès lors qu’une activité religieuse s’y déploie.

Quant à la Région wallonne, dans son décret du 28 novembre 2013, elle utilise deux formules différentes d’exemption (art. 10 et art. 36), mais qui ont en commun de viser les unités de « lieu de culte et utilisées pour des activités religieuses ainsi qu’aux unités servant à offrir une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ». On saluera la référence abstraite visant aussi bien l’ensemble des cultes que des organisations philosophiques non confessionnelle, selon le vocabulaire adopté par l’art. 181 de la Constitution. L’avant-projet limitait l’exemption aux seuls cultes reconnus. L’avis de la Section de législation du Conseil d’Etat (Avis n° 53.763 du 9 septembre 2013) a critiqué l’absence de justification de l’utilisation du critère de la reconnaissance (°). Plutôt que de fournir une telle justification, le législateur wallon a préféré ouvrir l’exemption aussi bien aux cultes et OPNC en général, qu’à des cultes et organisations non reconnues, même contestées. Le nouveau commentaire parlementaire de l’article 10 revu, laisse toutefois planer de nouvelles incertitudes. On y annonce en effet un traitement partiellement différent de l’exemption accordées aux cultes (et OPNC ?) non reconnus : « Il est encore précisé que les bâtiments remarquables des cultes non reconnus peuvent bénéficier de l’exception aux exigences s’ils sont classés« .  La ratio legis de ces conditions spécifiques n’est pas explicitées par le législateur, qui demeure ainsi en porte-à-faux avec l’avis du Conseil d’Etat.

Enfin, en son article 10, le décret wallon prévoit une condition complémentaire, à savoir « dans la mesure où l’application de certaines exigences minimales en matière de performance énergétique est de nature à influencer leur caractère ou leur apparence de manière incompatible avec l’usage du lieu ». Cette condition est d’usage récurrent dans le droit wallon. Elle assure une référence qui n’est pas seulement liée à l’esthétique du lieu (le caractère ou l’apparence), mais plus précisément à la « compatibilité d’usage ». On y verra une référence, certes factuelle, à l’autonomie des cultes et philosophies reconnues par la Constitution. Une exigence administrative ou technique n’emporte pas en soi, par sa neutralité apparente, une limitation admissible aux droits constitutionnels. En l’occurrence, le législateur régional explicite lui-même la balance qu’il y a lieu de faire pour trouver « une mesure » entre les contraintes de performance énergétique et le libre exercice de l’usage rituel.

Louis-Léon Christians

Annexe : les textes

28 NOVEMBRE 2013. – Décret wallon relatif à la performance énergétique des bâtiments (M.B. 27 décembre 2013)
(…) Art. 10. Par exception à l’article 9, les exigences PEB ne sont pas applicables :
1° aux unités PEB servant de lieu de <culte> et utilisées pour des activités religieuses ainsi qu’aux unités PEB servant à offrir une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle, dans la mesure où l’application de certaines exigences minimales en matière de performance <énergétique> est de nature à influencer leur caractère ou leur apparence de manière incompatible avec l’usage du lieu;
2° dans la mesure où l’application de certaines exigences minimales en matière de performance <énergétique> est de nature à modifier leur caractère ou leur apparence de manière incompatible avec les objectifs poursuivis par les mesures de protection visées, aux unités PEB comprises :
a) dans un bâtiment repris à l’article 185, alinéa 2, a. et b., du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie, qui est classé ou inscrit sur la liste de sauvegarde;
b) dans un bâtiment visé à l’inventaire du patrimoine visé à l’article 192 du même Code;
c) dans un bâtiment inscrit au titre de monument ou ensemble sur la liste visée à l’article 17 du décret de la Communauté germanophone du 23 juin 2008 relatif à la protection des monuments, du petit patrimoine, des ensembles et sites, ainsi qu’aux fouilles;
d) dans un bâtiment repris à l’inventaire du petit patrimoine et des autres bâtiments significatifs visé à l’article 19 du même décret; »;
3° aux unités industrielles, aux ateliers et aux unités agricoles non résidentielles, faibles consommateurs d’énergie dans des conditions normales d’exploitation;
4° aux constructions provisoires prévues pour une durée d’utilisation de deux ans ou moins;
5° aux bâtiments à construire d’une superficie utile totale inférieure à 50 m2;
6° aux unités agricoles non résidentielles utilisées par des entreprises qui adhèrent à une convention environnementale sectorielle au sens des articles D.82 et suivants du Code de l’Environnement en matière de performance <énergétique>.
Le Gouvernement peut définir les modalités d’application du présent article.
(…)
Art. 36. Par exception aux articles 34 et 35, un certificat PEB n’est pas requis pour :
1° les unités PEB servant de lieu de <culte> et utilisées pour des activités religieuses ainsi que les unités PEB servant à offrir une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle;
2° les unités industrielles, les ateliers et les unités agricoles non résidentielles, faibles consommateurs d’énergie;
3° les bâtiments d’une superficie utile totale inférieure à 50 m2;
4° les unités agricoles non résidentielles utilisées par des entreprises qui adhèrent à une convention environnementale sectorielle au sens des articles D.82 et suivants du Code de l’Environnement en matière de performance <énergétique>.
Le Gouvernement peut définir les modalités d’application du présent article.
(…)

2 MAI 2013. – Ordonnance portant le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Energie (M.B. 21 mai 2013)
(…)
Section 1re. – Champ d’application
Article 2.2.1
Le présent chapitre s’applique à toutes les unités PEB d’un bâtiment dans lesquelles de l’énergie est utilisée pour réguler le climat intérieur, à l’exception :
1° des locaux affectés à des lieux de <culte> reconnus et à la morale laïque;
2° des locaux avec activités industrielles ou artisanales;
3° des ateliers, des locaux agricoles;
4° des centres funéraires;
5° des bâtiments indépendants d’une superficie inférieure à 50 m2 sauf s’ils contiennent une unité PEB affectée à une habitation individuelle;
6° des constructions provisoires autorisées pour une durée d’utilisation de deux ans ou moins;
7° des bâtiments résidentiels utilisés ou destinés à être utilisés moins de quatre mois par an et en dehors de la période hivernale.
(…)

8 MAI 2009. – Décret flamand portant les dispositions générales en matière de la politique de l’énergie (M.B. 7 juillet 2009)

(…) Article 11.1.4
Le Gouvernement flamand peut accorder des exemptions ou des dérogations aux exigences PEB qu’il impose :
1° lorsqu’il il s’agit de monuments ou de bâtiments protégés faisant partie intégrante d’un paysage, d’un site urbain ou rural protégés, ou de bâtiments repris dans l’inventaire du patrimoine architectural;
2° lorsqu’il s’agit de bâtiments servant de lieux de <culte> et utilisés pour des activités religieuses;
3° lorsque la collaboration d’un architecte n’est pas requise pour l’obtention de l’autorisation urbanistique;
4° lorsque le respect des exigences PEB n’est techniquement, fonctionnellement ou économiquement pas réalisable pour des bâtiments existants et des bâtiments neufs;
5° lorsqu’il s’agit de bâtiments industriels dans lesquels ont lieu des processus industriels qui génèrent de la chaleur, et pour lesquels il est nécessaire en conséquence de prévoir une ventilation forcée ou un refroidissement en vue d’un climat intérieur acceptable;
6° lorsqu’il s’agit de constructions provisoires;
7° lorsqu’il s’agit de bâtiments indépendants d’une superficie utile totale inférieure à 50 m2.
(…)

(°) Extraits de l’Avis du Conseil d’Etat,  n° 53.763 du 9 septembre 2013, Doc. Parl. Wallon, 2013-2014, 887/1 :

(Selon l’avant-projet) « La première exception ne s’appliqu(ait) qu’aux cultes reconnus par l’État fédéral, à savoir catholique romain, protestant, anglican, israélite, orthodoxe et musulman. Les deux éléments à savoir ‘servant de lieu de culte’ et ‘utilisés pour des activités religieuses’ sont à considérer cumulativement. Par exemple, dans complexe regroupant un espace utilisé pour les activités religieuses et des espaces autres (bibliothèque, classes, …), seul le lieu où sont effectuées les activités religieuses entre dans le champ de cette exception même si l’ensemble du complexe pourrait être qualifié de lieu de culte ».
Le Conseil d’État estime que, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l’article 19 de celle-ci, ainsi qu’au regard de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme combiné avec l’article 9 du même instrument (13), il y a lieu de justifier la différence de traitement ainsi réalisée entre les cultes existant en Belgique, selon qu’ils sont ou non reconnus par la loi fédérale. Pareille distinction de traitement n’est en toute hypothèse pas imposée par l’article 4, paragraphe 2, b, de la directive précitée.
La section de législation constate par ailleurs que le libellé des articles 10 et 36 de l’avant-projet, lus à la lumière du commentaire attenant à la première de ces dispositions, exclut que les unités PEB affectées aux activités convictionnelles des « organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle », au sens de l’article 181, §2, de la Constitution, puissent bénéficier de l’exemption d’application des exigences PEB. Cette nouvelle distinction de traitement, que n’impose pas davantage l’article 4, paragraphe 2, b, de la directive précitée (14), doit également être justifiée au regard des dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées, lues à la lumière des principes so



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