Abus sexuels en relation pastorale 2014

Abus sexuels en relation pastorale 2014 dans Abus commission_abus_eveques

Le Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuel a rendu public son deuxième rapport en mars 2014. Il vient d’être publié sur le site de la Chambre des Représentants et sur celui du centre.

On se limite ici à relever la chronologie de ce qui est devenu une crise en Belgique depuis le printemps 2010, et à fournir une bibliographie sélective sur le sujet.

Cette crise concerne certainement l’ampleur des révélations des cas d’abus, jusque là modérée à la différence d’autres pays comme les Etats-Unis ou l’Irlande. On estime aujourd’hui que 2 à 4 % du clergé en fonction depuis une soixantaine d’années devraient être statistiquement concernés. 96 à 98 % de ce clergé demeurant indemne de tels abus. Font cependant aussi controverse les modalités de réactions des autorités ecclésiastiques, quant au type de sanctions envers les abuseurs, quant au type de prise en compte des victimes et quant aux relations avec la justice civile. Prenant la succession d’une commission intra-ecclésiale (1999-2010), un Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuel a été crée à l’initiative conjointe de l’Eglise catholique et d’une Commission spéciale du Parlement belge, avec l’appui de la Fondation Roi Baudouin, en vue de reconnaître et d’indemniser les victimes d’infractions frappées par la prescription.

Chronologie d’une crise sur les abus sexuels par le clergé en Belgique

1998 – Procès en responsabilité civile sans faute contre l’Archevêque de Malines-Bruxelles et son évêque auxiliaire, attaqués au titre de commettants d’un prêtre abuseur. Par arrêt du 25 septembre 1998, la Cour d’appel de Bruxelles estime inapplicable l’article 1384 à ce type de relation religieuse. Un Evêque catholique n’est pas « commettant » de ses prêtres au sens du Code civil belge.

1999 – La Conférence épiscopale de Belgique met en place un téléphone vert et une « Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuel commis dans le cadre de relations pastorales ». Cette Commission interdisciplinaire et indépendante de l’Episcopat, a pour rôle de conseiller les autorités religieuses sur les suites à donner après vérification de la crédibilité de la plainte.

2001 – Le Saint-Siège édicte une nouvelle réglementation canonique sur le traitement des cas d’abus sexuels sur mineur par des prêtres – le délai de prescription est porté de cinq ans à dix ans, le point de départ n’étant plus la date de la commission du délit, mais la date de la majorité de la victime

1999-2009 – Une trentaine de cas, la plupart prescrits en droit belge, sont communiqués à la Commission interdiocésaine. Ces cas anciens et compliqués trouvent pour la plupart une issue. Certains dossiers demeurent en suspens. La Commission s’interroge sur son utilité. Son deuxième mandat s’achève par une démission collective.

Juin 2009 – mars 2010 – Un Groupe de travail prépare le renouvellement de la Commission. Un nouveau président est désigné, le Professeur Adriaenssens, pédopsychiatre à la KULeuven. De nouveaux collaborateurs bénévoles rallient la Commission nouvelle.

Avril 2010 – Démission de l’Evêque de Bruges, en aveu d’abus sexuels sur mineur, commis 24 ans auparavant sur un membre de sa famille — vive émotion populaire — la presse investigue et publie durant plusieurs semaines — le nouvel Archevêque de Malines-Bruxelles appelle les fidèles à faire connaître tout abus qu’ils auraient subis — plusieurs centaines de cas vont être portés à la connaissance de la Commission interdiocésaine nouvelle

Mai 2010 – Le Ministre belge de la Justice indique la nécessité d’une coopération avec les Parquets – Le Collège des Procureurs généraux délimite strictement les procédures d’interactions avec la Commission interdiocésaine

24 juin 2010 – Sur mandat d’un juge d’instruction, l’ensemble des dossiers en cours au sein de la Commission interdiocésaine sont saisis, ainsi que les ordinateurs de l’Archevêché.

29 juin 2010 - Démission du Président puis des membres  de la Commission interdiocésaine

Juillet 2010 – le président de la Commission interdiocésaine et l’ancien Archevêque de Malines-Bruxelles entendus par la Police judiciaire – nombreuses fuites de presse et démentis des autorités judiciaires

Juillet 2010 – le Saint-Siège édicte de nouvelles normes concernant les poursuites contre les abus sexuels du clergé – une enquête préliminaire prévoyant la notification à la justice civile – une procédure canonique accélérée et une prescription portée à 20 ans à partir de l’accession de la victime à la majorité

13 août 2010 – la Chambre des mises en accusation de Bruxelles invalide la saisie collective des dossiers de la Commission interdiocésaine, réalisée le 24 juin.

27 août 2010 – introduction d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Chambre des mises en accusation par un groupe de victimes

28 août 2010 – le Ministre de la Justice estime nécessaire la mise en place d’une nouvelle Commission interdiocésaine en vue d’assumer la restitution des dossiers invalidement saisis et de reprendre sa mission

31 août 2010 – ouverture d’une instruction judiciaire pour violation du secret de l’instruction judiciaire

10 septembre 2010 – le président de la Commission interdiocésaine démissionnaire rend public le rapport de la Commission comportant notamment les récits anonymisés de plus d’une centaine de victimes qui ont consenti à cette publication, diverses analyses statistiques et des recommandations.

13 septembre 2010 – la Conférence épiscopale annonce la mise sur pied d’une cellule de soutien aux victimes

17 septembre 2010 — la Commission de la Justice de la Chambre des Représentants interpelle le Ministre de la Justice. Diverses formes de commissions d’enquête sont discutées.

12 octobre 2010 — la Cour de cassation casse pour raison de procédure les décisions de la Chambre des mises en accusation annulant les perquisitions et renvoie l’affaire pour un nouveau jugement sur la validité des perquisitions.

20 octobre 2010 — la Conférence épiscopale renonce au projet d’un centre ecclésial spécifique pour l’aide aux victime  : « (…) Nous ne souhaitons pas la mise sur pied d’une nouvelle commission pour succéder à la précédente qui s’est vue contrainte de mettre un terme à ses travaux. Initialement, nous avions pensé créer un comité ou un centre où des personnes compétentes gèreraient ce problème au nom de l’Eglise. Mais cette éventualité a été abandonnée. Le bien-fondé de la plainte et les conséquences de ces faits, demeurent l’affaire du pouvoir judiciaire. En tant qu’Eglise, nous avons une responsabilité pastorale spécifique. En premier lieu, vis-à-vis des victimes. Elles seront entendues au niveau de chaque diocèse ou du supérieur majeur concerné ; leurs attentes seront prises en considération dans toute la mesure du possible. Il nous faut aussi prendre nos responsabilités vis-à-vis des auteurs conformément au droit canonique. Nous prenons actuellement des mesures disciplinaires et chaque dossier sera aussi transmis à Rome en attendant une mesure disciplinaire définitive (…). » (Voir le communiqué intégral sur www.catho.be)

28 octobre 2010 — Création par la Chambre des Représentants (Parlement belge) d’une « Commission spéciale relative au traitement des faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Eglise » (document)

19 novembre 2010 — Premier rapport parlementaire des auditions relatives à la Commission Adriaenssens (document)

21 décembre 2010 —Rejet d’une demande de récusation du Juge d’instruction émanant de l’avocat de l’Eglise catholique

22 décembre 2010 — Sur renvoi après cassation, la Chambre des mises en accusation de Bruxelles décide à nouveau d’invalider les perquisitions des dossiers de la Commission interdiocésaine, mais valide les perquisitions au domicile du Cardinal Danneels.

30 mars 2011 — La Commission parlementaire adopte à l’unanimité son rapport final de près de 500 pages. 70 recommandations sont formulées

25 avril 2012 - Un Centre d’arbitrage pour abus sexuel est créé à l’initiative conjointe de l’Eglise catholique et avec l’appui de la Fondation Roi Baudouin. Un Comité scientifique validé par le Parlement et l’Eglise catholique a désigné une Chambre d’arbitrage permanente, dont la composition est pluridisciplinaire et respecte les équilibres linguistique, philosophique et de genre. La Chambre permanente transmet le dossier à un collège arbitral dont les trois membres sont choisis par les parties sur des listes établies par le Comité scientifique

31 octobre 2012 – date butoir pour la saisine du Centre par les victimes d’affaires frappées par la prescription : 621 requêtes enregistrées

4 mars 2013 - Premier rapport annuel

10 mars 2014Deuxième rapport annuel : 264 conciliations réalisées en tout et 27 désistements; des indemnités forfaitaires pour un montant de 1.406.251 euro; 3/4 des victimes sont des garçons, majoritairement néerlandophones.

Bibliographie

  • BEAL, J.P., « At the crossroads of two laws. Some reflections on the influence of secular law on the Church’s response to clergy sexual abuse in the United States », Louvain Studies, 2000, pp. 99-121.
  • BORRAS, A., « Droit canonique, abus sexuels et délits réservés », Vie Consacrée , 2003, pp. 76-99.
  • CHRISTIANS, L-L. “L’expérience de dispositifs canoniques spécifiques face aux cas de délits sexuels du clergé”, SCHOUPPE, J.P. (ed.), Vingt-cinq ans après le Code. Le droit canon en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 239-257.
  • DEMASURE, K., « Pedofilie en Kerk. Een verkenning van de problematiek », Collationes, 1999/2.
  • DEMASURE, K., Verdwaald tussen liefde, macht en schuld. Pastoalre begeleiding bij seksueel misbruik van kinderen, Leuven, Peeters, 2004, 460 pp.
  • Dijon, X., “L’Eglise de Belgique dans la tourmente pédophile. Quels lieux pour la justice  ?”, Nouvelle revue théologique (Bruxelles), octobre-décembre 2010, pp. 607-619.
  • JENKINS, P., Pedophiles and priests : anatomy of a contemporary crisis, Oxford, Oxford Univ. Press, 1996.
  • MARTENS, K.,  » L’Eglise et la justice belge dans les affaires de moeurs », Studia canonica, 2009, 43, pp. 5-25.
  • MARTENS, K., « Les délits les plus graves réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la foi », Revue de droit canonique (Strasbourg) 2009, 56.
  • PLANTE, T.G. (ed.), Bless me father for I have sinned : Perspectives on sexual abuse committed by Roman Catholic priests, Westport, Praeger, 1999.
  • TERRY, K.J., ‘The Nature and Scope of Child Sexual Abuse in the Catholic Church », Criminal Justice and Behavior, May 2008, vol. 35, pp. 549-569.
  • Web : le site spécial du Saint Siège
  • Web : le site spécial de la Conférence des Evêques des Etats-Unis
  • Web : dossier spécial « L’Eglise belge, la pédophilie et la Justice » de l’Institut d’étude sur la Justice : justice-en-ligne
  • Web : minisite.catho.be consacré à la Commission parlementaire « Abus »
  • Web : situation comparative en Europe sur Wikipedia

Les débats juridiques belges sur la responsabilité civile des autorités religieuses

  • BARNABE, « Poursuites correctionnelles et personne civilement responsable. La lutte contre la pédophilie en milieu ecclésiastique serait-elle trop importante pour être confiée à l’Eglise ?. Chronique judiciaire, Journal des tribunaux, 11 mars 2000, p. 200
  • CHRISTIANS, L.L., « L’autorité religieuse entre stéréotype napoléonien et exégèse canonique : l’absence de responsabilité objective de l’évêque pour son clergé en droit belge », Quaderni di diritto e politica ecclesiastica (Univ. Milan)., 2000/3, pp. 951-966 pdf dans Catholicisme pdf
  • EVRARD, A., « Prêtres et évêques devant les tribunaux. Examen des responsabilités pénales et civiles à partir du droit belge », Nouvelle revue théologique, 2001, pp. 258-268
  • FAGNART, J.-L., “L’évêque répond-il des actes illicites commis par un curé ?”, note sous Bruxelles, 25 septembre 1998, Journal des Procès, 1998, n°357, pp. 24-31.
  • GLANSDORFF, F., « Eglise, pédophilie et droit de la responsabilité civile », sur Justice-en-ligne, décembre 2010 – Voy. aussi l’interview du Professeur Fr. Glansdorff  (ULB), dans La Libre Belgique du 29 décembre 2010
  • MESSINE, J. & F., « L’action civile de la victime contre le commettant de l’auteur de l’infraction », note sous corr. Bruxelles, 9 avril 1998, Journal des procès , 1998, n° 348, pp. 22-31
  • TOUSSAINT, Ph., « L’insupportable tranquillité. A propos de la décision du tribunal correctionnel de Bruxelles du 9 avril 1998″, Journal des procès, 1998, n°347, p. 4-5
  • TOUSSAINT, Ph., « Le cardinal, le curé et le silence », Journal des procès, 1998, n°343, p. 6
  • VAN OEVELEN, A., « Die civielrechtelijke aansprakelikheid van de bisschop voor het optreden van zijn priesters en pastorale medewerk(st)ers », MARTENS, K. (ed.), Verantwoordelijkheid en aansprakelijkheid van de diocesane bisschop, Leuven, Peeters, 2003, pp. 81-101
  • VERVLIET, L., « Eglise et responsabilité », Intercontact, Bruxelles, 1998/3, p. 81
  • VERVLIET, L., « L’Eglise et l’Etat en Belgique en 1998″, European Journal for Church and State Research, 1999, pp.1-11

 

 

  



Religion et enseignement à domicile

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Polémique en Flandre : la communauté juive en justice contre un décret qui risque de contraindre les enfants des écoles juives à s’inscrire dans des écoles agréées ou étrangères – Un arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2014 confirme le décret pour l’essentiel

La question des contrôles de l’enseignement à domicile revient à l’ordre du jour en Flandre avec le décret du 19 juillet 2013 (publié le 27 août 2013 au M.B.) qui prévoit notamment en son article II.10  que « les parents qui optent pour un enseignement à domicile, sont dorénavant obligés d’inscrire leur enfant scolarisable auprès du jury en vue de l’obtention d’un certificat d’enseignement fondamental au plus tard dans l’année scolaire dans laquelle l’enfant scolarisable a accompli l’âge de 11 ans avant le 1er janvier. Si l’enfant scolarisable ne se présente pas à temps auprès du jury ou s’il n’obtient pas le certificat d’enseignement fondamental après deux tentatives et au plus tard dans l’année scolaire dans laquelle il ou elle a accompli l’âge de 13 ans avant le 1er janvier, les parents doivent inscrire l’enfant scolarisable, soit à une école agréée, financée ou subventionnée par la Communauté flamande, la Communauté française ou la Communauté germanophone, (…) ».

La presse flamande a rapporté combien cette partie du décret contrarie particulièrement les communautés juives orthodoxes qui ont construit les mécanismes éducatifs de leur enfants sur la base des règles de l’enseignement à domicile. Ces communautés estiment leur identité juive menacée par  les contrôles des élèves juifs devant un jury étatique évaluant le niveau et la capacité de chacun, et plus encore dans l’éventuelle inscription sous contrainte dans une école publique. Plus encore, l’absence de période d’adaptation transitoire risque de conduire l’ensemble des enfants juifs à devoir abandonner brutalement les écoles privées juives. Nonobstant l’enseignement de la torah et du talmud, la communauté juive enseigne également les autres matières (mathématique, science, langues, etc.). Toutefois, la mise en place d’un examen devant un jury certifiant les capacités ou non des élèves apparaît disproportionnée et non adaptée à la méthode d’enseignement jusqu’ici pratiquée par la communauté juive.

Le Tribunal de première instance d’Anvers a été saisi en référé. Si elles n’ont pas gain de cause, les communautés juives ont estimé que ce décret les contraindrait à quitter la Belgique.

Du côté francophone, le contrôle de l’enseignement à domicile a également fait couler de l’encre, mais la polémique a été tranchée par deux hautes instances du pays : la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 9 juillet 2009 et le Conseil d’état dans un arrêt du 9 mai 2000. Ces deux autorités judiciaires ont fait prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant et son intégration sociale devant la liberté d’enseignement arguée par les requérants. Ainsi, devant la Cour, un recours en annulation du décret de la Communauté française du 25 avril 2008 fixant les conditions pour pouvoir satisfaire à l’obligation scolaire en dehors de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française avait été introduit. Il était reproché audit décret d’instaurer une réglementation de l’enseignement à domicile à travers un contrôle de cet enseignement. Les requérants avançaient l’idée que de tels contrôles étaient contraire à la liberté d’enseignement garantie par l’article 24, spécialement § 1er, alinéas 1er et 2, de la Constitution.  La Cour a rapidement balayé cette argumentation : « Si la liberté d’enseignement comporte le libre choix par les parents de la forme de l’enseignement, et notamment le choix d’un enseignement à domicile dispensé par les parents, ou d’un enseignement dispensé dans un établissement d’enseignement qui n’est ni organisé, ni subventionné, ni reconnu au sens de l’article 3 du décret, ce libre choix des parents doit toutefois s’interpréter en tenant compte, d’une part, de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son droit fondamental à l’enseignement et, d’autre part, du respect de l’obligation scolaire ». (nous soulignons)

Elle poursuit : « Le droit à l’enseignement de l’enfant peut par conséquent limiter la liberté de choix des parents et la liberté des enseignants quant à l’enseignement qu’ils souhaitent dispenser à l’enfant soumis à l’obligation scolaire.  La Cour européenne des droits de l’homme considère ainsi que, lorsqu’au lieu de le conforter, les droits des parents entrent en conflit avec le droit de l’enfant à l’instruction, les intérêts de l’enfant priment (voy. CEDH, 30 novembre 2004, décision Bulski c. Pologne; voy. aussi CEDH, 5 février 1990, décision Graeme c. Royaume-Uni, CEDH, 30 juin 1993, décision B.N. et S.N. c. Suède, et CEDH, 11 septembre 2006, décision Fritz Konrad et autres c. Allemagne) ». La conclusion de la Cour constitutionnelle est unanime :  « La nécessité de veiller au respect de l’obligation scolaire peut ainsi conduire les  communautés à instaurer des mécanismes de contrôle permettant de vérifier que tous les enfants reçoivent effectivement, fût-ce à domicile, un enseignement permettant de satisfaire à l’obligation scolaire, afin de garantir ainsi leur droit à l’instruction ». (arrêt n°107/2009 du 9 juillet 2009, numéro de rôle 4507, à consulter sur http://www.const-court.be)

L’arrêt du Conseil d’état du 9 mai 2000 qui, bien que n’étant pas récent, estimait déjà que les contrôles et conditions de l’enseignement à domicile se justifiaient dans l’intérêt supérieur des enfants, autrement dit, qu’ils doivent tous bénéficier d’un niveau d’étude équivalent.  Le Conseil d’état a estimé qu’il n’était pas disproportionné d’imposer à un élève qui a montré à deux reprises qu’il n’avait pas le niveau d’étude suffisant de s’inscrire dans un établissement d’enseignement adéquat.

La position des juges flamands est donc attendue…Vont-ils suivre la jurisprudence francophone et estimer que l’intérêt supérieur des enfants et l’intégration sociale de ceux-ci priment sur la liberté de l’enseignement ou plutôt estimer qu’en l’espèce, l’identité juive est mise en cause par un contrôle étatique disproportionné ? Le malaise croissant des communautés juives en Europe ne peut en tout cas laisser indifférent.

Le tribunal civil d’Anvers, saisi en référé, s’est déclaré territorialement incompétent par ordonnance du 28 octobre 2013.

La Cour Constitutionnelle, par arrêt du 27 février 2014, n°37/2014, a suspendu le décret flamand dans la mesure où il ne prévoit pas de mesure transitoire pour sa mise en oeuvre, et aurait dès lors mis les enfants des requérants dans l’impossibilité probable de réussir les examens de contrôle sans que leur enseignement à domicile n’ait pu s’y adapter suffisamment à temps. Pour le reste, la Cour rappelle sa jurisprudence antérieure qui admet que le législateur puisse aggraver le régime légal de l’enseignement à domicile (not. C. C., 9 juillet 2009, ASBL Ecole Notre Dame de la Sainte-Espérance et autres, n° 107/2009), mais renvoie à la procédure en annulation pour prendre position au fond. On observera notamment que les conditions de liberté religieuse invoquées par les requérants n’ont pas encore été abordées par la Cour.

Par un arrêt au fond du 8 mai 2014, n°80/2014, la Cour confirme une inconstitutionnalité limitée à l’absence de mesures transitoires, qui rendait impossible une adaptation des modalités d’enseignements et aurait conduit à des échecs inéluctables, du moins pour les élèves du niveau secondaire. Pour le reste, la Cour écarte tous les arguments fondés sur la liberté d’enseignement, l’égalité, la liberté de culte et d’association ou encore la vie privée. La Cour démontre d’abord que rendre un test obligatoire ne revient pas à transposer les contenus précis de l’enseignement public. Il s’agit d’une simple obligation de réussir un test relatif à un niveau d’instruction suffisant permettant de « fonctionner dans la société, de poursuivre des études ou d’exercer des activités professionnelles ». Pour ce faire, sont bien prises en considération des méthodes pédagogiques spécifiques ainsi que des conceptions idéologiques, philosophiques ou religieuses des parents ou des enseignants, pour autant que ces méthodes et conceptions ne méconnaissent pas le droit de l’enfant à recevoir un enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux et ne portent atteinte ni à la qualité de l’enseignement ni au niveau d’études à atteindre. Par ailleurs, en cs d’échec à ses tests, l’obligation de quitter l’enseignement à domicile ne se fait pas au seul bénéfice de l’enseignement public, mais d’une grande variété de réseaux, y compris à l’étranger. Mais l’argument central de la Cour est simple : il est de rendre l’ intérêt de l’enfant préférable en tout cas à un enseignement déficient. Une conciliation est nécessaire avec le droit à l’enseignement des enfants et avec l’objectif « d’ouvrir l’esprit des enfants au pluralisme et à la tolérance, qui sont essentiels à la démocratie ». Une fois ce niveau suffisant acquis, un complément de formation sera toujours possible, selon la Cour, pour garantir l’autonomie éducative et religieuse des communautés juives. Les requérants avaient toutefois avancé un autre type d’argument à l’encontre de cette « liberté de complément » : pour eux, le temps nécessaire à la formation spécifiquement juive ne serait plus suffisamment disponible. La Cour écarte cet argument : pour elle, cet obstacle organisationnel ne constitue pas une limitation disproportionnée  au droit de préparer les enfants scolarisés de la communauté juive orthodoxe à une vie de Juif orthodoxe croyant. La liberté d’expression dans l’enseignement  n’est pas absolue.  La Cour oppose le même raisonnement  au droit à l’épanouissement culturel dès lors qu’à ses yeux les normes décrétales attaquées ne privent pas davantage du droit de dispenser ou de faire suivre un enseignement d’inspiration religieuse faisant intervenir les aspects culturels de la communauté juive orthodoxe.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle, même s’il confirme pour l’essentiel le décret, se révèle extrêmement prudent. Il rappelle notamment sa jurisprudence antérieure selon laquelle ’ »en ce qui concerne les établissements d’enseignement qui choisissent de ne pas recourir à des subventions publiques, bien que l’ autorité publique puisse contrôler la qualité de l’ enseignement dispensé, ce contrôle ne peut aller jusqu’ à exiger le respect des objectifs de développement, des objectifs finaux ou des socles de compétences ». De même, la Cour qualifie de « problème organisationnel » ce que les requérants juifs concevaient comme une impossibilité matérielle au regard des usages de l’éducation juive. La Cour évite ainsi toute opposition frontale. On retiendra enfin la formule reprise par la Cour aux instruments internationaux sur l’intérêt de l’enfant : « à savoir d’ouvrir l’esprit des enfants au pluralisme et à la tolérance, qui sont essentiels à la démocratie ». Jusqu’où faut-il limiter les particularismes religieux et culturels pour arriver au pluralisme revendiqué par la démocratie, telle est la question paradoxale qui restera ouverte tant qu’une mise à l’épreuve des faits n’aura pas été réalisée et mesurée…

Jancy Nounckele et Louis-Leon Christians



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