Sous le regard des scientifiques étrangers

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Le contrôle scientifique du droit belge des cultes sous le regard des (futurs) experts étrangers

Sans doute, les politiques locales donnent-elles trop aisément à leurs propositions des dimensions de principe quasi cosmiques à ce qui en définitive ne correspond qu’à des luttes tribales  incompréhensibles à l’extérieur. Mais autant la souveraineté d’un Etat est-elle décisive dans les particularismes des droits des cultes, autant la Belgique demeure-t-elle un laboratoire original du pluralisme européen. De nombreux dispositifs scientifiques assurent de façon régulière l’évaluation comparée de droit des cultes et de leurs évolutions et prennent la mesure des bonnes et mauvaises pratiques en cours dans chaque pays. Distincts des processus de monitoring internationaux (comme ceux de l’ONU, de l’OSCE, du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne, ou liés à des conventions spécialisées),  les processus universitaires assurent eux-aussi une confrontation des modélisations juridiques nationales en Europe et dans le monde. Des associations spécialisées comme l’International Consortium on Law and Religion Studies (ICLARS), ou le European Consortium Church and State, ou encore le réseau européen EUREL, ou américain lié au ICLRS,  conduisent de façon périodique à soumettre le droit belge et ses évolutions au regard des juristes universitaires étrangers. Certes dépourvus de moyens de contraintes politiques, ces réseaux contribuent néanmoins à diffuser au plan européen et mondial les instruments critiques qui assureront à leur tour la formation des futurs juristes à travers des dizaines de pays, et à partir de là les futurs politiques, chercheurs et évaluateurs internationaux de demain. Il en va également ainsi de programmes pour doctorants, qu’il s’agisse du Programme européen Gratianus lancé en 1992 par les Universités de Paris XI et de la Faculté de droit canonique de Paris, ou du réseau de doctorants Law and Religion Scholars Network (LARSN)  mis en place en 2008 par le Prof. Norman Doe, au Centre Law and Religion de l’Université de Cardiff.

Conférence « Law and Religion » (Université de Cardiff, 11 mai 2015)

Le 11 mai 2015 a eu lieu la Conférence annuelle « Law and Religion Scholars Network » à l’Université de Cardiff (Royaume-Uni). Chaque année, la Conférence LARSN a pour objectif l’exposé, par des chercheurs et académiques d’Universités du monde entier, de questions et problématiques touchant fondamentalement la thématique « droit et religion ». Elle permet, en outre, un riche moment de débat entre les différents intervenants et le public.

A l’occasion de la Conférence de ce 11 mai 2015, treize intervenants issus des quatre coins du monde (Canada, Singapour, Australie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Grèce, Italie, Espagne, Finlande,…) ont pris la parole.

Le premier panel du matin fut animé par le Professeur Javier García Olivia. Après un exposé d’Elisabeth A. Diamantopoulou relativement à « The controversy over religious blasphemy in contemporary Greece: the (case) law, judges’ role and civil society » , Andrew Hambler présenta la problématique « Regulating “Religious Speech” at work » au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Quant à Dawid Bunikowski, il s’enquit de l’ambitieuse et délicate question de savoir « Why is Russia violating religious freedom and freedom of expression? Philosophical-historical-theological-legal-political analysis ». Enfin, Yossi Nehushtan fit la promotion de son nouveau livre intitulé « Intolerant Religion in a Tolerant-Liberal Democracy ».

Le second panel matinal fut conduit par Helen Hall, qui céda d’abord la parole à Arif Jamal concernant « Liberal theory, religious plurality and Asian contexts: conflict or confluence? ». Ensuite, à mi-chemin entre le droit constitutionnel et le droit des religions, Luke Beck présenta « Excluding Dangerous Religions from the Protection of the Religious Tests Clause of the Australian Constitution ». A son tour, Megan Pearson exposa « Individual Belief and Indirect Discrimination after Mba », l’affaire Mba v London Borough of Merton (2013) concernant une croyante fermement convaincue que le dimanche est un jour de repos religieux et non un jour de travail et se plaignant de ce que son licenciement était constitutif d’une discrimination religieuse indirecte. Enfin, Erica Howard se pencha sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres en exposant « Clashing rights? Freedom of religion or belief and equality for LGBT people ».

Le panel de l’après-midi fut animé par le Professeur Norman Doe. Après un exposé de Stéphanie Wattier concernant « Funding of religions in Belgium: implementing a “tax assignment system” to reach more equality and democracy? », au départ des expériences espagnole et italienne, Carys Moseley présenta, au moyen de nombreuses statistiques, « How and why is Wales different from and similar to the rest of the UK as regards ‘religion and law’ issues? ». A son tour, Diana Ginn montra les implications en matière religieuse de « The Canadian Charter of Rights and Freedoms ». Puis, Leon van den Broeke se préoccupa du régime juridique des crémations aux Pays-Bas depuis l’origine en présentant « Disposal of the Body: Dutch Funeral Law ». Enfin, la journée s’acheva par un exposé de Caroline Roberts concernant « A strange society of silent animals…” What is the significance of the forum internum in Article 9 of the European Convention of Human Rights? », spécialement sur le volet de la liberté « négative » de religion.

La Conférence de l’année prochaine aura la particularité de s’inscrire dans la semaine du « Cardiff Festival on Law and Religion », qui sera notamment l’occasion de célébrer le 25ème anniversaire du LLM en droit canon de l’Université de Cardiff. La Conférence aura lieu les 5 et 6 mai 2016. D’ores et déjà, le rendez-vous est pris…

Stéphanie Wattier
Aspirante du F.R.S.-FNRS à l’UCL



Une dispense non dispensatoire

Coursreligion

 

La publicité francophone sur la dispense des cours de morale inspirée de l’esprit de libre examen  (et de religions reconnues)

La Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 12 mars 2015, après avoir relevé ce qu’elle estime être une perte de neutralité du cours de morale, énonce que « (B.7.1) Dans cette situation, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme précitée que, pour que soit assuré le droit des parents à ce que leurs enfants ne soient pas confrontés à des conflits entre l’éducation religieuse ou morale donnée par l’école et les convictions religieuses ou philosophiques des parents, les élèves doivent pouvoir être dispensés de l’assistance au cours de religion ou de morale. B.7.2. En outre, afin de protéger leur droit à ne pas divulguer leurs convictions religieuses ou philosophiques, qui relèvent avant tout du for intérieur de chacun (CEDH, 9 octobre 2007, Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, § 73), la démarche à accomplir en vue d’obtenir cette dispense ne pourrait imposer aux parents de motiver leur demande de dispense et de dévoiler ainsi leurs convictions religieuses ou philosophiques (CEDH, 9 octobre 2007, Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, § 76; 16 septembre 2014, Mansur Yalçin et autres c. Turquie, §§ 76-77). »

On rappellera encore que l’arrêt ne concerne que les régimes scolaires soumis ou adhérents au Décret neutralité du 30 mars 1994, validant de iure un « cours de morale inspirée de l’esprit de libre examen ». Il n’en va pas de même des régimes soumis au décret du 17 décembre 2003, exempts de l’arrêt dès lors qu’ils s’en tiennent à un cours de morale « non confessionnelle ». La dispense n’est dès lors pas à ce jour nécessaire pour ces derniers régimes, à défaut de toute position nouvelle du Conseil d’Etat concernant leur contenu de facto.

Le choix des cours de religions ou morale ne révèle pas les convictions : position constante du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle

Dans son raisonnement la Cour ne remet pas en cause le caractère en principe obligatoire des cours philosophiques. Elle ne les transforme pas en cours facultatifs, mais prévoit la possibilité, par exception, d’une « démarche à accomplir en vue d’obtenir une dispense ». C’est cette démarche que la Cour entend « immuniser contre le dévoilement des convictions religieuses ou philosophiques ». A contrario, laissant subsister le système des cours philosophiques, la Cour confirme une jurisprudence constante du Conseil d’Etat selon laquelle le choix d’un cours de religion n’implique per se aucune révélation des convictions intimes des parents ou de leurs enfants. Le choix des cours est de nature purement cognitif, et n’implique aucune adhésion convictionnelle ni appartenance religieuse. Tous les cours sont ouverts au choix de tous les enfants, quelle que soit leur religion ou conviction.  Le choix d’un des cours reconnus n’est qu’un choix « administratif » ne révélant rien de plus que d’autres choix scolaires. Ainsi, choisir le cours d’anglais plutôt que de néerlandais, n’est pas tenu comme révélateur d’une option politique sur l’avenir de la Belgique ou sur la loyauté démocratique envers un Etat plurilingue, ni sur les origines linguistiques des parents.   La fluctuation des choix des cours philosophiques d’une année à l’autre est un autre indice en croissance : des parents de plus en plus nombreux souhaitant pour leur enfant une connaissance la plus diverse possible des univers de sens qui s’offrent à eux, changent leur enfant de cours. Cela ne signifie en rien qu’ils se convertissent multiplement, ce qui serait certes leur droit, mais qui n’est en rien « révélé » par la fluctuation de leur choix. Voir répéter par le presse que le choix d’un cours de religion ou de morale « révèle des convictions » est une erreur, — et parfois une faute — de communication. C’est en tout cas trahir nettement la position bien circonscrite de la Cour constitutionnelle.

La demande de dispense « non autrement motivée »

Dans ses premiers contentieux, la demande de dispense fut historiquement liée à une révélation des convictions, notamment par des parents adhérant à des cultes non reconnus et qui pour cette raison sollicitaient une exemption et la justifiaient explicitement. C’est ce système de révélation narrative de convictions cette fois intimes des demandeurs qu’entend écarter la Cour constitutionnelle. C’est ce qu’a bien compris la Flandre dès la formalisation du système d’exemption qu’elle a mis en place, sans publicité aucune, au début des années 1990 : les parents demandeurs ne doivent à aucun moment indiquer leurs convictions ou appartenances alternatives qui justifieraient l’exemption de leur enfant. L’exemption flamande s’obtient sur « simple demande non autrement motivée », ce qui n’empêche pas la Flandre d’attendre de la part des parents l’engagement de fournir à leur enfant, pendant une durée similaire, une formation philosophique ou religieuse de leur goût, une fois encore sans obligation ni possibilité d’identifier ce dernier.

L’absence de pression quelconque dans le choix des cours s’étend à la dispense

Au moment où une circulaire 5236 du 15 avril 2015 organise un sondage auprès des parents de l’enseignement public sur les choix qu’ils opéreraient à la rentrée prochaine en vue de préparer les dispositifs qui s’imposeraient selon les flux, la presse fait écho d’une plainte adressée à la Ministre contre un tract de l’association militante FAPEO invitant les parents à systématiquement opter pour l’exemption, en vue notamment d’ « envoyer un signal fort pour une réforme des cours de religion et de morale, plutôt qu’une demande de dispense ». Si la liberté d’expression garantit à chaque association de développer sa propre militance, il en va différemment lorsque cette association écrit également aux directeurs d’établissement en vue de leur faire joindre le tract au formulaire ministériel. Selon le texte de la plainte communiqué par la Presse, il en irait là d’une infraction formelle à la loi du Pacte scolaire, art. 8, obligatoire rappelée par les circulaires : « Conformément à la loi, le choix des parents entre ces cours est entièrement libre. Il est formellement interdit à quiconque d’exercer une pression à cet égard, quelle qu’elle soit. » La Ministre a pris position le 29 avril au Parlement de la Communauté française : « Je travaille volontiers avec la FAPEO, le CECP et le Cpeons mais je ne peux accepter que ces fédérations de pouvoirs organisateurs demandent aux directeurs d’école d’écrire aux parents pour les inciter à opter pour la dispense, en ajoutant que celle-ci renvoie automatiquement vers le cours de citoyenneté alors qu’il est encore dans les limbes. Cette démarche bafoue le principe de neutralité et elle est sanctionnable sur la base de l’article 24 du Pacte scolaire. Les personnes peuvent écoper de peines disciplinaires et les écoles peuvent se voir retirer 5 % de leur subvention. Ce n’est pas nécessairement ce dont j’ai envie. Je n’entends pas, je le répète, me lancer dans une polémique. Demain, quoi qu’il arrive, une nouvelle circulaire sera envoyée aux directeurs pour leur rappeler qu’ils sont obligés de nous retourner le seul et unique formulaire qui leur a été transmis et qu’aucune pression ne peut être exercée à l’égard de quiconque. Nous voulons simplement connaître le nombre de dispenses sollicitées pour pouvoir préparer l’encadrement » (°).

Choix éclairé, mal informé ou désinformé  ? (°)

Recommander le choix de la dispense a fait l’objet d’autres critiques dans la presse et au Parlement pour mésinformation ou du moins manque d’information.  Il apparaît en effet  tant de la Constitution que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ou encore de la pratique flamande et tout simplement de la règlementation de l’obligation scolaire, que les enfants dispensés ne peuvent précisément pas se croire déliés de tout cadre pédagogique ou de tout travail personnel soumis à évaluation et notes de passage. Ils « devront bosser » indique le Journal le Soir. Laisser croire qu’il s’agirait de choisir entre étudier ou paresser, voire quitter l’école, pourrait orienter le choix faussement ou du moins imprudemment, dès lors que seraient tues ou ignorées les conséquences de ce choix. Sur ce point également, la Ministre a confirmé une obligation organisée pour les élèves dispensés (°).

La réinvention d’un dispositif résiduaire neutre

Reste encore à imaginer si les élèves dispensés ne devraient pas suivre un enseignement  spécifique, qui assure à tout le moins les fonctions qui étaient dévolues précédemment au cours de morale non confessionnelle, tenu pour neutre et résiduaire.

Louis-Leon Christians
Professeur à l’UCL – Chaire de droit des religions

(°) Voy. le Débat thématique: «Envoi de la circulaire 5236 de Mme la ministre Milquet sur les cours philosophiques », Parl. Cté Fr., Session 2014-2015, 29 avril 2015, CRI N°13, pp. 26-36, et la réponse de la Ministre : (autres extraits) : (…) « Nous avons simplement indiqué dans le formulaire de l’administration la possibilité d’une dispense. On aurait pu cacher la possibilité d’une telle option, ou l’écrire en caractères minuscules. Non, nous signalons clairement que les enfants qui choisissent cette option auront droit à un encadrement pédagogique dans l’établissement. Il n’était pas possible de décrire en détail dans ce formulaire tout le contenu de cet encadrement, car nous devons respecter l’autonomie des établissements. De plus ce formulaire a été préparé en mars, immédiatement après la publication de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, nous n’avions pas le temps de réfléchir à ce qui pouvait être repris dans cet encadrement. Si nous l’avions détaillé, nous aurions subi les critiques des établissements: nous n’avons pas le personnel, avec quel argent, etc. La seule chose que je tiens à dire maintenant est qu’il y aura un encadrement et que cela ne se limitera pas à de la surveillance. Nous allons trouver une solution qui soit praticable. De toute manière pour prendre une décision, il fallait que les établissements aient une idée du nombre d’élèves qui demanderont cette dispense. Certains semblent se croient revenus soixante ans en arrière, durant la guerre scolaire! Moi, je vis en 2015, je travaille pour l’avenir dans l’ouverture. Il n’y a pas de manipulation, juste une volonté de transparence. Quel que soit le pourcentage de demandes de dispenses, on assumera, que ce soit 50 ou 10 pour cent. Si nous n’avions rien fait, on nous aurait reproché de ne pas prendre à temps les mesures nécessaires. La fable de Lafontaine Le meunier, son fils et l’âne semble toujours d’actualité. Restons rationnels! »



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