Expulsion d’imams radicaux

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Une sanction spécifique pour les imams étrangers

Le Secrétaire d’Etat ayant l’Asile et la Migration dans ses compétences a récemment décidé de signer un arrêté d’expulsion à l’encontre d’un imam en raison de ce que ce dernier aurait tenu des propos incitant à la haine.

Arrivé sur le territoire belge en 2006 avec un permis de travail, l’imam expulsé, qui a la double nationalité marocaine et néerlandaise, est marié et a quatre enfants qui vivaient avec lui dans la région de Verviers.

Ces derniers jours, la presse indiquait que « les imams étrangers sont surveillés de près par la Sûreté de l’Etat » et que, dans le cas de l’imam de Verviers, ce sont « des prêches incitant à la haine » qui lui étaient reprochées, « mais aussi une sympathie prononcée pour Mohammed Merah, jeune Toulousain qui en 2012 avait tué sept personnes dont trois enfants à Toulouse et à Montauban » .

A côté de cette expulsion, il semble que plusieurs autres dossiers d’imams radicaux seraient actuellement étudiés par le Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration.

Finalement, il faut remarquer que cette expulsion d’imam étranger constitue une grande première en Belgique.

Quelle procédure juridique ?

A titre liminaire, il convient de rappeler que l’arrêté d’expulsion du Secrétaire d’Etat n’aura d’effet juridique que lorsqu’il aura été signé par le Roi et notifié à l’imam concerné. En vertu de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, l’imam aura alors trente jours pour quitter le territoire belge et ne pourra plus y revenir pendant dix ans.

S’agissant du fondement juridique précis de l’expulsion, l’arrêté royal n’ayant pas encore été signé par le Roi et n’étant, dès lors, pas encore publié au Moniteur belge, il est difficile d’affirmer avec certitude sur quelle base légale l’imam sera expulsé. L’on peut néanmoins émettre l’hypothèse de la violation de l’ordre public ou de la sécurité nationale. En l’occurrence, les articles 20 et suivants de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers prévoient une procédure d’expulsion des étrangers qui auraient porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale. Dans pareille hypothèse, l’article 22 prévoit que « le Ministre peut lui enjoindre de quitter des lieux déterminés, d’en demeurer éloigné ou de résider en un lieu déterminé ». L’article 26 dispose, quant à lui, que « les arrêtés de renvoi ou d’expulsion comportent interdiction d’entrer dans le Royaume pendant une durée de dix ans, à moins qu’ils ne soient suspendus ou rapportés ».

Il faut, par ailleurs, noter que l’article 20 prévoit que « le renvoi ne pourra être ordonné qu’après l’avis de la Commission consultative des étrangers ». En l’espèce, la presse semble indiquer que la Commission aurait rendu un avis contraire à l’expulsion . Il reste que les avis de cette Commission ne sont pas juridiquement contraignants et qu’il est donc toujours loisible au Secrétaire d’Etat de s’en écarter.

Quelle liberté d’expression pour les imams étrangers face à la protection de la sécurité nationale ?

La principale difficulté que soulèvent les dossiers touchant aux expulsions d’imams étrangers – et de tout autre ministre du culte étranger à l’égard duquel un reproche sur le contenu de ses prêches est formulé – résulte de ce que l’article 20, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers dispose que « les arrêtés de renvoi et d’expulsion doivent être fondés exclusivement sur le comportement personnel de l’étranger et ne peuvent être justifiés par des raisons économiques. Il ne peut lui être fait grief de l’usage conforme à la loi qu’il a fait de la liberté de manifester ses opinions ou de celle de réunion pacifique ou d’association ».

Dans le cas de l’imam de Verviers, la question se pose donc fondamentalement de savoir s’il a – ou non – outrepassé le seul cadre de la liberté d’expression et s’il faut véritablement considérer que son comportement a porté atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public.

Une fois que l’arrêté d’expulsion lui aura été notifié, l’imam pourrait décider d’introduire un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers afin que ce dernier opère la balance des intérêts entre la liberté d’expression et la protection de l’ordre public.

Si l’on ne peut préjuger de la façon dont la justice tranchera éventuellement cette affaire, il faut encore préciser que l’article 268 du Code pénal prévoit que « seront punis d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six euros à cinq cents euros, les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ». A l’inverse de la loi de 1980, cette disposition s’applique à tous les ministres des cultes, qu’ils soient belges ou étrangers, et qu’ils se rattachent à un culte reconnu ou non reconnu.

Finalement, on se souviendra ici que l’assemblée générale de la section de législation du Conseil d’Etat a estimé récemment que l’obligation imposée par l’Etat de renier une loi religieuse (en l’occurrence la Charia) comme condition de naturalisation était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et, partant, a fait prévaloir la liberté de parole, de pensée, de conscience et de religion sur la « supériorité de la loi étatique » (sic) parfois trop rapidement brandie … Seule un abus spécifique, bien identifié pourrait fonder une limitation au droit d’exprimer une opinion religieuse, comme par exemple le cas d’incitation explicite à la haine, à la violence ou à la discrimination.

Stéphanie Wattier
Aspirante du F.R.S.-FNRS à l’UCL



le prosélytisme n’est pas un abus en soi

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Les récents attentats en France et en Tunisie ont, une fois encore, placé la problématique de la radicalisation au centre des débats.

L’amalgame parfois trop rapidement effectué par une partie de la presse entre « religion islamique », « radicalisation » et « terrorisme » est pourtant combattu par certains quotidiens tels The Guardian, dont l’un des journalistes indiquait encore récemment que « It’s not the religion that creates terrorists, it’s the politics »[1].

Il reste que la question du radicalisme, avant d’être une question religieuse ou politique, relève certainement de l’éducation et du cadre de vie. A cet égard, un lieu « à risque » est certainement celui des prisons, où les détenus, laissés à eux-mêmes, sont bien plus en proie à la radicalisation et aux dérives du prosélytisme.

Pour lutter contre ce risque de dérive, le Gouvernement belge a récemment prévu la mise en place d’une série de mesures, reprises dans le « Plan d’action contre la radicalisation dans les prisons »[2], adopté en mars 2015. Au rang des principales mesures envisagées par le Gouvernement, l’on retiendra notamment : la lutte contre la surpopulation carcérale, l’amélioration du bien-être des détenus, la numérisation et l’automatisation des informations, la sensibilisation à une meilleur détection de la radicalisation de la part du personnel des prisons, un meilleur encadrement psychologique des détenus, une implication systématique des représentants des cultes reconnus, etc. Le Plan d’action prévoit, en outre, la création d’une section au sein de la Sûreté de l’Etat se consacrant désormais spécialement à la question de la radicalisation dans les prisons.

A l’occasion d’une question parlementaire posée au Ministre de la Justice, le député Philippe Goffin rappelait, en février 2015, que l’on retrouve, dans les prisons, deux types de détenus pouvant être problématiques : « ceux qui pratiquent le prosélytisme religieux et cherchent à convertir d’autres détenus (les meneurs) et ceux qui se radicalisent au cours de leur séjour en prison (les suiveurs) »[3].

Le parlementaire posait alors la délicate question de savoir sur quelle base le caractère « radical » ou « prosélyte » des détenus est-il apprécié. Sans se prononcer directement sur cette question, le Ministre de la Justice a, dans sa réponse de juin 2015, tout de même indiqué que « les constatations de radicalisation faites pour certains détenus ne permettent pas encore de tirer des conclusions pour l’ensemble de la population carcérale. A terme, un screening plus systématique des détenus quant à une possible radicalisation devrait apporter une vision quantitative plus précise du phénomène »[4].

Cette question parlementaire fait ressurgir une question fondamentale – traitée il y a peu à la Chaire de droit des religions de l’UCL par Sophie Minette dans sa thèse de doctorat en droit [5] – à savoir celle des conditions juridiques du fondamentalisme. Comment, en effet, établir une « grille d’analyse », un « screening » permettant de différencier le simple discours ou la simple expression de pensée, de conscience ou de religion, du véritable risque de radicalisation ? Doit-on enfin rappeler que le « prosélytisme », souvent connoté péjorativement en français, est tout au contraire entendu comme un droit fondamental par la Cour européenne des droits de l’homme – seuls des comportements abusifs étant susceptibles de limitations (abus de vulnérabilité, incitation à la haine, harcèlement moral etc).

Dans sa réponse, le Ministre s’inscrit dans cette ligne prudente et donne de premiers éléments de réponse quant à l’identification des critères de risque de radicalisation, en soulignant que « le simple fait d’être radicalisé ou le prosélytisme ne constitue pas une raison suffisante pour qu’un détenu fasse l’objet d’un régime de sécurité plus élevé. Une telle décision ne peut intervenir que s’il y a des indices que l’ordre et la sécurité sont menacés ». Aussi, le risque de menace pour l’ordre et la sécurité de la prison constituent-ils des premiers marqueurs invitant à la vigilance dans la prison. Par contre, selon le Ministre de la Justice, un détenu radicalisé ou prosélyte n’est pas nécessairement « dangereux » pour le milieu carcéral. Si cette dernière affirmation peut surprendre, sans doute témoigne-t-elle, plus fondamentalement, de toute la difficulté que recèle l’exercice de mise en place d’une balance des intérêt entre la liberté d’expression et de religion du détenu avec la protection de l’ordre et de la sécurité dans les prisons.

Stéphanie Wattier

Aspirante du F.R.S.-FNRS à l’U.C.L


[1] http://www.theguardian.com/commentisfree/belief/2015/jun/27/its-not-the-religion-that-creates-terrorists-its-the-politics

[2] http://justice.belgium.be/fr/binaries/Plland%27actionradicalisation-prison-FR_tcm421-267169.pdf

[3] Doc. parl., Ch. repr., Q.R., questions et réponses écrites, 9 juin 2015, sess. ord. 2014-2015, p. 151.

[4] Doc. parl., Ch. repr., Q.R., questions et réponses écrites, 9 juin 2015, sess. ord. 2014-2015, p. 152.

[5] S. Minette, Entre discours et conscience, les conditions juridiques du fondamentalisme religieux,  Thèse, U.C.L., mars 2013.



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