La formation des imams en Belgique et l’Arrêté royal du 18 mars 2020

islam

Les conditions matérielles et constitutionnelles
d’une avancée belge sur la formation des imams

La formation des ministres des cultes est avant tout de la compétence de chaque autorité religieuse concernée. On est ici au cœur de l’autonomie constitutionnelle garanties à tous les cultes quels qu’ils soient.  Dans les Etats qui soutiennent budgétairement certains cultes dits « reconnus », le financement de ces derniers se voit soumis à diverses conditions particulières. Ces conditions ne peuvent toutefois pas être excessivement intrusives ou discriminatoires. Qu’en serait-il de l’exigence publique d’une formation spécifique des ministres de ces cultes ? La constitutionnalité des conditions de financement public est un vaste et complexe dossier. Cette question, que se pose bon nombre de pays européens, ne se tranche pas de façon binaire : elle suppose un examen de proportionnalité extrêmement balancé : non seulement sur le fond, mais aussi sur la procédure.

Sur le fond, il est certain qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics de dicter à un culte sa doctrine, d’en revoir le contenu ou d’en dicter des orientations théologiques à ses ministres. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est constante sur ce point. En revanche, il semble légitime que l’allocation d’un budget public soit liée à deux types d’exigences en termes de formation, entendues toutes deux en fonction de ce que la coutume constitutionnelle belge a désigné sous le terme d’ « utilité sociale » des cultes reconnus. La première vise la garantie globale d’un certain niveau de formation des agents du culte : non pas en dicter le contenu théologique, mais en souhaiter une certaine qualité, qui pourrait varier selon les fonctions. La seconde exigence de fond porte sur une formation citoyenne spécifique. Les relations entre les religions et la société globale se façonnent au gré de l’histoire de chaque pays, mais aussi au gré des exigences propres d’une société démocratique, garante des droits et devoirs de chacun. Jusqu’où un Etat pourrait-il toutefois « dicter » le contenu d’une formation citoyenne spécifique des agents d’un culte ? Le Conseil d’Etat de Belgique a rappelé que les pouvoirs publics ne pouvaient s’ériger eux-mêmes en formateur d’agents du culte.

C’est ici qu’il convient de mesurer la spécificité du régime belge des cultes, qui repose sur une articulation entre neutralité publique et soutien spécifique aux cultes (et philosophies) dont l’utilité sociale est reconnue. Cette articulation ne se fonde pas, on l’a dit, sur l’examen et le contrôle des doctrines religieuses. Elle suppose toutefois une confiance globale entre les acteurs publics et religieux. Cette confiance se construit de façon bilatérale au gré de processus de compromis et d’ajustement qui sont au cœur même du régime constitutionnel spécifique à la Belgique. C’est ce qu’a affirmé la Cour constitutionnelle en 2005 dans des formules très fortes à propos de l’accompagnement public des dispositifs électoraux de la communauté musulmane. C’est ce que la même Cour vient de redire en 2019 à propos des déclarations de loyauté démocratique attendues des agents du temporel des cultes.

C’est aussi dans ce cadre que la question de la formation des imams se fonde non pas sur des exigences unilatérales de part et d’autre, mais par un soutien informé des pouvoirs publics et religieux dans le cadre d’une confiance globale. Au gré d’ajustements successifs liés à cette interaction, des incitants financiers spécifiques peuvent également être décidés, qui laissent l’initiative concrète de formation des imams à l’organe représentatif du culte musulman : non seulement en matière théologique, ce qui est évident, mais aussi dans l’organisation des éléments de formation civique et citoyenne et les voies de garantie spécifique de la qualité globale de ces derniers aspects.

L’Arrêté royal du 18 mars 2020

On analysera en ce sens l’arrêté royal du 18 mars 2020 « relatif à l’attribution d’un subside de 192.000 euros pour le fonctionnement de l’Exécutif des Musulmans de Belgique en vue d’assurer la formation et la sensibilisation des ministres du culte islamique en Belgique » (M.B. 31 mars 2020). Les considérants qui précèdent le texte nous semblent bien s’inscrire dans les équilibres qui viennent d’être esquissé, tout en s’appuyant de façon explicite sur une politique de lutte contre le radicalisme :

Considérant que l’attribution d’un subside complémentaire de 192.000 S pour le fonctionnement de l’Exécutif des Musulmans de Belgique doit permettre la mise en œuvre de la formation et de la sensibilisation des ministres du culte islamique en Belgique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation;

Considérant que cette attribution de subsides complémentaires est en accord avec la période d’affaires courantes étant donné que la sensibilisation et la formation des ministres du culte islamique résultent de l’exécution des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire du 23 octobre 2017 (Doc. 1752/009);

Les extraits suivants de ce rapport sont reproduits :

« 81. Une meilleure formation des “cadres” musulmans, générale, d’abord, et spécifique (en matière de radicalisme), ensuite, a été dépeinte comme indispensable. La volonté est d’augmenter le professionnalisme des intervenants, quel que soit le contexte de leur exercice professionnel. (…)

83. (…) l’objectif défendu par l’EMB est la mise sur pied d’une authentique formation de niveau universitaire en “théologie islamique”, portée par des universités belges, au même titre que les autres bacheliers et masters qu’elles dispensent. Il s’agirait, selon l’EMB, de la meilleure option afin de créer les racines, “saines”, d’un authentique islam de Belgique, dépassant d’autres initiatives existantes comme le “Master en sciences religieuses, option islam” qui existe grâce à la collaboration entre la KUL et l’EMB. (…)

157. La commission d’enquête constate que la formation des représentants officiels du culte musulman intervenant dans un ensemble de contexte est une question qui ressort des auditions comme étant importante. (…)

160. La commission d’enquête recommande (…) que la formation de ces représentants du culte soit approfondie, par la création d’un authentique cursus menant à l’exercice de ces professions. Leur exercice devrait, en outre, idéalement être subordonné à la maîtrise d’au moins une des langues nationales, et à la connaissance des valeurs fondamentales de l’État belge et des principes de droit en résultant. »;

Et de poursuivre :

« Considérant dès lors qu’il appartient à l’autorité fédérale de veiller à ce que les ministres du culte islamique, qui disposeraient d’un traitement, puissent suivre une formation de qualité, nécessaire à l’exercice de leur fonction; Considérant qu’à l’initiative de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, l’ASBL « Académie de formations et de recherches en études islamiques » (AFOR) a été créée le 1er avril 2019, les derniers statuts approuvés étant publiés aux annexes du Moniteur belge du 2 août 2019; Considérant que l’AFOR est reconnue par l’Exécutif des Musulmans de Belgique pour la formation des ministres du culte islamique en Belgique » Considérant que l’Exécutif des Musulmans de Belgique a mandaté l’AFOR pour cette formation et qu’un protocole entre l’Exécutif des Musulmans de Belgique et l’AFOR a été signé le 6 décembre 2019;  Que le présent subside sera utilisé par l’AFOR dans ce but;

Considérant que le présent subside vise à assurer la formation des ministres du culte islamique en Belgique en vue d’un « authentique cursus menant à l’exercice de » cette fonction en collaboration avec des universités belges (Rapport de la Commission d’enquête p. 54, point 160); »

On observera enfin que l’art. 2 de l’Arrêté royal précise explicitement la destination du financement : «  Cette somme est attribuée en vue d’organiser un cursus afin d’assurer la formation et la sensibilisation des ministres du culte islamique en Belgique, visant à la connaissance des valeurs fondamentales de l’État belge et des principes de droit en résultant, en collaboration avec des universités belges (Université catholique de Louvain – KU Leuven). Ce subside s’inscrit dans le but de fournir des moyens d’action dans le cadre de la prévention, la sensibilisation et de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation ».

Cette formule précise non seulement la destination spécifique du financement dans le cadre du régime des cultes, mais le distingue également d’autres initiatives publiques comme celle prise en Communauté française, à l’initiative en 2013 du Ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt, de créer un  »Institut de promotion des formations sur l’islam » (décret du 14 décembre 2016), dont la mission, selon l’art. 3.2 du décret, est notamment de  »proposer, soutenir et financer des formations à destination des imams, des maîtres et professeurs de religion islamique, des conseillers islamiques, des acteurs socioculturels ou tout autre public intéressé par l’islam ».

Les équilibres de l’Arrêté royal du 20 mars 2020 sont manifestement prudents à tous égards. Loin de constituer une atteinte aux principes constitutionnels, ils nous semblent s’inscrire dans les aspects soutenables du modus vivendi qui caractérise le système belge de relations avec les cultes et les philosophies reconnues. On voit ici jouer les « conditions » que l’on évoquait plus haut : loin d’être pointilleuses ou individualisées, elles n’en existent pas moins. Elles ne subsistent au surplus que dans le cadre constitutionnel d’une confiance globale et informée (i).

Louis-Leon Christians
Titulaire de la Chaire Droit & Religions (UCLouvain)

(i) Voy. les termes du communiqué fait par l’EMB le 22 février 2020 : https://www.embnet.be/fr/information-sur-les-inscriptions-la-formation-des-imams



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