Programmes électoraux et Religions

Elections 2014 : quelle place pour la réforme des cours philosophiques ?

Au lendemain des élections générales du 25 mai se pose la question de la poursuite de la réforme des cours philosophiques – débutée à l’initiative de la ministre de l’enseignement obligatoire durant la législature précédente. Soucieux de cette question, les responsables des cours de religion ont rédigé, avant les élections, un mémorandum à l’attention du monde politique, auquel ont répondu les quatre grands partis francophones, parfois de manière lacunaire. Sans connaître la majorité qui sortira des urnes et la réponse qu’elle pourrait réellement y apporter, au moment d’écrire ces lignes, l’on proposera ici une brève analyse des positions et propositions émises par les responsables des cours de religion ainsi que des programmes cdH, MR, Ecolo et PS relativement aux cours philosophiques avant de lire les réactions des partis politiques au mémorandum à la lumière des programmes généraux. L’on se demandera enfin si l’espoir d’un changement significatif peut être entretenu.

Après avoir rappelé l’importance de l’organisation actuelle des cours philosophiques et la profonde réforme de ces derniers depuis 2005 et la création du Conseil consultatif supérieur des cours philosophiques (CCSCP) – à savoir la rédaction d’un référentiel de compétences spécifiques pour chaque cours et de compétences communes à construire dans le cadre d’activités de rencontre et de collaboration entre cours de religion – les responsables de ces cours tirent l’alarme : ils ont « l’impression que ce travail de réforme est ignoré, volontairement ou pas, par de nombreux responsables politiques ». Face aux deux attitudes rencontrées que sont d’une part la volonté de remplacer pour tout ou partie le cours de religion ou de morale non confessionnelle par un cours de philosophie et d’histoire des religions ou par un cours d’éducation citoyenne, et d’autre part de rendre facultatif ce cours, leur position peut se résumer comme suit :
•    Opérer une séparation totale entre sphère privée et sphère publique est impossible. L’éducation à un regard critique et documenté sur le religieux est d’ailleurs un devoir en démocratie ; elle peut permettre d’empêcher le développement de communautarismes et d’intégrismes mettant à mal la cohésion sociale.
•    Les différents groupes formés par les cours de religion et de morale non confessionnelle au sein de l’enseignement officiel ne sont pas un frein au vivre-ensemble ; au contraire, ils sont une voie vers la reconnaissance des différences.
•    Le questionnement philosophique et l’éducation à la citoyenneté devraient être enseignés de manière transversale, dans le cadre de tous les cours offerts durant l’éducation obligatoire, et vécus au quotidien.
•    Adopter la solution 1 heure/semaine de religion ou morale + 1 heure/semaine d’un cours commun d’histoire, de philosophie ou d’éducation citoyenne serait faire preuve d’une méconnaissance totale du terrain ; c’est une mauvaise solution pédagogique.
Outre ces positions, la revendication principale des responsables des cours de religion est la création d’une commission pluraliste chargée d’envisager l’avenir et l’évolution des cours philosophiques de manière globale et l’inscription de cette dernière dans la future déclaration de politique communautaire.

A la lecture des programmes généraux pour les élections du 25 mai 2014 des quatre grands partis politiques francophones, l’on observe la position a priori de ces derniers  quant à l’organisation des cours philosophiques.

Le cdH axe notamment son programme sur l’éducation à la citoyenneté, la promotion de l’interculturalité et le respect de l’autre (proposition 48) en insistant sur l’importance d’une démarche transversale et interdisciplinaire dans les établissements scolaires pour ce faire, et sur l’intégration de la diversité dans les cours qui existent déjà : la création de nouveaux cours n’est pas évoquée. Les démocrates humanistes insistent par ailleurs sur le développement d’un tronc commun pour tous les cours philosophiques (proposition 49) en précisant que le débat sur les valeurs ne peut être enfermé dans la sphère privée : en effet, l’ouverture que permettrait un tel tronc commun associant le cours de morale non confessionnelle peut contribuer « à éviter les pensées radicales et favoriser le respect mutuel ».

La proposition d’Ecolo d’instaurer des cours philosophiques pour former les citoyens du XXIe siècle (chapitre Jeunesse, éducation et culture – Priorité 5) est pour sa part centrée sur la suppression, à long terme, des cours existants actuellement pour les remplacer par un cours de philosophie et d’histoire des religions qui seraient dispensés « notamment par les actuels maîtres de religion et de morale ». A court terme, les écologistes envisagent l’insertion d’un nouveau cours rassemblant les élèves et les initiant au questionnement philosophique qui viendrait se substituer à l’une des deux heures hebdomadaires consacrées à la religion ou la morale non confessionnelle. Ecolo semble par ailleurs concevoir les cours de religion et de morale non confessionnelle comme néfastes pour le vivre-ensemble dès lors que ce « compartimentage […] pose problème dans la société interculturelle et citoyenne » que le parti souhaite.

Le MR, dans un point « Développer la citoyenneté et transmettre les valeurs » (chapitre sur l’enseignement – 2. Répondre aux défis de la société), met en exergue l’éducation à la citoyenneté comme « pièce maîtresse de l’éducation dans un état démocratique » qui doit « se refléter dans les contenus de l’enseignement » : la transversalité n’est prônée que pour ce pan de l’éducation et non pour l’éducation interconvictionnelle ou interculturelle (seule une meilleure formation à l’interculturalité pour les enseignants est proposée). Pour les réformateurs, les cours philosophiques tels qu’organisés actuellement séparent les élèves alors qu’il s’agit des seuls cours abordant les questions existentielles. C’est pourquoi ils proposent de créer un cours commun de philosophie et d’histoire comparée des religions, sans pour autant être clairs quant au moment auquel devrait être dispensé ce nouveau cours : au troisième degré du secondaire ou dès le début du cursus ? Les deux options sont présentées, à des endroits distincts du programme (chapitre susmentionné et chapitre sur Le juste Etat – G. Interculturalité – 1. Les dangers du repli communautaire)… Relativement au vivre-ensemble et à l’ouverture à la différence, la position du MR semble être que les cours philosophiques actuels ne le favorisent pas suffisamment, au contraire de ce que permettrait du nouveau cours proposé. S’il estime ce dernier nécessaire, le MR est cependant le seul parti à avancer explicitement que les modalités concrètes d’une réforme doit passer par une commission mixte, telle que demandée par les responsables de cultes dans une démarche commune.

Le PS, enfin, affirme sa volonté d’organiser un cours de philosophie et de citoyenneté (chapitre sur l’enseignement obligatoire – 1. Promouvoir la réussite) dès le plus jeune âge, « en lieu et place d’une heure de cours confessionnel ou de morale laïque ». L’accent est ici mis sur le vivre-ensemble et le questionnement philosophique. Les socialistes insistent par ailleurs sur le fait que l’appartenance religieuse ou philosophique relève exclusivement de la sphère privée, séparant donc celle-ci d’une sphère publique sans définition de l’une ni de l’autre.

Au-delà de leur programme respectif, les quatre partis susmentionnés se sont positionnés par rapport au mémorandum et à la demande de création d’une commission mixte chargée de la réflexion sur les cours philosophiques.

Si le cdH juge « indispensable que les chefs de culte soient pleinement associés à la réflexion avant toute prise de décision », son président ne prononce pas le mot « commission » et ne s’avance pas plus. Ecolo s’engage pour sa part à « consulter les enseignants pour qu’ils puissent être partie prenante aux changements » et propose que la réforme entre en vigueur pour la fin de la prochaine législature (2019). Ce ne sont toutefois que les seuls enseignants qui seraient consultés et non tous les acteurs et/ou partenaires gravitant autour des cours philosophiques. Aucun engagement n’est par ailleurs pris quant à l’éventuelle création d’une commission ni quant à la composition de cette dernière. Au contraire, le MR réaffirme son accord de créer une « commission mixte composée de parlementaires et de représentants des différentes convictions officiellement reconnues, religieuses et philosophiques » tout en précisant que seuls six mois lui seraient octroyés afin de rendre des conclusions. Le MR ajoute aussi que tous les acteurs concernés par la réforme des cours philosophiques doivent être associés au débat. Il se rapproche sur ce point de la position du PS, qui rappelle son attachement à la concertation avec tous les acteurs. Répondant de manière globale – la réponse concerne l’ensemble des questions touchant l’avenir de l’enseignement et non uniquement les cours philosophiques –, le PS dit souhaiter organiser « une consultation des acteurs de l’éducation et des partenaires de l’école » afin d’aboutir à la conclusion « d’un Pacte pour l’enseignement ».

Ces déclarations supplémentaires permettent d’espérer que tout projet relatif à l’avenir des cours philosophiques inscrit dans la déclaration de politique communautaire, quelle que soit l’option envisagée, fasse l’objet d’une consultation préalable des responsables des cours de religion et de morale non confessionnelle. La nature et la date de la réforme ainsi que la manière de la réfléchir (commission mixte, acteurs de terrain, etc.) sont imprévisibles. La seule certitude est la suivante : étant donné que les futurs gouvernement et parlement communautaires seront le fruit de coalitions, aucun parti n’aura la mainmise et toute réforme devra faire l’objet de discussions et de compromis.

Dr Sophie Minette
Assistante de recherche à la Chaire de droit des religions

(*) On renverra aussi aux réponses que chaque parti politique a adressées sur ce thème à Mgr Harpigny, évêque catholique référendaire, auteur d’un mémorandum sur ce sujet : catho.be



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