Expulsion d’imams radicaux 28 juillet
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Une sanction spécifique pour les imams étrangers
Le Secrétaire d’Etat ayant l’Asile et la Migration dans ses compétences a récemment décidé de signer un arrêté d’expulsion à l’encontre d’un imam en raison de ce que ce dernier aurait tenu des propos incitant à la haine.
Arrivé sur le territoire belge en 2006 avec un permis de travail, l’imam expulsé, qui a la double nationalité marocaine et néerlandaise, est marié et a quatre enfants qui vivaient avec lui dans la région de Verviers.
Ces derniers jours, la presse indiquait que « les imams étrangers sont surveillés de près par la Sûreté de l’Etat » et que, dans le cas de l’imam de Verviers, ce sont « des prêches incitant à la haine » qui lui étaient reprochées, « mais aussi une sympathie prononcée pour Mohammed Merah, jeune Toulousain qui en 2012 avait tué sept personnes dont trois enfants à Toulouse et à Montauban » .
A côté de cette expulsion, il semble que plusieurs autres dossiers d’imams radicaux seraient actuellement étudiés par le Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration.
Finalement, il faut remarquer que cette expulsion d’imam étranger constitue une grande première en Belgique.
Quelle procédure juridique ?
A titre liminaire, il convient de rappeler que l’arrêté d’expulsion du Secrétaire d’Etat n’aura d’effet juridique que lorsqu’il aura été signé par le Roi et notifié à l’imam concerné. En vertu de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, l’imam aura alors trente jours pour quitter le territoire belge et ne pourra plus y revenir pendant dix ans.
S’agissant du fondement juridique précis de l’expulsion, l’arrêté royal n’ayant pas encore été signé par le Roi et n’étant, dès lors, pas encore publié au Moniteur belge, il est difficile d’affirmer avec certitude sur quelle base légale l’imam sera expulsé. L’on peut néanmoins émettre l’hypothèse de la violation de l’ordre public ou de la sécurité nationale. En l’occurrence, les articles 20 et suivants de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers prévoient une procédure d’expulsion des étrangers qui auraient porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale. Dans pareille hypothèse, l’article 22 prévoit que « le Ministre peut lui enjoindre de quitter des lieux déterminés, d’en demeurer éloigné ou de résider en un lieu déterminé ». L’article 26 dispose, quant à lui, que « les arrêtés de renvoi ou d’expulsion comportent interdiction d’entrer dans le Royaume pendant une durée de dix ans, à moins qu’ils ne soient suspendus ou rapportés ».
Il faut, par ailleurs, noter que l’article 20 prévoit que « le renvoi ne pourra être ordonné qu’après l’avis de la Commission consultative des étrangers ». En l’espèce, la presse semble indiquer que la Commission aurait rendu un avis contraire à l’expulsion . Il reste que les avis de cette Commission ne sont pas juridiquement contraignants et qu’il est donc toujours loisible au Secrétaire d’Etat de s’en écarter.
Quelle liberté d’expression pour les imams étrangers face à la protection de la sécurité nationale ?
La principale difficulté que soulèvent les dossiers touchant aux expulsions d’imams étrangers – et de tout autre ministre du culte étranger à l’égard duquel un reproche sur le contenu de ses prêches est formulé – résulte de ce que l’article 20, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers dispose que « les arrêtés de renvoi et d’expulsion doivent être fondés exclusivement sur le comportement personnel de l’étranger et ne peuvent être justifiés par des raisons économiques. Il ne peut lui être fait grief de l’usage conforme à la loi qu’il a fait de la liberté de manifester ses opinions ou de celle de réunion pacifique ou d’association ».
Dans le cas de l’imam de Verviers, la question se pose donc fondamentalement de savoir s’il a – ou non – outrepassé le seul cadre de la liberté d’expression et s’il faut véritablement considérer que son comportement a porté atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public.
Une fois que l’arrêté d’expulsion lui aura été notifié, l’imam pourrait décider d’introduire un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers afin que ce dernier opère la balance des intérêts entre la liberté d’expression et la protection de l’ordre public.
Si l’on ne peut préjuger de la façon dont la justice tranchera éventuellement cette affaire, il faut encore préciser que l’article 268 du Code pénal prévoit que « seront punis d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six euros à cinq cents euros, les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ». A l’inverse de la loi de 1980, cette disposition s’applique à tous les ministres des cultes, qu’ils soient belges ou étrangers, et qu’ils se rattachent à un culte reconnu ou non reconnu.
Finalement, on se souviendra ici que l’assemblée générale de la section de législation du Conseil d’Etat a estimé récemment que l’obligation imposée par l’Etat de renier une loi religieuse (en l’occurrence la Charia) comme condition de naturalisation était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et, partant, a fait prévaloir la liberté de parole, de pensée, de conscience et de religion sur la « supériorité de la loi étatique » (sic) parfois trop rapidement brandie … Seule un abus spécifique, bien identifié pourrait fonder une limitation au droit d’exprimer une opinion religieuse, comme par exemple le cas d’incitation explicite à la haine, à la violence ou à la discrimination.
Stéphanie Wattier
Aspirante du F.R.S.-FNRS à l’UCL