Morale, citoyenneté et neutralité 7 mai
Philosophie, citoyenneté, religion, morale, neutralité ?
Une nécessaire clarification des cours de morale
Le Gouvernement de la Communauté française a confirmé mercredi 4 mai 2016 que les nouveaux cours de citoyenneté, qui se substitueront à 50% des cours de religions/morale, pourraient, comme annoncé dans la Déclaration de politique communautaire, être assuré par des professeurs de religion et de morale, ayant titre pédagogique et formation à la neutralité. La formation en neutralité, cours de 20h, sera assurée en urgence par l’enseignement de promotion sociale, pour assurer la remise à niveau de tous les enseignants visés avant la rentrée prochaine.
Les débats liés à cette articulation des futurs cours de citoyenneté aux cours de morale et de religion n’est pas seulement un sursaut de la guerre scolaire ou une victoire laïque. Elle est un enjeu fort pour évaluer nos démocraties et tester nos conceptions de la citoyenneté. De ce point de vue, autant la réduction des cours de religion a pu être contestée par leurs enseignants, autant l’ambition d’un enseignement de citoyenneté est partagé par tous. Encore faut-il s’entendre sur cette citoyenneté. Peut-elle se construire sans dialogue ? Est-elle l’apanage de certains qui en auraient un privilège biographique ? C’est à travers des tensions bien classiques que se discutent ces jours-ci non seulement le contenu des programmes mais aussi les titres des enseignants du cours de citoyenneté au sein de l’école publique. L’ambiguité de ce dernier dossier est d’autant plus grande que s’y jouent des parts idéologiques du marché de l’emploi. S’y joue aussi une anticipation des mécanismes et des risques de capture de la “citoyenneté” de demain.
Vincent de Coorebyter appelait récemment à “veiller au recrutement adéquat des professeurs de citoyenneté” et indiquait d’emblée que ses craintes ne concernaient que les professeurs de religion et non ceux de morale. Ces professeurs de religion ne seraient rien d’autres que des “ministres des cultes”, et certains, certes minoritaires, verseraient “dans l’irrationnel mettant leurs élèves en garde contre les djinns les démons ou le diable ou les dressant contre la science la raison et la réflexion libre et ouverte”. Une réforme des titres n’extirperait d’ailleurs pas ces dérives. C’est à un contrôle de la “vocation” et des “profils personnels” que Vincent de Coorebyter appelle pour l’enseignement de la citoyenneté.
On partage assurément l’idée d’une haute exigence professionnelle et de la nécessité de lutter contre toute dérive. On restera en revanche étonné de cette suspicion adressée à l’ensemble des professeurs de religion au prétexte de leur biographie ou des dérives de quelques-uns. Cette catégorie professionnelle est-elle donc incapable d’accéder à la citoyenneté et à son enseignement ? Faut-il mesurer leur (re)conversion ? imaginer de nouveaux serments de loyauté citoyenne ? envisager de nouvelles formes de screening des professeurs de citoyenneté ? S’inquiéter d’une citoyenneté confisquée par la philosophie de quelques uns, à la “vocation validée”, est une question grave. Ce n’est pas par l’exclusion des personnes qu’elle se résout, mais par la déontologie d’une discipline nouvelle. Restera à examiner la portée de la mise à niveau et les modalités de son évaluation, elle-même neutre.
Un absent de taille dans les débats est donc le cours de morale et ses enseignants. On voudrait appeler, avec la même vigilance, à une clarifications du statut de l’un et des autres. Le Conseil d’Etat appelle depuis longtemps à lever l’ambiguité de ce cours et de ce statut. La section flamande a indiqué l’absence de neutralité du cours de morale dès le début des années 1990. Pour la partie francophone, il a fallu attendre ving-cinq ans pour qu’en 2015 la Cour constitutionnelle de Belgique arrive à la même conclusion envers le cours de morale donné en communauté française. Vingt-cinq ans durant lesquels un cours aujourd’hui réputé rétroactivement non neutre a été rendu obligatoire pour les enfants ne souhaitant pas s’inscrire à un des cours de religions reconnues. Vingt-cinq ans d’ambiguité auquel la Cour constitutionnelle a mis un terme non pas en réclamant le retour à la neutralité du cours de morale mais au contraire en actant son caractère désormais engagé. Quoi que l’on pense de cet arrêt, le Parlement de la Communauté française en a confirmé la position en créant désormais une dispense totale des cours de religion ET de morale. Et c’est parce que le cours de morale n’est précisément plus susceptible d’être tenu pour un cours neutre que les étudiants dispensés des cours de religion ne pourront plus être obligés de le suivre à titre subsidiaire. C’est une nouvelle heure, de citoyenneté, qui pourra en revanche leur être imposée, dans la mesure où elle sera elle-même neutre.
Si l’on veut bien prendre au sérieux les arrêts de la Cour constitutionnelle et les décrets communautaires, comment tenir en même temps qu’aucun problème ne se pose à ce que les enseignants de morale puissent assumer le cours de citoyenneté ? Ne doit-on pas vérifier avec la même énergie comment éviter là aussi toute dérive, fut-elle minoritaire ?
Vingt-cinq ans ont été nécessaires pour mettre au jour l’absence de garantie de neutralité du cours de morale. Quelle garantie imaginer pour qu’un tel scénario ne se reproduise pas avec le cours de citoyenneté ? Diversité, pluralisme, formation et déontologie nous paraissent plus stimulants que contrôles des vocations et des profils. L’enseignement de la citoyenneté sera-il réservé en priorité à ceux qui, enfants, ont suivi un cours de morale laïque, ou à ceux qui n’ont fréquenté que le réseau public ?
L’exigence d’un devoir de neutralité ne nous semble pas tenir à la nature des fonctions, ni des titres, ni du passé biographique des uns et des autres. Elle tient au respect normatif d’un devoir professionnel exigible de tous, et dont aucun ne devrait être à l’avance présumé incapable. Certes le défi est important, mais il l’est tout autant pour les enseignants de morale que de religion. Une remise à niveau en neutralité s’impose aux uns comme aux autres.
Aux dérives toujours possibles de cette formation, ou du cours de citoyenneté lui-même (l’avenir le dira), s’ajoute encore, dans un silence étonnant, l’ambiguité du statut futur des professeurs de morale et de leur cours. L’arrêt de la Cour constitutionnel du 12 mars 2015 ne peut certainement demeuré sans suite à cet égard. N’étant plus en charge d’un cours neutre, comment comprendre qu’ils soient encore désignés directement par les pouvoirs publics, et assimilés à des enseignants de cours ordinaires ? Une fois encore, le Parlement flamand a dès 1993 réalisé cette mutation en confiant à un organe de l’Union de Libres-penseurs la proposition des enseignants du cours de morale réputé désormais non neutre. Et le Conseil d’Etat place depuis longtemps les deux catégories d’enseignants, de religion et de morale, dans la même posture convictionnelle, au sein de leurs cours philosophiques, dans le cadre du décret “neutralité” de 1994.
Garantir l’emploi des professeurs de morale et de religion reconnues n’est pas le seul engagement du Gouvernement. Il est aussi de construire une citoyenneté dont aucun n’est exclu. Des exigences doivent être posées. Pour tous sans discrimination. Aucun corps ne doit être immunisé ni privilégié.
Opposer professeurs de religion et professeur de morale face à l’enseignement de la citoyenneté aurait caché l’essentiel. Il aurait d’ailleurs été incompréhensible que le référentiel d’Education à la citoyenneté conduise à des ostracisations dans l’enseignement officiel alors qu’il est attendu qu’il soit assumé dans l’enseignement libre confessionnel au gré du programme de religion et d’autres programmes de sciences humaines, ce qui a bien été admis par le législateur en considération de la liberté d’enseignement, de programme et de grille-horaire.
La citoyenneté est affaire de tous. Un premier pas vient d’être fait. Il demeure encore incomplet. D’autres mesures doivent encore être prises pour asseoir un modèle belge à la fois original et viable. En ces moments de crise sécuritaire, il ne s’agit certes pas d’être naïf. Des exigences démocratiques doivent être posées. Mais il s’agit de rester attentif aux exigences d’un Etat de droit, pour tous et en toute transparence.
‘
Louis-Leon Christians
Professeur à l’UCL
Chaire de droit des religions