Morale : neutralité ou exemption ?

Les cours de religions/morale à Bruxelles :
Liberté de choix, obligation de choisir ? deux régimes linguistiques

Le régime francophone vu de Flandre  : juste avant une réponse de la Cour constitutionnelle

L’exemption des cours de religions/morale : une vieille histoire

Le Conseil d’Etat rendait le 6 mars 2014 un arrêt (1) posant une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle, dont on attend la réponse ces temps-ci. L’objet du contentieux, en l’occurrence francophone, relève d’un thème intensivement discuté en Flandres… il y a… trente ans, dans les moments précédant immédiatement la réforme constitutionnelle de 1988 et par la suite (2). Le débat politique et – en parallèle – une série d’arrêts du Conseil d’Etat (3) ont conduit à la création d’un régime d’exemption individuelle qui a maintenant une tradition de plusieurs décennies en Communauté flamande. Le décret fixant le droit d’exemption existe depuis 1997. En comparaison, le régime de l’obligation de choix, prévue à l’art. 8 du Pacte scolaire, a eu une durée plus courte que celui du système actuel d’exemption… La question a donc des racines anciennes (4).

La base juridique d’une possibilité d’exemption pour les cours de religions/morale est en fait très simple: si la gamme de choix entre les cours philosophiques porte sur des cours qui sont tous engagés, et si l’on veut être un libre choix parental véritable en termes philosophiques, la seule possibilité est celle d’une exemption. Cela a déjà été soulevé en 1980 par un constitutionnaliste comme Karel Rimanque dans son étude sur l’éducation religieuse du mineur (5).

Mais à supposer que les cours ne soient pas tous engagés (i.e. que la cours de morale soit réellement neutre comme il devait légalement l’être), la situation juridique en devient-elle pour autant différente ? C’est en tout cas sur cette affirmation légale de neutralité du cours de morale non confessionnelle que la Communauté française et la Communauté germanophone ont pleinement maintenu une obligation de choix, sans dérogation, au moins dans la législation (6).

Mais une explication de cette différence semble plus précisément tenir à une modalité plus institutionnelle de l’organisation des cours de  morale : et qui a connu une mutation en Flandre et non en Communauté française, au moment de la reconnaissance de la laïcité en 1993 par la modification de l’article 181 de la Constitution.

En Flandre, tant le contenu des cours que l’inspection et la proposition des enseignants passèrent à ce moment des mains de l’Etat à celles d’une instance spécifique de la Libre-Pensée. Cet organisme, comme il ressort de la jurisprudence, détient un rôle clé dans la nomination et la révocation des professeurs. En Communauté française, cette mutation administrative – aboutissement inévitable d’un long processus de reconnaissance de la Laïcité, n’a finalement jamais (encore) eu lieu.

La situation en Communauté française unit juridiquement depuis un quart de siècle l’ensemble des représentants philosophiques alors reconnus pour « bétonner » une obligation de choix. L’Église catholique romaine, l’Église protestante unie de Belgique et le Consistoire central israélite ont plaidé devant la Constituante de 1988 pour empêcher toute option d’exemption pour les parents qui ne pouvaient pas faire un choix (7), une initiative qui – même involontairement – équivalait à dénier les droits parentaux de toutes les communautés religieuses qui n’appartiennent pas à ces trois religions (et notamment les Témoins de Jéhovah) ainsi que des parents issus de ces traditions reconnues mais ayant des conceptions dissidentes.

La position de la Communauté française, citée dans l’arrêt, ne laisse aucune place aux exemptions de choix pour les cours philosophiques: « (…) le caractère obligatoire du cours de religion ou de morale non confessionnelle découle (…) surtout, de l’article 24 de la Constitution. Elle en déduit que même si l’article 8 de la loi du Pacte scolaire venait, en l’espèce, à ne pas être appliqué, il n’en reste pas moins que l’article 24 de la Constitution impose la fréquentation d’un cours de religion ou du cours de morale non confessionnelle” (8). L’Art. 24 de la Constitution pourrait donc avoir un sens diamétralement différent selon son lecteur : en 1988, Karel Rimanque pensait en effet différemment, car selon lui ouvert « la Constitution avait ouvert la possibilité pour un décret de supprimer l’obligation de choisir, alors que l’obligation d’offrir et de subventionner demeurait. La disposition constitutionnelle offrait à ses yeux un moyen de sortir de la contradiction entre un choix limité et une obligation illimitée, dès lors qu’aucun des cours ne respectait toutes les croyances » (9). Selon la Communauté française, cette solution ne s’impose pas, dès lors précisément que le cours de morale doit être neutre et respecter toutes les croyances.

En s’écartant quant à elle de l’obligation de choix, la Communauté flamande se retrouve dans une zone sûre au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Sa situation est tout-à-fait conforme aux arrêts CEDH de 2007 Folgerø et Zengin.
L’exemption introduite dans la tradition éducative flamande – à l’origine sur la base d’une circulaire ministérielle (10) n’attire cependant qu’un public limité. L’exemption n’est demandée que par un très petit nombre de parents, qui le font pour des raisons très différentes. Ce groupe est lui-même hétérogène. En 2012-2013, 3 pour mille de la population scolaire en Flandre (11), et seulement 1 pour mille de l’enseignement flamand dans la Région de Bruxelles-Capitale, où aucune demande n’a même été introduite en 2012-2013 (12). Bref, des quantités presque négligeables dans l’organisation des écoles.

Les différentes interprétations communautaires de l’art. 24 § 1, alinéa 4 de la Constitution sont cependant à nouveau sous pression en raison de demandes de dérogation introduite cette fois dans le cadre de l’enseignement francophone à Bruxelles. Et cette fois, la question – une patate chaude ? – a été transférée à la Cour constitutionnelle. Celle-ci a déjà été saisie souvent de questions relatives à l’instruction religieuse, mais avec d’autres accents, à savoir :
- quels sont les droits des parents qui optent pour leur enfant pour une classe de religion minoritaire (par exemple, pour l’éducation religieuse juive) (13)?
- quels sont les droits des organisateurs de l’enseignement confessionnel libre dont le projet éducatif religieux s’inscrit dans une mouvance assimilée à une «religion reconnue» existante, mais distincte (par exemple, protestante) (14) ?
-Quelles responsabilités peuvent être imposées (sans affectation de ressources financières supplémentaires) aux représentants de cultes minoritaires en vue de mettre à leur charge administrative l’organisation de leur cours de religion (par exemple, le culte orthodoxe) (15).

Le régime actuel, et donc l’éventail de choix pour les parents, ressemble maintenant à ceci :

Enfants scolarisés en // Choix offerts  // exemption ?  //  exemption sans motivation ?    // Jurisprudence

Communauté flamande  //  Cath, P, Angl, Isr, Isl, Orth, Mnc   //  Oui depuis 1997 (b) // Non  // Sluijs I, Sluijs II,  Davison, Vermeersch

Communauté française //   Cath, P, Isr, Isl, Orth,  Mnc  //  Non (a)   //  Pas applicable   // Lallemand

Région de Bruxelles (enseignement flamand)   // Cath, P, Angl, Isr, Isl, Orth, Mnc  //  Oui   // Non  //   Niet bekend

Région de Bruxelles (enseignement francophone) //   Cath., P, Isr, Isl, Orth, Mnc   // Non  (a)  //  Pas applicable   // De Pascale

Communauté germanophone //   Cath., P, Isr, Isl, Orth, Mnc    // Non  //  Pas applicable  //  -

(A) de l’arrêt précité on doit déduire que certains cas d’exemption sont pratiqués de facto dans la Communauté française, en particulier avec les parents et les élèves l’égard d’une religion non reconnue (ou d’une religion reconnue pour lesquels aucun cours n’est organisé)
(B) par des circulaires, contraires à la loi depuis 1985, et même de facto (occasionnellement) depuis 1971.

 

Le problème soumis au Conseil d’Etat

Le cas soumis au Conseil d’Etat par le requérant de Pascale est différent sur un point des cas précédents. Les parents de Giulia de Pascale – le père est un chef cuisinier bien connu de la télévision – vont moins loin dans leur démarche que les parents qui avaient été requérants en Flandre : Sluijs, Davison et Vermeersch. Ces derniers gardaient avec eux leurs enfants dans l’attente d’un cours non encore offert par les options légales ou dans le simple refus pour des raisons religieuses ou philosophiques.  Apparemment suivre le cours de morale non confessionnelle semble ici, pour les de Pascale, la moins lourde option à la lumière de leur vision idéologique propre.

D’autre part, il apparaît du contexte de l’affaire (16) que les parents concernés n’agissent pas simplement pour élargir leurs possibilités de choix de l’éducation religieuse ou philosophique de leurs enfants, mais pour remettre en cause le système dans son ensemble : à savoir permettre une exemption totale mais aussi instaurer un cours obligatoire unique pour tous les élèves, en philosophie et citoyenneté (17).

Que cette perspective implique un renforcement de l’Etat en termes d’acquisition de compétences philosophiques est intéressant en soi : c’est une option fondamentale bien différentes de celle des parents impliqués dans la jurisprudence antérieure. Enfin, le contexte politique s’est profondément transformé. Le débat sur l’exemption de choix dans la communauté française s’est coulé dans un débat plus large sur l’utilité-même des cours séparés de religions/morale et sur leur remplacement par un programme obligatoire unique. Les commentaires juridiques (18) se multiplient à ce propos tant en Communauté française qu’en Flandre (19).

Pour le reste, les faits sont comparables par exemple, avec ceux du cas Sluijs (1985). Le refus de choisir est désormais accompagné d’un refus par les parents de Giulia Pascale de laisser transparaître leurs propres croyances, même par un choix négatif ou une exemption. Ils invoquent le droit au respect de la vie privé, un élément qui est pris en compte par la CEDH dans ces questions (art. 8 et 9 de la CEDH).

Ce sentiment de révéler une conviction en adhérant à un cours de morale pourtant réputé neutre, se renforce dès lors que celui-ci est constitué en alternative à des cours qui sont eux explicitement engagés. La neutralité de ce cours était communément présumée en 1959, apparemment parce que la morale non confessionnelle devait fonctionner comme cours subsidiaire obligatoire. Elle est ici réinterrogée différemment, au regard de ce que peuvent révéler des choix alternatifs qui ne seraient pas faits.

A la suite de l’affaire Sluijs, une tentative quelque peu maladroite de reneutralisation avait eu lieu par l’ancien ministre de l’Education Daniel Coens en 1986 (agissant par circulaire (20)). Il s’agissait d’un ultime effort pour restaurer les vieux équilibres du pacte scolaire dans l’enseignement flamand. Ce nouveau règlement a été accepté comme conforme en 1992 par la Commission européenne des droits de l’homme CEDH, dans sa décision Sluijs c. Belgique (21).

A cette époque cependant, était déjà en cours une nouvelle phase dans le développement de la reconnaissance de la Laïcité au Fédéral (révision Art. 181 de la Constitution) et en Flandre (préparation d’un décret sur l’inspection des cours philosophiques et la mise en responsabilité d’un organe de la Libre Pensée sur le cours de morale) : ce qui allait priver en Flandre de toute pertinence un cours de morale non confessionnelle entendu comme subsidiaire et neutre.

 

Région de Bruxelles-Capitale et enseignement des Communautés à Bruxelles

La Région de Bruxelles-Capitale bilingue est la seule qui, par définition, peut accueillir deux établissements d’enseignement qui tombent l’un sous le régime de la Communauté flamande et l’autre sous celui de la Communauté française. Cela signifie que dans cette Région l’art. 24 alinéa 1 de la Constitution garantit le droit à la fois à une dispense sur demande (= réglementation communautaire flamande) et à l’obligation de choix d’une gamme limitée de cours de religion (sans l’anglicanisme) ou de morale neutre (= réglementation de la Communauté française).

Le cas de Giulia de Pascale concerne un établissement d’enseignement dont la Ville de Bruxelles est le pouvoir organisateur. Ce Pouvoir organisateur est très particulier parce qu’il organise des écoles qui tombent sous le régime de la communauté flamande et des écoles appartenant à l’enseignement flamand. Un organe de direction similaire de l’enseignement public subventionné fonctionne dans le cadre de deux régulations différentes des cours philosophiques. Pour les parents, le résultat est frappant : la Ville de Bruxelles permet de demander une exemption si vous envoyez votre enfant dans une école flamande, mais cette exemption est refusée si vous envoyez votre enfant à l’école francophone ! Les parents de Giulia Pascale sont dans cette dernière situation. Pour obtenir satisfaction, il leur aurait suffit d’inscrire leur enfant dans une école flamande à Bruxelles. Si cela leur plaisait, bien sûr.

 

Exemption, oui ou non ? La Cour constitutionnelle à l’épreuve

Le Conseil d’Etat suit les deux requérants ainsi que le premier défendeur en posant une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle qui, une fois résolue, permettra de régler la question de l’exemption.
La question de constitutionnalité et de conformité avec la CEDH et le PIDCP porte sur l’ art. 8 de la loi du Pacte scolaire (qui fonde l’obligation de choisir) ainsi que l’art. 5 du Décret du 31 Mars 1994 établissant la neutralité de l’enseignement communautaire, qui énonce que «  Les titulaires des cours de religions reconnues et de morale inspirée par ces religions, ainsi que les titulaires des cours de morale inspirée par l’esprit de libre examen, s’abstiennent de dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles. Les cours visés à l’alinéa précédent, là où ils sont légalement organisés, le sont sur un pied d’égalité. Ils sont offerts au libre choix des parents ou des étudiants. Leur fréquentation est obligatoire. » On notera qu’en 2003, le nouveau décret du 17 décembre sur la neutralité de l’enseignement  officiel subventionné, abandonne l’expression « morale inspirée par l’esprit de libre examen » pour revenir à la seule expression consacrée par la Constitution « morale non confessionnelle ».

La question posée à la Cour constitutionnelle est: « En ce qu’ils n’impliqueraient pas le droit pour chaque parent d’obtenir sur simple demande, non autrement motivée, une dispense de suivre un enseignement de l’une des religions reconnues ou de morale non confessionnelle, l’article 8 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement dite loi sur le Pacte scolaire et l’article 5 du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté violent-ils les articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution en créant une discrimination dans l’exercice des droits et libertés consacrés par les articles 19 et 24 de la Constitution éventuellement combinés avec l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et l’article 18, § 4, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et violent-ils de surcroît directement l’ensemble de ces dispositions » ? (23).

Les questions sont pratiquement les mêmes que celles qui étaient au cœur de la jurisprudence du Conseil d’Etat des années 1980 – 1990 :
(1) L’exemption devrait-elle être possible?
Et, si la réponse est positive, quelle serait la modalité d’un régime d’exemption :
(2) L’exemption est-elle octroyée sur la base d’une simple demande ?
Ces questions ont été largement couvertes (24) dans le passé et n’ont pas besoin d’être redéveloppées ici. Quelques mises en garde suffiront pour faire comprendre ce qui est en jeu.

 

Le droit international : la jurisprudence de Strasbourg et le monitoring PIDCP de la Belgique

Le régime des cours philosophiques organisé par l’art. 24 § 1, alinéa de Constitution a déjà été reconnu pertinent par la Commission européenne des droits de l’homme dans le cas Sluijs.
La disposition de référence est ici l’art. 2 du Premier Protocole CEDH: « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement,  respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.”. « 

En 2007, le sens de cet art. 2 du Premier Protocole a encore été précisé par la Cour européenne (arrêts Folgerø et -Zengin confirmés en Septembre 2014 à l’arrêt Mansur Yalçın et Autres). A notre sens, X. Delgrange a raison dans son évaluation de la situation francophone belge à la lumière des arrêts de Strasbourg quand il conclut prudemment que la Communauté  » ne semble pas se conformer à l’exigence du respect des convictions religieuses et philosophiques des parents, consacrée par l’article 2 du Premier Protocole » (27).  Ce sera à la Cour constitutionnelle de répondre d’abord à cette question, avant que le Conseil d’Etat n’en tire à son tour les conséquences (28).

En ce qui concerne le Pacte international des droits civils et politiques, l’art. 18 prévoit (comp. art. 2 Prot. I) : “Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ». Quant au Commentaire général n°2, il énonce que “Le Comité est d’avis que le paragraphe 4 de l’article 18 permet d’enseigner des sujets tels que l’histoire générale des religions et des idées dans les établissements publics, à condition que cet enseignement soit dispensé de façon neutre et objective. La liberté des parents ou des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions, prévue au paragraphe 4 de l’article 18, est liée à la garantie de la liberté d’enseigner une religion ou une conviction proclamée au paragraphe 1 du même article. Le Comité note que l’éducation publique incluant l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de l’article 18, à moins qu’elle ne prévoie des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux voeux des parents et des tuteurs” (29).  Une possibilité d’exemption peut donc être cruciale, sans toutefois être la seule issue possible. Une série de cours de religion et de morale peut certes accommoder beaucoup de groupes, mais exclut, involontairement ou non, les petites minorités (ou les minorités internes).

Dans le rapport de monitoring PIDCP sur la Belgique en 1997 (30), cette possibilité d’exemption a été présentée comme de facto acquise auprès de la jurisprudence. Il s’agira de le vérifier en 2015…

 

Conséquences : la langue de l’enfant et la position du Centre d’action laïque

La situation des différentes organisations en charge des cours de religions/morale à Bruxelles semble appeler une solution : il demeure en effet étrange qu’à Bruxelles (et cela est dû à la répartition des compétences issues de la régionalisation/ communautarisation) ce soit la langue de l’enfant qui détermine ses droits et les droits de ses parents au regard des cours de religions/morale. La réponse de la Cour constitutionnelle aura un impact sur cette situation.

Une autre question est enfin de s’interroger sur les positions de la Libre Pensée à propos du cours de morale. Si la Cour constitutionnelle reconnaissait un droit général d’exemption, même sur simple demande, le cours de morale se verrait traité sur le même pied que les cours de religion. Si la Cour en venait plutôt à assigner au cours de morale un caractère neutre, se poserait alors la question de l’égalité de traitement entre les différentes convictions. X. Delgrange (31) l’indiquait en 2008 : les philosophies non confessionnelles reconnues auraient également « droit » à un cours engagé (et dès lors non neutre).

On terminera en rappelant que quelque soit la figure francophone ou flamande, le choix du cours de religion/morale n’identifie pas nécessairement la religion ou la conviction de l’enfant ou des parents. Ainsi l’a encore solennellement rappelé le Conseil d’Etat en octobre 2014. Le choix est ouvert à tous, sans égard aux « appartenances ». Aucune condition religieuse n’est mise à l’inscription d’un enfant dans un cours de religion. Nombreux sont en tout cas ceux à l’heure actuelle qui changent régulièrement de cours pour acquérir une expérience d’ensemble. Il reste évidemment que les parents qui souhaiteraient un cours d’une religion ou d’une philosophie non reconnues, qu’ils en soient membres ou non,  n’y trouveront pas leur compte.

Prof. Adriaan Overbeeke

Vrije Universiteit Amsterdam et UAntwerpen

1er mars 2015

Note

(1) C.E. 6 mars 2014. (de Pascale & de Thier), nr. 226627, TORB.
(2) Sur les cours de religions/morale, leur exemption, et une discussion sur des alternatives : voy. par ex. en doctrine flamande, R. VERSTEGEN, “Een nieuw vak over levensbeschouwing en ethiek in het licht van art. 24 G.W. en de fundamentele rechten en vrijheden”, TORB 2002-03, 271-290; W. POPPELMONDE, W. VAN ROOY en D. VANDENDRIESSCHE, “Leren filosoferen en levensbeschouwelijk onderricht in Vlaanderen anno 2003”, TORB 2002-03, 512-536; M. MAGITS en E. BORMS, “Ethiek en levensbeschouwing in het onderwijs”, TORB 2003-04, 220-225; M. VAN STIPHOUT, “Een nieuw ‘neutraal’ vak over levensbeschouwing en ethiek?”, TORB 2003-04, 212-225; A. OVERBEEKE, “Geloven in Straatsburg: levensbeschouwelijk onderricht en onderricht over levensbeschouwingen in het officieel onderwijs in het licht van recente EVRM-jurisprudentie” TORB 2008-09, nr. 2/3, p. 151-177; A. OVERBEEKE, “Maakt het Arbitragehof school met een eigen religie-concept? Grasduinen in de jurisprudentie over levensbeschouwelijke kwesties”, TORB 2006-07, p. 168-187;   A. OVERBEEKE, “Levensbeschouwelijk onderricht: keuzepalet en keuzevrijheid in Vlaanderen anno 2002”, TORB 2002-03, p. 115-157;  A. OVERBEEKE, “Recht op vrijstelling van het in openbare scholen aangeboden levensbeschouwelijk onderricht: een stand van zaken”, TORB 1999-2000, p. 249-266;  Voy. aussi R. VERSTEGEN, “Godsdienst en levensbeschouwing in het onderwijs in België” in H. WARNINK (ed.), Godsdienst en levensbeschouwing in het onderwijs, Leuven, Peeters, 2003, 11-32..
(3) RvS (Sluijs), nr. 25326, 14 mei 1985; RvS (Sluijs (II)), nr. 35441, 10 juli 1990;  RvS (Vermeersch), nr. 35442, 10 juli 1990;  RvS (Davison), nr. 35834, 13 november 1990 (schorsing); RvS (Davison), nr. 36726, 26 maart 1991; RvS (Lallemand), nr. 32637,  24 mei 1989. Een gedetailleerde bespreking van deze arresten (minus het arrest-Lallemand) in: A. Overbeeke (1991).
(4) M. MAGITS, « De evolutie van het niet-confessioneel levensbeschouwelijk onderricht in België. Een vrijzinnig humanistische visie. » in H. WARNINK (ed.), Godsdienst en levensbeschouwing in het onderwijs, Leuven, Peeters, 2003, 83-104.
(5) K. RIMANQUE, De levensbeschouwelijke opvoeding van de minderjarige – publiekrechtelijke en privaatrechtelijke beginselen, Brussel, Bruylant, 1980, 2 vol., 1065 p.
(6) Un régime d’exemption semble de facto assuré en Communauté française aux parents sollicitant un cours d’une religion non reconnue. Des données précises manquent toutefois.
(7) Senaat, BZ 1988, 14 juni 1988. Discuté dans A. OVERBEEKE, “Het eeuwige leven van godsdienst en moraal? De keuzeplicht opnieuw beoordeeld”, TBP 1991 (565) 567.
(8) Position de la Communauté Française, section V.1. de l’arrêt.
(9) K . RIMANQUE, “De schoolvrede in de grondwet” (opiniebijdrage) De Standaard 9 juni 1988, 2.
(10)  Omzendbrief 15 december 1988 (du Minsitre de l’Enseignement Flamand L. Vandenbossche).
(11) en 2012-2013: 2749 sur 859826 élèves. Source : http://www.ond.vlaanderen.be/onderwijsstatistieken
(12) en 2012-2013: 20 sur 23045 élèves (même source).
(13) CC 1999 (arrêt nr 42/1999,  30 mars 1999, arrest nr. 90/1999, 15 juillet 1999)
(14) CC 1993 (arrêt nr 18/1993,  4 mars 1993)
(15)  CC 2007 (arrêt nr. 110/2007, 26 juillet 2007)
(16) http://www.enseignons.be/actualites/2014/03/26/religion-morale-papa-saisit-conseil-detat/
(17)  La cause soutenue par Carlo de Pascale réside dans la question suivante: “Pourquoi faut-il que l’enseignement public organise des cours qui séparent les enfants alors qu’on pourrait envisager de proposer à tous les élèves un cours de citoyenneté, de philosophie ou d’Histoire des religions?”
(18) X. DELGRANGE, Les cours de philosophie et la Constitution. Eléments de réflexion à propos du Rapport introductif portant sur « l’introduction de davantage de philosophie dans l’enseignement, que ce soit à court ou à long terme », 2013, 17 p; H. DUMONT, Consultation sur les questions juridiques suscitées par l’éventuelle introduction d’un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions ou d’une formation au questionnement philosophique, au dialogue interconvictionnel et à la citoyenneté active dans le programme du troisième degré de l’enseignement secondaire, 2013, 16 p; M. UYTTENDAELE, Liberté, neutralité, impossibilité Intervention devant la commission de l’Éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur le caractère obligatoire des cours de morale et de religion et sur la création d’un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions, 2013, 25 p. L’arrêt renvoie à ces trois textes.
(19) voy. par ex. Voorstel van decreet houdende wijziging van het artikel 55 van het decreet van 31 juli 1990 betreffende het onderwijs-II, wat de vakken godsdienst en niet-confessionele zedenleer betreft , Parl. St. Vl. 2009-10, nr. 623/1. Voy. aussi les actions entamées par le professeur de philosophie morale de l’Université d’Anvers, P. LOOBUYCK, pour un changement plus substantiel : P. LOOBUYCK, Meer LEF in het onderwijs : levensbeschouwing, ethiek en filosofie voor iedereen, Brussel, VUBPress, 2014, 120 p; P. LOOBUYCK en L. FRANKEN, “Waarheen met de levensbeschouwelijke vakken in Vlaanderen?”, Pedagogiek: wetenschappelijk forum voor opvoeding, onderwijs en vorming, 2013, nr.2 103-118; P. LOOBUYCK, “Interculturaliteit vereist een nieuw schoolpact : pleidooi voor een onafhankelijk plichtvak over levensbeschouwing, burgerschap, ethiek en filosofie” in M.-Cl. FOBLETS (ed.), De rondetafels van de interculturaliteit, Brussel: Larcier, 2013, 271-287.
(20) Omzendbrief 2 juli 1986, ref. A2/A23.
(21) ECieRM, Sluijs t. België, nr. 17568/90, beslissing 9 september 1992.
(22) On n’examine pas ici le cas de l’enseignement francophone organisé dans les communes à facilités.
(23) La Ville de Bruxelles avait également tenté de faire adresser une question supplémentaire à la Cour constitutionnelle :  » L’article 8 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement dite loi sur le Pacte scolaire viole-t-il les articles 10, 11 et 24 de la Constitution en ce qu’en réservant deux heures de cours tout au long au long de l’obligation scolaire à l’enseignement des cours de l’une des religions reconnues ou de la morale non confessionnelle, il rend matériellement difficile, sinon impossible d’organiser un enseignement d’éducation morale ou religieuse neutre à destination de l’ensemble des élèves ? « . (cfr arret, section V.1)
(24) cfr références à la note pécédente.
(25) CourEDH 29 juin 2007, arret Folgerø c. Norvège; CourEDH 9 octobre 2007, arrêt H. & E. Zengin c. Turquie,  discuté dans: A. Overbeeke, “Geloven in Straatsburg: levensbeschouwelijk onderricht en onderricht over levensbeschouwingen in het officieel onderwijs in het licht van recente EVRM-jurisprudentie”, TORB 2008-09, nr. 2-3, 151-177.
(26) CourEDH 16 septembre 2014, arrêt Mansur Yalçın e.a. c. Turquie.
(27)  X. DELGRANGE, “La neutralité de l’enseignement en communauté française”, AP(T) 2008,(119) 142.
(28)  A.J. OVERBEEKE, “Geloven in Straatsburg: levensbeschouwelijk onderricht en onderricht over levensbeschouwingen in het officieel onderwijs in het licht van recente EVRM-jurisprudentie”, TORB 2008-09, nr. 2-3, 170.
(29)  Human Rights Committee, CCPR General Comment nr. 22 (48) concerning art. 18, U.N. Doc. ICCPR/C/21/re. 1/Add.4, 27 september, 993, randnr. 6.
(30)  Troisième rapport périodique présenté par le Gouvernement de la Belgique, ref. CCPR/C/94/Add.3 d.d. 15 octobre 1997, nr. 321. Rapport disponible sur http://www.hri.ca/fortherecord 1998/.
(31)  X. DELGRANGE, “La neutralité de l’enseignement en communauté française”, AP(T) 2008,(119) 155-156.



Scouts, religions et vivre-ensemble

smf

Développement spirituel et formes de mixités face au droit

Anciennement dénommée « Fédération des Scouts Catholiques » puis « Fédération catholique des Scouts Baden-Powell de Belgique », la Fédération des Scouts Baden-Powell de Belgique – plus communément qualifiée des « Scouts » – a été créée en 1912 et constitue la plus importante association scoute en Wallonie, aux côtés d’autres structures de mouvements de jeunesse, tant laïques, que juives, protestantes ou pluralistes.

En tant qu’il se rattache à la compétence liée à la jeunesse, le scoutisme relève, depuis la réforme institutionnelle intervenue dans les années quatre-vingt, des trois Communautés (flamande, française et germanophone) du pays. On se limitera ici à la Communauté française.

Très récemment, Mme Isabelle Simonis – Ministre de la Communauté française ayant notamment la jeunesse dans ses compétences – a été interpellée par la Députée Marie-Martine Schyns concernant la création d’une « nouvelle unité scoute » dans la ville de Verviers (1). Elle aurait pour principale particularité d’être la « première unité scoute musulmane de cette ville ». A cet égard, il faut rappeler que la fondation d’unités scoutes musulmanes – ou d’unités de toute autre confession – a été rendue possible au sein de la « Fédération des Scouts Baden-Powell de Belgique » –  ou ASBL « les Scouts » –  dans la mesure où celle-ci a perdu sa référence à la religion catholique il y a quelques années, « témoignant ainsi de son « esprit d’ouverture » », selon la formule de la Ministre.

Et la Députée de préciser sa question  : « Savez-vous, si cette unité est ouverte à tous, nonobstant les croyances religieuses ? La mixité est-elle privilégiée dans ce projet ?

Dans sa réponse, la Ministre confirme la création de cette nouvelle unité et précise que, pour l’instant, elle est exclusivement composée d’éclaireuses de 12-13 ans. En outre, elle indique que, bien que ne revendiquant aucunement la qualité d’ « unité musulmane que ce soit dans son inscription dans le mouvement ou dans l’intention des fondatrices (…) », en raison de son implantation, cette nouvelle unité est composée d’ « une grande majorité des jeunes musulmanes et certaines portent le foulard ».

Les mouvements de jeunesse n’imposent pas la mixité. En l’occurrence « il n’est pas impossible qu’une unité pour garçons soit créée à Verviers ».  En toute hypothèse, « mixité des sections n’est donc pas un objectif en soi et n’est pas recherché de manière privilégiée. L’important est de proposer aux enfants et aux jeunes des sections d’activités de différents types, des projets qui leur permettent de s’épanouir et de s’émanciper en fonction de leurs besoins ».

Plus fondamentalement, la réponse de la Ministre est intéressante en ce qu’elle se focalise sur l’idée de « vivre-ensemble », laquelle est très souvent placée en avant ces dernières années concernant la régulation et la protection du phénomène religieux. En substance, la Ministre indique que les mouvements de jeunesse « favorisent le vivre-ensemble, même si sur le terrain il existe de fortes disparités du point de vue de la diversité dans les unités, dépendant souvent de leur implantation. Pouvoir vivre ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques dans son mouvement de jeunesse fait partie de l’éducation au vivre-ensemble. La manière spécifique dont les scouts portent attention au développement spirituel des jeunes est explicitée dans leur charte ».

Alors que la Ministre concluait que « les mouvements de jeunesse sont aussi soucieux d’organiser des activités en lien avec l’environnement, dans une perspective d’ouverture et d’émancipation, et précisait qu’  » il faut travailler l’ouverture à l’autre dans tous les milieux et à tout âge », la Députée répliquait quant à elle : « J’ai entendu que cette unité scoute ne revendiquait pas une identité religieuse particulière même si sa localisation explique qu’un grand nombre de jeunes filles musulmanes la fréquentent. Outre la mixité des sexes, je souhaite insister sur la mixité des convictions religieuses. Si une unité de garçons se crée, il faudrait que des actions croisées soient organisées. En outre, il faudra veiller à ce que des convictions religieuses différentes puissent y coexister. Cette problématique est très présente dans les écoles. Elle se pose de la même manière dans les mouvements de jeunesse (…). »

La Ministre semble en fin de compte plus réservée dans ses propos que la Députée. Tout en invoquant la notion du « vivre-ensemble », la Ministre admet que les sections scoutes puissent, au gré des contextes sociologiques, ne pas être mixtes, que ce soit selon le genre ou selon la religion. En revanche, la Députée souhaite « insister » sur cette double mixité et sur la nécessité d’ « activités croisées ».

La perte du qualificatif catholique de ce mouvement scout aura donc bien vite conduit à de nouvelles interrogations sur la conception que ce mouvement entend donner au vivre-ensemble. La question est toutefois plus délicate qu’il n’y paraît en droit. Une association privée a-t-elle encore la liberté de choix de ses modes et dispositifs d’ouverture, du moins au regard de certaines conditions de subventionnement public ?

C’est en fait le Décret de la Communauté française du 26 mars 2009 fixant les conditions d’agrément et d’octroi de subventions aux organisations de jeunesse (M.B. 10 juin) qui exige des mouvements de jeunesse agréés et subventionnés de (notamment (2)) « centrer leurs activités sur le “vivre ensemble” au sein de groupes de jeunes et sur des activités collectives conçues par et pour les jeunes » (art. 7, 3°).

Si la notion de « vivre-ensemble » n’est pas expressément inscrite parmi les objectifs légitimes permettant une ingérence dans la liberté de religion au sens du second paragraphe de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle a, à plusieurs reprises, été mobilisée dans des travaux préparatoires ou par la jurisprudence belge et strasbourgeoise à l’endroit du phénomène religieux. A cet égard, l’on se souviendra notamment que, dans son arrêt rendu le 6 décembre 2012 sur recours en annulation à l’encontre de la loi surnommée « anti-burqa », la Cour constitutionnelle de Belgique, rappelant que « les travaux préparatoires de la loi attaquée font apparaître que trois objectifs ont été poursuivis : la sécurité publique, l’égalité entre l’homme et la femme et une certaine conception du ‘‘vivre-ensemble’’ dans la société » (B.17), avait estimé que « de tels objectifs sont légitimes et entrent dans la catégorie de ceux énumérés à l’article 9 de la Convention (…) que constituent le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui » (B.18). Jugeant que « le législateur a également motivé son intervention par une certaine conception du ‘‘vivre ensemble’’ dans une société fondée sur des valeurs fondamentales qui, à son estime, en découlent », la Cour constitutionnelle avait conclu à la constitutionnalité de la loi.

De la même manière, la lecture des travaux préparatoires de la loi française interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public révèle que « si la dissimulation volontaire et systématique du visage pose problème, c’est parce qu’elle est tout simplement contraire aux exigences fondamentales du ‘‘vivre ensemble’’ dans la société française ».

A son tour, la Cour européenne des droits de l’homme avait été amenée, à l’occasion de l’affaire S.A.S. c. France, à se prononcer sur la validité des lois française et belge emportant l’interdiction du port du voile intégral. Dans son arrêt rendu le 1er juillet 2014, la Cour avait estimé que « ce que le Gouvernement qualifie de ‘‘respect des exigences minimales de la vie en société’’ – le ‘‘vivre ensemble’’, dans l’exposé des motifs du projet de loi (…) peut se rattacher au but légitime que constitue la ‘‘protection des droits et libertés d’autrui’’ » (§ 121). Indiquant que « il entre assurément dans les fonctions de l’État de garantir les conditions permettant aux individus de vivre ensemble dans leur diversité » (§ 141), la Cour de Strasbourg avait conclu que « l’interdiction litigieuse peut être considérée comme justifiée dans son principe dans la seule mesure où elle vise à garantir les conditions du ‘‘vivre ensemble’’ » (§ 142) et que l’interdiction posée par les lois française et belge pouvait « passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la préservation des conditions du ‘‘vivre ensemble’’ en tant qu’élément de la ‘‘protection des droits et libertés d’autrui’’ ».

Si les enjeux purement sécuritaires auraient pu être préférés à la notion de « vivre-ensemble » pour justifier les lois visant à interdire le port de vêtements couvrant le visage et que ces enjeux ne sont évidemment pas transposables à la situation du scoutisme (3), en tout état de cause ce parallèle est-il révélateur d’un nouveau concept de plus en plus employé à l’égard du phénomène religieux. Ce nouveau concept – à savoir le « vivre-ensemble » –, qui est validé par les cours constitutionnelles nationales et par la Cour européenne des droits de l’homme, témoigne des nouvelles préoccupations des autorités publiques.

Quelles adaptations sont-elles toutefois nécessaires pour appliquer ce concept à la vie interne d’une association privée, plutôt qu’aux structures publiques ? Cette question est d’autant plus sensible que la Cour de Strasbourg a pris la peine de souligner « la flexibilité de la notion de « vivre ensemble » et le risque d’excès qui en découle » (§122). L’Etat pourrait-il par exemple réinterpréter d’autorité les modalités de « développement spirituel des jeunes » visée par la Charte du mouvement, pour imposer par exemple « des activités spirituelles communes » ou encore requérir certaines abstentions (quand bien même elles ne seraient pas requises par la loi pénale) ? Jusqu’où l’autorité publique pourrait-elle à toute le moins ériger cette exigence de pratiques interreligieuses en condition de subventionnement ?

La liberté d’association constitue assurément une limite envers certaines instrusions des autorités publiques, mais diverses figures et divers niveaux doivent être distingués, notamment en matière de subventionnement public. L’on rappellera notamment que la section de législation du Conseil d’Etat a considéré qu’ « en soi, rien ne s’oppose à ce qu’une autorité publique confie une mission d’intérêt général à des associations ou des organismes constitués sous une forme de droit privé et à ce que, à cette occasion, elle prenne, sous le couvert de conditions d’agrément et d’octroi de subventions (…) des dispositions lui permettant d’assurer que les missions remplies par ces associations ou organismes correspondent bien aux missions d’intérêt général qu’elle leur confie. Toutefois, il ne peut être admis, au regard du principe de la liberté d’association, que, fût-ce sous le couvert de conditions d’agrément ou d’octroi de subvention, l’autorité publique en vienne à fixer des règles affectant profondément l’existence, l’organisation et le fonctionnement d’associations de droit privé ou à imposer aux activités de ces associations des contraintes telles que celles-ci, parce qu’elles n’auraient d’autre choix que de devenir de simples exécutants de la politique décidée par l’autorité, seraient dénaturées dans leur existence même».

Appliqué à la situation spécifique des ASBL comme l’ASBL « Les Scouts », ceci implique notamment de s’interroger sur la portée, en matière religieuse ou philosophique, des conditions de subvention fixées par le Décret du 26 mars 2009, déjà évoqué et, notamment par exemple, sur l’exigence éventuelle d’assurer des activités spirituelles communes ou interreligieuses pour les jeunes ?

Aujourd’hui les activités et rencontres communes développées à l’initiative des mouvements de jeunesse ne manquent pas. « Un développement spirituel actif et ouvert à la différence » est proposé par bien des mouvements. Il s’agira seulement de se demander jusqu’où l’Etat pourrait imposer et structurer de tels contenus au travers d’une politique de subventionnement. . Ainsi, le fait d’imposer ou de définir des activités interreligieuses au sein d’un mouvement reviendrait-il – pour reprendre les termes du Conseil d’Etat – à « fixer des règles affectant profondément l’existence, l’organisation et le fonctionnement » des ASBL, auquel cas semblables critères ne sauraient être admis ?

Stéphanie Wattier

Aspirante du F.R.S-FNRS à l’UCL

Pour aller plus loin

Le droit américain consacre une vaste littérature à l’autonomie des mouvements de jeunesse, et à ses limites. Voy. par exemple,

  • Reuveni, Erez, « On Boy Scouts and Anti-Discrimination Law: The Associational Rights of Quasi-Religious Organizations » , Boston University Law Review, Vol. 86, No. 1, 2006.
  • Varela, Paul, « Scout is Friendly: Freedom of Association and the State Effort to End Private Discrimination », William and Mary Law Review, Vol. 30, Issue 4 (1989), 919-956.
  • Upton, R.J., « Fighting The Boy Scouts Of America’s Discriminatory Practices By Revoking Its State-Level Tax-Exempt Status »,  2001  50 Am. U.L. Rev. 793.

Notes

(1) Doc. parl., Parl. Comm. fr, question de Marie-Martine Schyns à la Ministre Isabelle Simonis, sess. ord. 2014-2015, CRIc. N° 70-Ens prom9, p. 8.

(2) Décret du 26 mars 2009 fixant les conditions d’agrément et d’octroi de subventions aux organisations de jeunesse (M.B. 10 juin)

Extraits (…) Art. 3 Le Gouvernement agrée et subventionne, dans la limite des crédits budgétaires disponibles, les O.J. actives dans le cadre des politiques de Jeunesse et socioculturelle, qui respectent les finalités visées à l’article 4 et remplissent, sans préjudice des conditions particulières visées aux articles 6 à 10, les conditions générales d’agrément visées à l’article 5.

Section Ire. Finalités
Art. 4 Les O.J. sont des associations de personnes physiques ou morales qui poursuivent les finalités suivantes:

1° favoriser le développement d’une citoyenneté responsable, active, critique et solidaire chez les jeunes par une prise de conscience et une connaissance des réalités de la société, des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique ainsi que la mise en œuvre et la promotion d’activités socioculturelles et d’Education permanente;
2° s’inscrire dans une perspective d’égalité, de justice, de mixité, de démocratie et de solidarité, perspective qui se réfère au plein exercice, pour tous, des droits et des principes contenus dans:

a) la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950;
b)  la Convention internationale des Droits de l’Enfant adoptée le 20 novembre 1989 par l’Assemblée générale des Nations unies;
c) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York le 19 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies;
d) le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté à New-York le 19 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies;

3° favoriser la rencontre et l’échange entre les individus, les groupes sociaux et les cultures, dans toute leur diversité;
4° s’inscrire dans des pratiques de démocratie culturelle par le biais de processus d’Education permanente permettant aux jeunes, à partir de leurs réalités vécues, d’élaborer, d’échanger leur lecture de la société et leur vision du monde et d’agir collectivement;
5° proposer aux jeunes des espaces qui soient des lieux d’émancipation, d’expérimentation, d’expression, d’information et de réflexion, en règle éloignés de tout but de lucre et favorisant l’éducation active par les pairs;
6° rendre compte de la manière dont elles associent effectivement les jeunes à la poursuite de leurs finalités.

Les O.J. qui sont reconnues et subventionnées dans le cadre du présent décret ne peuvent pas être reconnues dans le cadre du décret du 17 juillet 2003 relatif au soutien de l’action associative dans le champ de l’Education permanente.

(…)

Sous-section II. La catégorie des “mouvements de jeunesse”

Art. 7 – Afin d’être agréées en tant que mouvements de jeunesse, les O.J. respectent les conditions particulières suivantes:

1° privilégier le mode d’action de l’animation directe des jeunes, impliquant un contact direct avec ceux-ci, à travers des espaces de vie et d’expérimentation en leur permettant de mettre en œuvre les actions et les projets qu’ils souhaitent;
2° se caractériser par l’adhésion de membres dont le parcours au sein de l’O.J. s’inscrit dans la régularité et la durée;
3° centrer leurs activités sur le “vivre ensemble” au sein de groupes de jeunes et sur des activités collectives conçues par et pour les jeunes;
4° centrer leurs pratiques sur la construction d’attitudes, de savoirs et de compétences par l’action, la vie quotidienne avec les pairs, la mise en œuvre d’un projet pédagogique permanent d’animation, la visée éducationnelle dans toutes les dimensions de la personne et l’ancrage dans les réalités locales;
5° apporter un soutien aux groupes locaux et encourager la communication et la coopération entre ceux-ci;
6° exercer leurs activités sur au moins trois des six zones d’actions, dans lesquelles elles comptent au minimum 5 groupes locaux par zone d’actions et compter au moins 25 groupes locaux et 1500 jeunes. « 

(3) Comp. toutefois, au sein du même Décret du 26 mars 2009 : (…) Section IV. Le dispositif particulier de soutien aux actions d’interpellation et de lutte active contre les mouvements extrémistes : Art. 23 Sont admises dans le dispositif particulier de soutien aux actions d’interpellation et de lutte active contre les mouvements extrémistes, ci-après dénommé le « dispositif », les O.J., qui, dans le cadre de leur plan d’actions quadriennal, établissent et mettent en ouvre une programmation d’actions spécifiques tendant à lutter contre tous mouvements qui montrent de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants leur hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955 et par les protocoles additionnels à cette convention, et visée ci-après. (…)



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