Religions et congés de la magistrature : loi du 12 mai 2024 23 mai
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Religions et congés de la magistrature : folklore ou faiblesses constitutionnelles de la loi du 12 mai 2024 ?
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La loi du 12 mai 2024 portant statut social du magistrat fixe, parmi bien d’autres dispositions certes plus importantes, la liste des congés de circonstances admissibles pour les magistrats. L’article 20 de cette loi reprend une longue liste à la Prévert, assez usuelle pour la fonction publique. Cette liste frappera pourtant le lecteur de 2024 par son archaïsme, en particulier en matière religieuse et philosophique. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause ce type de congés, liés à l’importance des événements évoqués comme étapes de vie spirituelle ou philosophique, par ailleurs garantie par la Constitution, mais d’en observer l’inadéquation de la formulation.
Des congés de circonstances sont accordés pour « 10° l’ordination, l’entrée au couvent ou tout autre événement similaire d’un culte reconnu d’un enfant du magistrat ou de son/sa conjoint(e): un jour ouvrable; 11° la communion solennelle ou tout autre événement similaire d’un culte reconnu d’un enfant du magistrat ou de son/sa conjoint(e): un jour ouvrable; 12° la participation à la fête de la jeunesse laïque, d’un enfant du magistrat ou de son/sa conjoint(e): un jour ouvrable ».
Le Rapport sur la réforme de la législation sur les cultes et les organisations philosophiques non confessionnelles publié en 2010 par le Groupe de travail interuniversitaire instauré par Arrêté Royal du 13 mai 2009 insistait sur la nécessité de toiletter l’ensemble de la législation et d’en assurer une mise en cohérence du lexique, tant les scories, les imprécisions et les variations de vocabulaire y sont aussi fréquentes que trompeuses (ou révélatrices). Un lecteur pressé pourrait certes n’y voir que détail ou folklore législatif. Un observateur plus attentif y découvrira une des clés d’interprétation du régime belge des cultes et philosophies : en l’occurrence une bipartition catho-laïque plus idéologique que sociologique. S’agirait-il alors de traces purement archéologiques ou d’une permanence généalogique qui structurerait encore le système juridique ? Le dossier de la non-reconnaissance du bouddhisme en mai 2024 semble faire pencher vers la deuxième hypothèse… Mais revenons aux formules du texte.
Concernant les cultes, le vocabulaire relève d’un lexique historique chrétien, élargi par un parallélisme bancal à « tout autre événement similaire » pour autant qu’il relève d’un culte « reconnu ». Cette dernière restriction n’était pas explicitement appliquée à l’ordination, à l’entrée au couvent ou à la communion solennelle. Ordination, entrée au couvent, communion solennelle sont-elles nécessairement catholiques, ou à l’inverse toujours visées quel que soit le culte, même non reconnu, comme certaines dissidences catholiques ou autres ?
Les philosophies non confessionnelles se voient quant à elles visées par la seule référence à la « fête de la jeunesse laïque », dont légalement on semble faire l’équivalent d’une « communion solennelle » ? Sans entrer dans une comparaison sociologique des rituels chrétiens et laïque, on se borne à observer trois traits significatifs de cette référence. Le premier tient à l’absence de toute limitation au caractère « reconnu » du rite en question. Pas plus que la communion solennelle, la fête de la jeunesse laïque n’est limitée par une restriction administrative ou législative. Deuxièmement, alors qu’aucune dénomination de culte spécifique n’est mentionnée pour les événements religieux (tantôt implicitement catholiques, tantôt catégoriellement « reconnus »), il en va différemment pour la « Laïcité » dont la dénomination, est mentionnée, certes en dehors de toute reconnaissance. Enfin, troisièmement, alors que la communion solennelle se voit étendue à « tout autre événement similaire d’un culte reconnu », il n’en va pas de même de la fête de la jeunesse laïque, qui ne se voit étendue par analogie à aucun autre rite philosophique, reconnu ou non.
Le pluralisme des convictions semble demeurer assez assymétrique en droit belge entre un régime des cultes de nature oligopolistique et un régime des philosophies non confessionnelles qui peine à quitter une conception monopolistique. La reconnaissance de la laïcité en 2002, comme « une » philosophie non confessionnelle, ne semble pas avoir percolé jusqu’au législateur de 2024 (1). L’inachèvement de la reconnaissance du bouddhisme en 2024 est de cette façon un défi de moins pour les congés de la magistrature… quelques temps encore.
Louis-Léon Christians
Professeur ordinaire UCLouvain
Directeur de la Chaire Droit & Religions
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(1) D’autres législations récentes ont au contraire révisé leur vocabulaire et l’ont mis en conformité avec la légisprudence du Conseil d’Etat. Voy. ainsi la loi du 31 juillet 2023 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme IV (M.B. 9 août 2023), art. 8, « Dans l’article 1er bis de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, inséré par la loi du 26 juin 1992 et remplacé par la loi du 17 mai 2007, les mots “aux ministres des cultes catholique, protestant, orthodoxe, anglican, israélite, aux imams du culte islamique, aux délégués du Conseil central laïque, aux aumôniers et aux conseillers moraux;” sont remplacés par les mots “aux ministres des cultes reconnus, aux délégués des organisations philosophiques non confessionnelles reconnues, aux aumôniers et aux conseillers moraux;”.