Religions et philosophies dans un futur code pénal belge (I) Outrages

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Outrage aux agents et aux objets des cultes et philosophies dans un nouveau projet de Code pénal belge

Un projet de nouveau Livre II du Code pénal belge a été déposé par le Gouvernement à la Chambre des Représentants en juillet 2023 (DOC 55 3518/001).

Ce projet, tel qu’il est actuellement formulé, fait évoluer les méthodes du droit pénal, mais maintient les grands axes de sa régulation substantielle du religieux, déjà présents dans le Code actuel en vigueur depuis 1867, lui-même inscrit dans une grande continuité avec le Code pénal français de 1810. Que ce soit pour protéger la liberté religieuse comme droit fondamental ou pour en réprimer les abus, l’outil pénal demeure un instrument nécessaire. Il serait toutefois erroné de dire que rien ne va changer dans la substance du droit pénal cultuel. Plusieurs infractions concernant de près ou de loin une thématique explicitement religieuse sont venues renouveler la matière ces dernières années, tandis que d’autres en ont été retirées. On n’évoquera pas dans la présente note les mutations profondes qui ont modifié le droit commun, comme par exemple la dépénalisation partielle de l’avortement, le renforcement des délits sexuels ou encore l’introduction transversale de circonstances ou facteurs aggravants liés à la notion de hate crime…

On se propose de retenir sous l’intitulé de code pénal cultuel les dispositions actuellement visées aux articles 142 à 146 (« délits relatifs au libre exercice des cultes »), 267 et 268 (infractions commises par les ministres des cultes dans l’exercice de leur ministère) et 442quater (de l’abus de la situation de faiblesse des personnes], auxquelles on ajouterait encore les articles 228, 324 bis, 526 et 563 bis du Code pénal actuel. Que deviennent ces dispositions dans le projet nouveau ? Peut-on à ce stade dégager de premières analyses, en prenant en compte également l’exposé des motifs et les observations du Conseil d’Etat.

Les délits relatifs au libre exercice des cultes, dépourvus de tout jurisprudence significative, et longtemps tenus pour obsolètes, sont maintenus sous une formulation inchangée, quoique dans un texte regroupé sous le nouvel article 357 (1).

On notera que n’y est plus reprise la notion d’outrage envers un ministre d’un culte, dans l’exercice de son ministère. La protection de ce dernier est reprise sous la figure des « personnes exerçant une fonction sociétale », définie à l’art. 79. 4° du projet. « Cette expression est une appellation générique pour désigner une série de fonctions explicitement énumérées qui revêtent une grande importance sociétale et dont les titulaires sont particulièrement vulnérables aux actes de violence qui pourraient être commis à leur encontre ». La catégorie des ministres des cultes (reconnus ou non), y figurent dans une longue énumération légale, entre les facteurs et les journalistes. Elle est étendue aux « officiants lors de cérémonies d’une obédience philosophique non confessionnelle ». Ces derniers méritent certainement « un même degré de protection », dans un équilibre général entre les cultes et les organisations philosophiques non confessionnelles (reconnues ou non). Mais c’est la première fois en droit belge que les notions d’ « officiant » et « obédience » sont introduites pour viser la laïcité organisée et le bouddhisme d’ici peu. On notera enfin que la protection pénale de ces « personnes exerçant une fonction sociétale » continue à inclure la répression d’un simple outrage (art. 234), outre les actes de violence à leur encontre (nouveaux art. 102, 116, 124, 202). L’art. 234 étend la protection contre l’outrage des ministres des cultes aux « guides de cérémonie d’une conception philosophique non confessionnelle ». On s’interrogera ici sur l’instabilité des vocabulaires légaux.

La notion d’ « outrage envers les objets de culte », visée actuellement à l’art. 144, est également maintenue, mais n’est pas étendue aux philosophies. La notion de « sacrilège » n’était déjà plus présente dans le vocabulaire du Code de 1867, tirant ainsi les conséquences des principes constitutionnels de non-confessionnalité de l’Etat. C’est au seul titre de la protection de la liberté de religion que ces objets sont protégés pénalement, et ils ne le sont dès lors nullement dans l’absolu, mais dans le seul cadre de leur usage spécifique : « soit dans les lieux destinés ou servant habituellement à son exercice, soit dans des cérémonies publiques de ce culte ». On s’interrogera dès lors sur l’absence d’extension de cette protection à des objets utilisés par les philosophies non confessionnelles, dont on a vu qu’elles sont prises en compte par le projet de nouveau code. Si c’est bien l’exercice collectif de la liberté de conscience qui est en cause et non le caractère « sacré » de l’objet, aucune raison ne subsiste pour limiter cette protection aux seuls « cultes ». On rappellera aussi que le projet, comme le code actuel, ne limite nullement cette protection pénale aux seules traditions reconnues par la loi, ni aux seuls lieux reconnus. Enfin, cette disposition prend un intérêt particulièrement nouveau au regard des polémiques suscitées par des autodafés du Coran, qui agitent en 2023 le Danemark et la Suède. Le dispositif belge ne « sacralise » nullement le Coran comme tel (ni la Bible ou aucun autre objet même rituel) : la disposition évoquée en assure toutefois belle et bien une protection pénale absolue lorsque le Coran se trouve initialement « dans les lieux destinés ou servant habituellement à l’exercice du culte, ou dans des cérémonies publiques de ce culte ». Il n’en irait pas de même d’un ouvrage simplement acheté en librairie par le pyromane.

La reprise à l’art. 357 du projet de l’ancienne formule réprimant l’atteinte à l’exercice du culte (art. 142 : « par des violences ou des menaces, aura contraint ou empêché une ou plusieurs personnes d’exercer un culte, d’assister à l’exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes religieuses, d’observer certains jours de repos ») n’est pas non plus étendue à des violences ou menaces qui empêcheraient d’assister à une cérémonie laïque ou plus généralement d’une philosophie non confessionnelle. Là encore, le texte de l’art. 142 n’ayant pas pour fondement la « sacralisation » théologique des cultes, mais la garantie constitutionnelle de l’exercice d’une liberté fondamentale de conscience, le texte nouveau ne devrait pas exclure de sa sanction les contraintes positives ou négatives concernant des pratiques philosophiques.

Paradoxe de l’histoire, des infractions jugées désuètes il y a peu, retrouvent une pertinence au gré de nouvelles actualités et de nouveaux contentieux. Par ailleurs, la mise à niveau pénale de la protection des cultes et des philosophies, dans une perspectives d’égalité de traitement semble un défi complexe, tant quant aux choix des qualificatifs pertinents pour décrire les pratiques philosophiques, que pour assurer simultanément leur égalité de droits et leur égalité de devoirs.

A suivre…

Louis-Leon Christians
Chaire Droit & Religions (UCLouvain)

(1) Projet de Code pénal

Section 4. Les infractions relatives au libre exercice des cultes

Art. 357. L’atteinte au libre exercice d’un culte L’atteinte au libre exercice d’un culte consiste à délibérément: 1° par des violences ou des menaces, contraindre ou empêcher une ou plusieurs personnes d’exercer un culte, d’assister à l’exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes religieuses, d’observer certains jours de repos, et, en conséquence, d’ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou de quitter certains travaux; 2° par des troubles ou des désordres, empêcher, retarder ou interrompre les exercices d’un culte qui se pratiquent dans un lieu destiné ou servant habituellement au culte ou dans les cérémonies publiques de ce culte; 3° par faits, paroles, gestes ou menaces, aura outragé les objets d’un culte, soit dans les lieux destinés ou servant habituellement à son exercice, soit dans des cérémonies publiques de ce culte. Cette infraction est punie d’une peine de niveau 1.

Art. 358. Le facteur aggravant de l’atteinte au libre exercice d’un culte Lors du choix de la peine ou de la mesure et du taux de celle-ci pour l’infraction visée au 1° de l’article précédent, le juge doit prendre en considération le fait que l’infraction a été commise au préjudice d’un mineur ou d’une personne en situation de vulnérabilité.



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