Le ‘burkini’ en piscine

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Le Centre pour l’égalité des chances (UNIA) vient de rendre public le 13 juillet 2017 un avis concernant le port du maillot de bain couvrant le corps (combinaison intégrale) dans une piscine publique. Un an après les polémiques françaises et l’arrêt du Conseil d’Etat de France qui a annulé les interdictions de tels vêtements sur les plages françaises, l’autorité anti-discrimination belge confirme que même en piscine publique une telle interdiction doit être considérée comme discriminatoire.

Voici le résumé de cet avis, tel que diffusé par UNIA :

« Peut-on interdire le port du maillot de bain couvrant le corps (combinaison intégrale) dans une piscine publique ? Cette question a été posée à Unia par quelques villes et communes flamandes, dont Louvain et Gand, et par plusieurs nageuses. Pour y répondre, Unia a  interrogé  l’Agence Soins et Santé en Flandre (Vlaams Agentschap Zorg en Gezondheid) et de la Genderkamer flamande*. Sur la base de leurs arguments, Unia ne voit aucune raison valable de restreindre la liberté de choisir une combinaison de bain intégrale (autrement appelée burkini). Unia en déduit qu’en l’absence de fondement juridique, cette interdiction est contraire au décret anti-discrimination flamand.

Certaines piscines publiques interdisent ce type de tenue. Les arguments invoqués par les exploitants ont souvent trait à l’hygiène et la sécurité. Unia a entendu d’autres arguments en faveur d’une interdiction : le maillot de bain couvrant le corps mettrait en péril l’égalité entre hommes et femmes et certains nageurs se sentiraient moins à l’aise et y réagiraient négativement.

Jusqu’à présent, les seuls cas dont Unia a été saisi concernaient des piscines publiques en Flandre, et donc la législation antidiscrimination flamande, raison pour laquelle, seule des autorités flamandes ont été consultées.

Liberté individuelle

La Belgique est un pays libre dans lequel on peut, en règle générale, penser et dire ce qu’on veut (liberté d’expression) et croire ce qu’on veut (liberté de religion et de conviction). Cette liberté s’étend aux vêtements que l’on porte. Un pouvoir public qui voudrait la restreindre doit avancer de solides arguments tels que la protection de l’intérêt général, la protection des droits d’autrui, etc.

Unia a dès lors présenté les arguments retenus à des instances spécialisées. Elles estiment que les arguments ne peuvent pas justifier une interdiction du maillot de bain couvrant le corps.

Raisons d’hygiène et de sécurité ?

D’après l’Agence Soins et Santé en Flandre (Vlaams Agentschap Zorg en Gezondheid), une interdiction pour raisons d’hygiène n’est pas envisageable. Le maillot de bain couvrant l’entièreté du corps est de la même matière que les autres maillots de bain et n’a donc aucun impact sur la qualité de l’eau. Au niveau de la sécurité, l’Agence ne voit pas non plus de risques.

Égalité homme/femme ?

La Genderkamer flamande est formelle : ce type de tenue ne représente pas un danger pour l’égalité entre hommes et femmes. D’après elle, on ne peut pas dire d’un vêtement porté volontairement qu’il constitue une atteinte à l’égalité entre hommes et femmes. L’argument de l’égalité ne peut donc pas être utilisé pour s’opposer à un vêtement de ce type. Le fait que le vêtement soit perçu par certains comme trop peu conventionnel ou trop prude, voire comme étrange, ne suffit pas à justifier une interdiction.

Réactions négatives d’autres nageurs

Unia fait en outre valoir que les réactions négatives d’autres baigneurs ne constituent pas un argument juridique pour justifier une interdiction.

Conclusion

Compte tenu des arguments ci-dessus, Unia conclut qu’une interdiction générale du port du maillot de bain couvrant le corps peut être discriminante pour certains nageurs. Il s’agit plus spécifiquement ici de personnes qui veulent le porter par conviction ou par nécessité, en raison notamment de leur état santé, d’une caractéristique physique ou d’un handicap.

En tant qu’institution de défense des droits de l’Homme, Unia soutient avec force la liberté individuelle. Quoi qu’on puisse en penser, un maillot de bain couvrant le corps peut être porté pour des raisons religieuses. Il s’agit également d’une liberté fondamentale telle que décrite dans la constitution et dans les traités internationaux de défense des droits de l’Homme.

La loi

Le décret flamand anti-discrimination interdit toute discrimination fondée sur 19 caractéristiques personnelles protégées telles que les convictions religieuses ou philosophiques, le handicap, l’état de santé et les caractéristiques physiques.

Un traitement différent dans le droit anti-discrimination n’est cependant pas considéré comme une discrimination s’il est démontré que ce traitement différent est dicté par un but légitime et si les moyens employés pour atteindre ce but dans un cas concret sont appropriés (c’est-à-dire qu’ils permettent la réalisation de l’objectif) et nécessaires (l’objectif ne peut pas être atteint autrement). En d’autres termes, ces moyens doivent être « proportionnés ».

Accord de coopération

Par cet avis, Unia accomplit les tâches qui lui sont assignées par l’accord de coopération. Il s’agit d’un accord entre les autorités fédérales, les régions et les communautés qui mandate notamment Unia pour formuler des recommandations et des avis indépendants, de manière proactive ou en réponse à une demande. » (Unia)

Voir l’avis complet (en néerlandais) sur le site d’Unia.

Dans la littérature récente, OJUREL conseille la lecture de :

  • ABDELAAL, Mohamed, « Extreme Secularism vs. Religious Radicalism: The Case of the French Burkini » (June 24, 2017). 23 ILSA Journal of International & Comparative Law (2017). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=2992013
  • KALANTRY, S., « The French Veil Ban: A Transnational Legal Feminist Approach », University of Baltimore Law Review, Vol. 46, Issue 2 (Spring 2017), pp. 201-236.
  • SCHLEGEL, J.L.,, « Le burkini affole la laïcité française », Esprit 2016/10 (Octobre), p. 7-10.
  • WATTIER, S., « Le Conseil d’État français suspend l’interdiction du port du « burkini » (obs. sous C.E. (fr.), ordonnance Ligue des droits de l’homme e.a., 26 août 2016) », Rev. trim. D.H. 2017, liv. 110, 407-419


La loi anti-burqa du bout des doigts

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Le risque d’encourager l’intolérance

La Cour européenne des droits de l’homme, dans deux arrêts du 11 juillet 2017, s’abstient de condamner la Belgique pour sa loi du 1er juin 2011 prohibant la dissimulation du visage dans les lieux publics, dite “loi anti-burqa” ou « anti-niqab ». La Cour confirme ainsi sa jurisprudence SAS c. France. La presse belge se trompe toutefois en énonçant que la Cour aurait pris une position favorable forte au bénéfice d’une telle prohibition et de sa compatibilité avec les droits de l’homme. Tout au contraire, la Cour invoque clairement dans sa motivation ses craintes sur les évolutions en cours : “52. La Cour a pleinement conscience qu’un État qui, comme la Belgique, s’engage dans un tel processus normatif prend le risque de contribuer à la consolidation des stéréotypes affectant certaines catégories de personnes et d’encourager l’expression de l’intolérance, et que la prohibition critiquée, même si elle n’est pas fondée sur la connotation religieuse de l’habit, pèse pour l’essentiel sur les femmes musulmanes qui souhaitaient porter le voile intégral (S.A.S. c. France, précité, § 149). Elle n’ignore pas davantage qu’en interdisant de revêtir dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler le visage, l’État défendeur restreint d’une certaine façon le champ du pluralisme, dans la mesure où l’interdiction fait obstacle à ce que certaines femmes expriment leur personnalité et leurs convictions en portant le voile intégral en public (S.A.S. c. France, précité, § 153).”

La Cour européenne s’en lave les mains sans enthousiasme

Loin de tout enthousiasme, la Cour en vient simplement à se laver les mains de l’affaire. Il n’y va que d’une simple option nationale, au bénéfice d’une marge d’appréciation locale, au regard de laquelle la Cour atténue volontairement l’intensité de son contrôle. C’est à ce prix, et dans ce cadre limité qu’elle consent à ne pas condamner la Belgique. Au n° 55 de l’arrêt, la Cour souligne “ qu’il n’y a, entre les États membres du Conseil de l’Europe, toujours aucun consensus en la matière, que ce soit pour ou contre une interdiction générale du port du voile intégral dans l’espace public, ce qui justifie de l’avis de la Cour de reconnaître à l’État défendeur une marge d’appréciation très large”. La presse belge n’a pas mentionné, par exemple, que la Cour vient d’admettre, sur le même fondement (dans une affaire certes de foulard et non de burqa), qu’un professeur d’université turque puisse être condamné en Turquie à deux ans d’emprisonnement (!) pour avoir entravé l’accès d’une étudiante portant le foulard islamique, alors que la législation turque admet désormais le port de ce foulard (CourEDH, décision du 16 mai 2017, Esat Rennan PEKÜNLÜ contre la Turquie).

Ni la dignité de la femme, ni la sécurité publique

C’est au titre de cette appréciation locale que la Cour admet que le “vivre ensemble”, comme choix de société, puisse en Belgique conduire à une telle prohibition d’habillement. Elle s’oppose en revanche, au n°49, à toute justification qui invoquerait une protection de la dignité de la femme, ou un motif de sécurité publique.

Trois autres conditions à un tel choix de société local

(a) Pour le reste, la Cour relève que le processus décisionnel (belge) ayant débouché sur l’interdiction en cause a duré plusieurs années et a été marqué par un large débat au sein de la Chambre des représentants ainsi que par un examen circonstancié et complet de l’ensemble des intérêts en jeu par la Cour constitutionnelle”.

(b) Ensuite, la Cour européenne prend bonne note de l’interprétation de la Cour constitutionnelle (arrêt n°145/2012) qui impose que les termes « lieux accessibles au public » soient interprétés comme ne visant pas les lieux destinés au culte. On se souviendra aussi que la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH, 23 février 2010, Arslan c. Turquie) a déjà étendu ce type d’exceptions aux trajets de ceux et celles qui quittaient un lieu de culte… Il restera à le vérifier ici.

(c) La Cour examine enfin  l’ampleur des sanctions pénales prévues. Elle note qu’à la différence de l’infraction française qui ne prévoit qu’une faible amende, l’infraction belge peut aller jusqu’à une sanction d’emprisonnement d’une semaine.  La Cour note toutefois que l’infraction belge est « hybride » et qu’elle se réduira souvent à une simple mesure administrative. Au surplus, elle indique qu’aucune sanction d’emprisonnement n’était en cause dans la présente affaire. A suivre donc…

On ne restreindra pas un arrêt de la Cour à son seul dispositif : les motifs en disent long sur ce qu’elle « n’en pense pas moins »… et sur les conseils qu’elle donne indirectement sur les évolutions en cours…

Louis-Leon Christians
Professeur à l’UCL
Titulaire de la chaire Droit & Religions



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