La loi anti-burqa du bout des doigts

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Le risque d’encourager l’intolérance

La Cour européenne des droits de l’homme, dans deux arrêts du 11 juillet 2017, s’abstient de condamner la Belgique pour sa loi du 1er juin 2011 prohibant la dissimulation du visage dans les lieux publics, dite “loi anti-burqa” ou « anti-niqab ». La Cour confirme ainsi sa jurisprudence SAS c. France. La presse belge se trompe toutefois en énonçant que la Cour aurait pris une position favorable forte au bénéfice d’une telle prohibition et de sa compatibilité avec les droits de l’homme. Tout au contraire, la Cour invoque clairement dans sa motivation ses craintes sur les évolutions en cours : “52. La Cour a pleinement conscience qu’un État qui, comme la Belgique, s’engage dans un tel processus normatif prend le risque de contribuer à la consolidation des stéréotypes affectant certaines catégories de personnes et d’encourager l’expression de l’intolérance, et que la prohibition critiquée, même si elle n’est pas fondée sur la connotation religieuse de l’habit, pèse pour l’essentiel sur les femmes musulmanes qui souhaitaient porter le voile intégral (S.A.S. c. France, précité, § 149). Elle n’ignore pas davantage qu’en interdisant de revêtir dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler le visage, l’État défendeur restreint d’une certaine façon le champ du pluralisme, dans la mesure où l’interdiction fait obstacle à ce que certaines femmes expriment leur personnalité et leurs convictions en portant le voile intégral en public (S.A.S. c. France, précité, § 153).”

La Cour européenne s’en lave les mains sans enthousiasme

Loin de tout enthousiasme, la Cour en vient simplement à se laver les mains de l’affaire. Il n’y va que d’une simple option nationale, au bénéfice d’une marge d’appréciation locale, au regard de laquelle la Cour atténue volontairement l’intensité de son contrôle. C’est à ce prix, et dans ce cadre limité qu’elle consent à ne pas condamner la Belgique. Au n° 55 de l’arrêt, la Cour souligne “ qu’il n’y a, entre les États membres du Conseil de l’Europe, toujours aucun consensus en la matière, que ce soit pour ou contre une interdiction générale du port du voile intégral dans l’espace public, ce qui justifie de l’avis de la Cour de reconnaître à l’État défendeur une marge d’appréciation très large”. La presse belge n’a pas mentionné, par exemple, que la Cour vient d’admettre, sur le même fondement (dans une affaire certes de foulard et non de burqa), qu’un professeur d’université turque puisse être condamné en Turquie à deux ans d’emprisonnement (!) pour avoir entravé l’accès d’une étudiante portant le foulard islamique, alors que la législation turque admet désormais le port de ce foulard (CourEDH, décision du 16 mai 2017, Esat Rennan PEKÜNLÜ contre la Turquie).

Ni la dignité de la femme, ni la sécurité publique

C’est au titre de cette appréciation locale que la Cour admet que le “vivre ensemble”, comme choix de société, puisse en Belgique conduire à une telle prohibition d’habillement. Elle s’oppose en revanche, au n°49, à toute justification qui invoquerait une protection de la dignité de la femme, ou un motif de sécurité publique.

Trois autres conditions à un tel choix de société local

(a) Pour le reste, la Cour relève que le processus décisionnel (belge) ayant débouché sur l’interdiction en cause a duré plusieurs années et a été marqué par un large débat au sein de la Chambre des représentants ainsi que par un examen circonstancié et complet de l’ensemble des intérêts en jeu par la Cour constitutionnelle”.

(b) Ensuite, la Cour européenne prend bonne note de l’interprétation de la Cour constitutionnelle (arrêt n°145/2012) qui impose que les termes « lieux accessibles au public » soient interprétés comme ne visant pas les lieux destinés au culte. On se souviendra aussi que la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH, 23 février 2010, Arslan c. Turquie) a déjà étendu ce type d’exceptions aux trajets de ceux et celles qui quittaient un lieu de culte… Il restera à le vérifier ici.

(c) La Cour examine enfin  l’ampleur des sanctions pénales prévues. Elle note qu’à la différence de l’infraction française qui ne prévoit qu’une faible amende, l’infraction belge peut aller jusqu’à une sanction d’emprisonnement d’une semaine.  La Cour note toutefois que l’infraction belge est « hybride » et qu’elle se réduira souvent à une simple mesure administrative. Au surplus, elle indique qu’aucune sanction d’emprisonnement n’était en cause dans la présente affaire. A suivre donc…

On ne restreindra pas un arrêt de la Cour à son seul dispositif : les motifs en disent long sur ce qu’elle « n’en pense pas moins »… et sur les conseils qu’elle donne indirectement sur les évolutions en cours…

Louis-Leon Christians
Professeur à l’UCL
Titulaire de la chaire Droit & Religions



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