Abus sexuels en relation pastorale 2014 20 mai
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Le Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuel a rendu public son deuxième rapport en mars 2014. Il vient d’être publié sur le site de la Chambre des Représentants et sur celui du centre.
On se limite ici à relever la chronologie de ce qui est devenu une crise en Belgique depuis le printemps 2010, et à fournir une bibliographie sélective sur le sujet.
Cette crise concerne certainement l’ampleur des révélations des cas d’abus, jusque là modérée à la différence d’autres pays comme les Etats-Unis ou l’Irlande. On estime aujourd’hui que 2 à 4 % du clergé en fonction depuis une soixantaine d’années devraient être statistiquement concernés. 96 à 98 % de ce clergé demeurant indemne de tels abus. Font cependant aussi controverse les modalités de réactions des autorités ecclésiastiques, quant au type de sanctions envers les abuseurs, quant au type de prise en compte des victimes et quant aux relations avec la justice civile. Prenant la succession d’une commission intra-ecclésiale (1999-2010), un Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuel a été crée à l’initiative conjointe de l’Eglise catholique et d’une Commission spéciale du Parlement belge, avec l’appui de la Fondation Roi Baudouin, en vue de reconnaître et d’indemniser les victimes d’infractions frappées par la prescription.
Chronologie d’une crise sur les abus sexuels par le clergé en Belgique
1998 – Procès en responsabilité civile sans faute contre l’Archevêque de Malines-Bruxelles et son évêque auxiliaire, attaqués au titre de commettants d’un prêtre abuseur. Par arrêt du 25 septembre 1998, la Cour d’appel de Bruxelles estime inapplicable l’article 1384 à ce type de relation religieuse. Un Evêque catholique n’est pas « commettant » de ses prêtres au sens du Code civil belge.
1999 – La Conférence épiscopale de Belgique met en place un téléphone vert et une « Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuel commis dans le cadre de relations pastorales ». Cette Commission interdisciplinaire et indépendante de l’Episcopat, a pour rôle de conseiller les autorités religieuses sur les suites à donner après vérification de la crédibilité de la plainte.
2001 – Le Saint-Siège édicte une nouvelle réglementation canonique sur le traitement des cas d’abus sexuels sur mineur par des prêtres – le délai de prescription est porté de cinq ans à dix ans, le point de départ n’étant plus la date de la commission du délit, mais la date de la majorité de la victime
1999-2009 – Une trentaine de cas, la plupart prescrits en droit belge, sont communiqués à la Commission interdiocésaine. Ces cas anciens et compliqués trouvent pour la plupart une issue. Certains dossiers demeurent en suspens. La Commission s’interroge sur son utilité. Son deuxième mandat s’achève par une démission collective.
Juin 2009 – mars 2010 – Un Groupe de travail prépare le renouvellement de la Commission. Un nouveau président est désigné, le Professeur Adriaenssens, pédopsychiatre à la KULeuven. De nouveaux collaborateurs bénévoles rallient la Commission nouvelle.
Avril 2010 – Démission de l’Evêque de Bruges, en aveu d’abus sexuels sur mineur, commis 24 ans auparavant sur un membre de sa famille — vive émotion populaire — la presse investigue et publie durant plusieurs semaines — le nouvel Archevêque de Malines-Bruxelles appelle les fidèles à faire connaître tout abus qu’ils auraient subis — plusieurs centaines de cas vont être portés à la connaissance de la Commission interdiocésaine nouvelle
Mai 2010 – Le Ministre belge de la Justice indique la nécessité d’une coopération avec les Parquets – Le Collège des Procureurs généraux délimite strictement les procédures d’interactions avec la Commission interdiocésaine
24 juin 2010 – Sur mandat d’un juge d’instruction, l’ensemble des dossiers en cours au sein de la Commission interdiocésaine sont saisis, ainsi que les ordinateurs de l’Archevêché.
29 juin 2010 - Démission du Président puis des membres de la Commission interdiocésaine
Juillet 2010 – le président de la Commission interdiocésaine et l’ancien Archevêque de Malines-Bruxelles entendus par la Police judiciaire – nombreuses fuites de presse et démentis des autorités judiciaires
Juillet 2010 – le Saint-Siège édicte de nouvelles normes concernant les poursuites contre les abus sexuels du clergé – une enquête préliminaire prévoyant la notification à la justice civile – une procédure canonique accélérée et une prescription portée à 20 ans à partir de l’accession de la victime à la majorité
13 août 2010 – la Chambre des mises en accusation de Bruxelles invalide la saisie collective des dossiers de la Commission interdiocésaine, réalisée le 24 juin.
27 août 2010 – introduction d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Chambre des mises en accusation par un groupe de victimes
28 août 2010 – le Ministre de la Justice estime nécessaire la mise en place d’une nouvelle Commission interdiocésaine en vue d’assumer la restitution des dossiers invalidement saisis et de reprendre sa mission
31 août 2010 – ouverture d’une instruction judiciaire pour violation du secret de l’instruction judiciaire
10 septembre 2010 – le président de la Commission interdiocésaine démissionnaire rend public le rapport de la Commission comportant notamment les récits anonymisés de plus d’une centaine de victimes qui ont consenti à cette publication, diverses analyses statistiques et des recommandations.
13 septembre 2010 – la Conférence épiscopale annonce la mise sur pied d’une cellule de soutien aux victimes
17 septembre 2010 — la Commission de la Justice de la Chambre des Représentants interpelle le Ministre de la Justice. Diverses formes de commissions d’enquête sont discutées.
12 octobre 2010 — la Cour de cassation casse pour raison de procédure les décisions de la Chambre des mises en accusation annulant les perquisitions et renvoie l’affaire pour un nouveau jugement sur la validité des perquisitions.
20 octobre 2010 — la Conférence épiscopale renonce au projet d’un centre ecclésial spécifique pour l’aide aux victime : « (…) Nous ne souhaitons pas la mise sur pied d’une nouvelle commission pour succéder à la précédente qui s’est vue contrainte de mettre un terme à ses travaux. Initialement, nous avions pensé créer un comité ou un centre où des personnes compétentes gèreraient ce problème au nom de l’Eglise. Mais cette éventualité a été abandonnée. Le bien-fondé de la plainte et les conséquences de ces faits, demeurent l’affaire du pouvoir judiciaire. En tant qu’Eglise, nous avons une responsabilité pastorale spécifique. En premier lieu, vis-à-vis des victimes. Elles seront entendues au niveau de chaque diocèse ou du supérieur majeur concerné ; leurs attentes seront prises en considération dans toute la mesure du possible. Il nous faut aussi prendre nos responsabilités vis-à-vis des auteurs conformément au droit canonique. Nous prenons actuellement des mesures disciplinaires et chaque dossier sera aussi transmis à Rome en attendant une mesure disciplinaire définitive (…). » (Voir le communiqué intégral sur www.catho.be)
28 octobre 2010 — Création par la Chambre des Représentants (Parlement belge) d’une « Commission spéciale relative au traitement des faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Eglise » (document)
19 novembre 2010 — Premier rapport parlementaire des auditions relatives à la Commission Adriaenssens (document)
21 décembre 2010 —Rejet d’une demande de récusation du Juge d’instruction émanant de l’avocat de l’Eglise catholique
22 décembre 2010 — Sur renvoi après cassation, la Chambre des mises en accusation de Bruxelles décide à nouveau d’invalider les perquisitions des dossiers de la Commission interdiocésaine, mais valide les perquisitions au domicile du Cardinal Danneels.
30 mars 2011 — La Commission parlementaire adopte à l’unanimité son rapport final de près de 500 pages. 70 recommandations sont formulées
25 avril 2012 - Un Centre d’arbitrage pour abus sexuel est créé à l’initiative conjointe de l’Eglise catholique et avec l’appui de la Fondation Roi Baudouin. Un Comité scientifique validé par le Parlement et l’Eglise catholique a désigné une Chambre d’arbitrage permanente, dont la composition est pluridisciplinaire et respecte les équilibres linguistique, philosophique et de genre. La Chambre permanente transmet le dossier à un collège arbitral dont les trois membres sont choisis par les parties sur des listes établies par le Comité scientifique
31 octobre 2012 – date butoir pour la saisine du Centre par les victimes d’affaires frappées par la prescription : 621 requêtes enregistrées
4 mars 2013 - Premier rapport annuel
10 mars 2014 – Deuxième rapport annuel : 264 conciliations réalisées en tout et 27 désistements; des indemnités forfaitaires pour un montant de 1.406.251 euro; 3/4 des victimes sont des garçons, majoritairement néerlandophones.
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Bibliographie
- BEAL, J.P., « At the crossroads of two laws. Some reflections on the influence of secular law on the Church’s response to clergy sexual abuse in the United States », Louvain Studies, 2000, pp. 99-121.
- BORRAS, A., « Droit canonique, abus sexuels et délits réservés », Vie Consacrée , 2003, pp. 76-99.
- CHRISTIANS, L-L. “L’expérience de dispositifs canoniques spécifiques face aux cas de délits sexuels du clergé”, SCHOUPPE, J.P. (ed.), Vingt-cinq ans après le Code. Le droit canon en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 239-257.
- DEMASURE, K., « Pedofilie en Kerk. Een verkenning van de problematiek », Collationes, 1999/2.
- DEMASURE, K., Verdwaald tussen liefde, macht en schuld. Pastoalre begeleiding bij seksueel misbruik van kinderen, Leuven, Peeters, 2004, 460 pp.
- Dijon, X., “L’Eglise de Belgique dans la tourmente pédophile. Quels lieux pour la justice ?”, Nouvelle revue théologique (Bruxelles), octobre-décembre 2010, pp. 607-619.
- JENKINS, P., Pedophiles and priests : anatomy of a contemporary crisis, Oxford, Oxford Univ. Press, 1996.
- MARTENS, K., » L’Eglise et la justice belge dans les affaires de moeurs », Studia canonica, 2009, 43, pp. 5-25.
- MARTENS, K., « Les délits les plus graves réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la foi », Revue de droit canonique (Strasbourg) 2009, 56.
- PLANTE, T.G. (ed.), Bless me father for I have sinned : Perspectives on sexual abuse committed by Roman Catholic priests, Westport, Praeger, 1999.
- TERRY, K.J., ‘The Nature and Scope of Child Sexual Abuse in the Catholic Church », Criminal Justice and Behavior, May 2008, vol. 35, pp. 549-569.
- Web : le site spécial du Saint Siège
- Web : le site spécial de la Conférence des Evêques des Etats-Unis
- Web : dossier spécial « L’Eglise belge, la pédophilie et la Justice » de l’Institut d’étude sur la Justice : justice-en-ligne
- Web : minisite.catho.be consacré à la Commission parlementaire « Abus »
- Web : situation comparative en Europe sur Wikipedia
Les débats juridiques belges sur la responsabilité civile des autorités religieuses
- BARNABE, « Poursuites correctionnelles et personne civilement responsable. La lutte contre la pédophilie en milieu ecclésiastique serait-elle trop importante pour être confiée à l’Eglise ?. Chronique judiciaire, Journal des tribunaux, 11 mars 2000, p. 200
- CHRISTIANS, L.L., « L’autorité religieuse entre stéréotype napoléonien et exégèse canonique : l’absence de responsabilité objective de l’évêque pour son clergé en droit belge », Quaderni di diritto e politica ecclesiastica (Univ. Milan)., 2000/3, pp. 951-966
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- EVRARD, A., « Prêtres et évêques devant les tribunaux. Examen des responsabilités pénales et civiles à partir du droit belge », Nouvelle revue théologique, 2001, pp. 258-268
- FAGNART, J.-L., “L’évêque répond-il des actes illicites commis par un curé ?”, note sous Bruxelles, 25 septembre 1998, Journal des Procès, 1998, n°357, pp. 24-31.
- GLANSDORFF, F., « Eglise, pédophilie et droit de la responsabilité civile », sur Justice-en-ligne, décembre 2010 – Voy. aussi l’interview du Professeur Fr. Glansdorff (ULB), dans La Libre Belgique du 29 décembre 2010
- MESSINE, J. & F., « L’action civile de la victime contre le commettant de l’auteur de l’infraction », note sous corr. Bruxelles, 9 avril 1998, Journal des procès , 1998, n° 348, pp. 22-31
- TOUSSAINT, Ph., « L’insupportable tranquillité. A propos de la décision du tribunal correctionnel de Bruxelles du 9 avril 1998″, Journal des procès, 1998, n°347, p. 4-5
- TOUSSAINT, Ph., « Le cardinal, le curé et le silence », Journal des procès, 1998, n°343, p. 6
- VAN OEVELEN, A., « Die civielrechtelijke aansprakelikheid van de bisschop voor het optreden van zijn priesters en pastorale medewerk(st)ers », MARTENS, K. (ed.), Verantwoordelijkheid en aansprakelijkheid van de diocesane bisschop, Leuven, Peeters, 2003, pp. 81-101
- VERVLIET, L., « Eglise et responsabilité », Intercontact, Bruxelles, 1998/3, p. 81
- VERVLIET, L., « L’Eglise et l’Etat en Belgique en 1998″, European Journal for Church and State Research, 1999, pp.1-11