Vers une concertation interconvictionnelle

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Formaliser un organe concertation avec les cultes et les organisations non confessionnelles ?

Trois jours après la « marche contre la terreur » ayant eu lieu à Bruxelles le 17 avril 2016 et à laquelle des représentants de tous les cultes reconnus et de la laïcité ont participé, le Ministre de la Justice – compétent à l’égard des cultes et des organisations philosophiques non confessionnelle – recevait ces mêmes représentants chez le Premier Ministre Charles Michel.

De cette réunion, il est ressorti que le Premier Ministre a la volonté de mettre sur pied « un organe de concertation permanent avec les représentants des cultes reconnus » (1). Il soumettra prochainement un projet en ce sens l’attention de l’ensemble du Gouvernement fédéral. Peu de détails sont, à ce stade, disponibles concernant la manière dont cet organe de concertation fonctionnera et sera organisé. Néanmoins, il importe de relever la volonté du Premier Ministre de créer un organe qui soit permanent. Cet élément fait immédiatement songer au contenu de l’article 17 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lequel prévoit que « l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier » avec les organisations religieuses et non confessionnelle (2).

Si des dispositifs publics de dialogue entre les religions et les pouvoirs publics existent déjà dans certains Etats européens (comme par exemple la Fundación Pluralismo y Convivencia en Espagne), il faut constater que ce type de dispositif n’est, pour l’instant, aucunement juridiquement organisé en Belgique (3).

Cette absence de formalisme se retrouve de façon assez typique dans la plupart des processus de dialogue entre les religions et les pouvoirs publics. L’on se souviendra d’ailleurs qu’il fallut attendre 2007 pour que le dialogue entre l’Union européenne et les organisations religieuses et non confessionnelles soit consolidé dans le traité sur le fonctionnement de l’Union. Pourtant, des dispositifs informels de dialogue existaient déjà depuis les années 1990 lorsque Jacques Delors, convaincu que les aspects économico-juridiques ne suffiraient pas à créer une Union entre les Etats, avait mis sur pied l’association « une âme pour l’Europe ».

La proposition du Premier Ministre Michel est indubitablement contemporaine aux attaques terroristes ayant frappé Paris et Bruxelles. Il reste que la Belgique a, depuis de nombreuses années, besoin qu’un tel dispositif de concertation entre les religions, les philosophies et les pouvoirs publics soit créé. Pour reprendre les mots prononcés par l’Archevêque Jozef De Kesel à l’occasion de la réunion avec le Premier Ministre et les représentants des cultes reconnus et de la laïcité : « c’est important de pouvoir dialoguer de manière structurelle ».

On peut s’en réjouir. C’est un vaste champ nouveau qui s’ouvre ici à la démocratie : celui d’enjeux participatifs déjà perçus en philosophie politique (J. Habermas, J.-M. Ferry, P. Ricoeur, M. Gauchet etc) mais encore peu étudiés en droit administratif et constitutionnel. Et on aura besoin de cadrages juridiques assez précis ainsi qu’en attestent de premiers contentieux  (4).

Stéphanie Wattier Docteur en sciences juridiques de l’UCL Aspirante du F.R.S-FNRS

(1) La Libre Belgique du 21 avril 2016

(2) Voy. sur les étapes juridiques du dialogue religieux dans le cadre de la Commission européenne, L.-L. Christians, « La condition juridique du religieux dans la construction d’une Europe post-nationale. Du Traité d’Amsterdam au Projet de Constitution européenne. In: Annales d’études européennes« , Vol. 7, p. 117-133 (2003-2004) et  L.-L. Christians, « Droit et religion dans le Traité d’Amsterdam : une étape décisive ? », In Lejeune, Yves (Ed.), Le Traité d’Amsterdam. Espoirs et déceptions, Bruylant: Bruxelles, 1998, p. 195-225. Au sein du Conseil de l’Europe, voy.  Guido Bellatti Ceccoli, « Aspetti giuridici e politici degli «Incontri annuali del Consiglio d’Europa sulla dimensione religiosa del dialogo interculturale», Quaderni di diritto e politica ecclesiastica, 2014/2, pp. 563-574; J.-P. Willaime, « L’expression des religions, une chance pour la démocratie », Religions, une affaire publique ?, Revue Projet 2014/5 (N° 342), pp. 5-14.

(3) P. de Pooter, L.-L. Christians (dir.), Autorités publiques et dialogue interreligieux. Approche internationale et interdisciplinaire, Bruylant, Bruxelles, 2016, 300 pp. (à paraître)

(4) S. Wattier, « Quel dialogue entre l’Union européenne et les organisations religieuses et non confessionnelles? Réflexions au départ de la décision du Médiateur européen du 25 janvier 2013″. In: Cahiers de droit européen, Vol. 2016 (2016), 535-556. Plus généralement, voy. L.-L. Christians, « Les limites des dispositifs publics de plateformes interconvictionnelles » In: P. de Pooter, L.-L. Christians (dir.), Autorités publiques et dialogue interreligieux, op. cit.; A.-S. Lamine, « Mise en scène de la “bonne entente” interreligieuse et reconnaissance », Archives de Sciences Sociales des Religions, n°129, 2005, pp. 83-96; A.-S. Lamine (dir.), Quand le religieux fait conflit. Désaccords, négociations ou arrangements, Rennes, P.U.R., 2014.



Bouddhisme belge méconnu ?

THAILAND TSUNAMI ANNIVERSARY MEMORIAL

Le 13 avril 2016, interrogée en Commission de la Justice sur le retard pris par l’accès du Bouddhisme au régime de financement public des « cultes reconnus », le Ministre de la Justice Koen Geens a déclaré que « Le 22 septembre 2015, une réunion d’information s’est tenue avec les représentants des Régions et communautés sur la question de la reconnaissance de l’UBB. Il en est entre autres ressorti qu’il existait un besoin d’éclaircissement au sujet de l’impact financier de la reconnaissance sur les Régions et les communautés. Plus particulièrement, il est question de l’impact sur les provinces étant donné que l’UBB souhaite se structurer au niveau provincial en tant qu’organisation non confessionnelle. En effet, une reconnaissance aurait des implications au niveau de l’enseignement. Comme indiqué précédemment dans cette commission, ce dossier a dû être mis entre parenthèses en raison des attentats survenus à Paris. C’est pourquoi nous avons demandé et obtenu la compréhension de la part de l’UBB. (…) Les moyens financiers impliqués par une reconnaissance du bouddhisme dépendent d’un nombre de choix effectués. Sur la base du nombre de conseillers bouddhiques, des engagements philosophiques bouddhiques et du personnel pour le secrétariat fédéral qui nous ont été communiqués à ce jour, il y aura lieu de compter environ six millions d’euros par année pour l’ensemble des entités fédérées. » (CRIV 54 COM 379 13/04/2016).

Le Député André Frédéric, auteur de la question parlementaire, semble quant à lui remettre en doute la qualification du bouddhisme. Il déclare : « Accessoirement, pour la suite, je m’interroge pour savoir si on doit considérer l’Union bouddhique belge comme s’intégrant dans le deuxième paragraphe en tant que philosophie non-conventionnelle (sic) « …

Le Bouddhisme a toujours entendu négocier comme philosophie non-confessionnelle, ne se reconnaissant pas comme culte ni religion. La Conseil d’Etat avait déjà annoncé dès 1993 et 2002, que le Centre d’action laïque ne pouvait pas bénéficier de monopole légal à la représentation des philosophies non confessionnelles. Les régimes juridiques demeurent par ailleurs différents sur de nombreux points ainsi qu’on va le rappeler plus loin.

Trois ans plus tôt, le 19 novembre 2013, interrogée en Commission de la Justice sur le retard pris par l’accès du Bouddhisme au régime de financement public des « cultes reconnus », la Ministre de la Justice de l’époque avait déclaré : « L’UBB a en effet introduit une demande de reconnaissance le 25 mars 2006. Le  24 avril 2007, la ministre de la Justice de l’époque a déclaré que son administration avait proposé un projet de loi reconnaissant le bouddhisme, dans un premier temps, comme une communauté non confessionnelle, cette reconnaissance prenant la forme d’une subvention de l’UBB visant à organiser sa structure. Une loi devrait être élaborée ultérieurement pour organiser la structure complète du bouddhisme en Belgique. Jusqu’à nouvel ordre, cette subvention est toujours octroyée. L’UBB a introduit une demande de reconnaissance formelle au cours de cette législature, mais cette démarche ne peut actuellement aboutir pour des raisons budgétaires. Le gouvernement fédéral tend à instaurer un régime légal général pour les critères de reconnaissance des cultes. Un tel régime devra fournir pour les critères actuels une base légale plus stable qui pourra être confrontée aux normes juridiques supérieures. Tant que ce régime n’aura pas été instauré, la reconnaissance de nouveaux cultes ne sera pas facile » (CRABV 53 COM 858 19/11/2013).

Autant les limites budgétaires constituent un argument susceptible d’être pris en compte, du moins à court terme, autant il semble peu adéquat au regard tant de la Constitution que de la Convention européenne des droits de l’homme, d’invoquer le retard d’une réforme possible des critères de reconnaissance.

Les limites budgétaires sont prises en compte par la jurisprudence, y compris de la Cour constitutionnelle, pour tempérer tout reproche d’absence ou de retard d’une régulation publique. Les moyens de l’Etat ne sont pas infinis, en particulier en période de crise. En revanche, ces limites financières ne pourraient constituer un argument à long terme. En effet, face à la rareté des budgets, le long terme doit nécessairement être réfléchi sous les auspices moins conjoncturels du principe de proportionnalité. La règle de non discrimination s’applique en effet aux politiques publiques et en particulier lorsque leur fondement est constitutionnel, comme c’est le cas de l’art. 181 de la Constitution qui vise l’ensemble des besoins convictionnels et spirituels de la population. Certes il ne s’agit évidemment pas d’un exercice purement arithmétique. En revanche, une dénégation dépourvue de toute analyse de proportionnalité pourrait induire à terme une mise en cause de la responsabilité constitutionnelle des pouvoirs publics.

Le malaise se renforce a fortiori à propos du second argument invoqué en 2013. On en comprend mal l’opportunité tant il fragilise bien plus encore les positions de la Ministre. Certes, depuis vingt ans au moins des débats politiques puis des commissions d’experts (2006 et 2011) recommandent l’inscription dans la loi des critères de reconnaissance demeurés depuis 1974 de pure coutumes administratives validées a posteriori par le Parlement lors de chaque nouvelle reconnaissance. Outre que le législateur est toujours libre de se défaire des critères même explicites qu’il se serait donné, invoquer l’absence d’une nouvelle législation pour reporter un processus de reconnaissance entamé in tempore non suspecto, revient d’une part à invoquer sa propre faute et d’autre part à causer une discrimination par fluctuation potentielle des critères de reconnaissance. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est assez claire sur ce point. Autant les Etats demeurent-ils libres d’adopter ou non des régimes de soutien matériel excédents les libertés de base, autant s’ils s’engagent dans de telles politiques publiques, doivent-ils le faire de façon non discriminatoire. La Cour européenne des droits de l’homme condamnent assez systématiquement les discriminations qui apparaitraient dans la mise en oeuvre des critères de reconnaissance, notamment en cas de modification des règles en cours de jeu (comme elle le fait encore de façon assez ferme dans un arrêt du 8 avril 2014 Magyar Keresztény Mennonita Egyház And Others c. Hongrie).

Deux nouveaux arguments sont présentés en 2016 : le premier tient aux réorientations budgétaires liées aux attentats terroristes de 2015-2016 qui ont, comme on le sait par ailleurs, conduit le Gouvernement à assurer l’embauche d’un corps complémentaire d’Imams et à un renforcement du soutien financier à l’Islam. Le second argument tient à l’évaluation qui resterait à faire des impacts régionaux et communautaires d’une reconnaissance : au niveau des budgets provinciaux qui devraient assumer les éventuels déficits du temporel de la nouvelle organisation philosophique, et au niveau des budgets de l’enseignement pour un cours complémentaire de morale non confessionnelle (cette fois bouddhique plutôt que laïque) dans le réseau officiel.

Sur le premier point (des budgets provinciaux), on rappellera qu’à la différence de la compétence législative sur les temporels des cultes qui a été  régionalisée par la loi spéciale du 13 juillet 2001, la gestion matérielle des organisations philosophiques non confessionnelles relève toujours de la seule compétence législative fédérale et non régionale.

Sur le deuxième point (cours complémentaire de morale non confessionnelle), la Cour Constitutionnelle, dans son arrêt du 12 mars 2015, a préparé la technique constitutionnelle qui permettra ce déploiement sans modification trop spécifique ni de la constitution ni de la législation. Il reste toutefois encore à le réaliser concrètement.

 

Louis-Leon Christians, professeur à l’UCL

(maj avril 2016)

Par Arrêtés ministériels du 14 février 2014 (M.B. 8 avril 2014), 24 mars 2015 (M.B. 30 mars 2015), 22 février 2016 (M.B. 9 mars 2016) pris en application de l’art. 139 de la loi du 24 juillet 2008, de nouvelles tranches de subvention annuelle provisoire, de 205.000 euro, 166.000 euro et 165.000 euro, ont été octroyées à l’Union Bouddhique belge, pour la préparation de son organisation et de sa reconnaissance : la ventilation de ce montant est fixée par l’Arrêté : Frais de fonctionnement et loyers et charges – Personnel – Frais bancaires  – Investissements.



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