Le non accès des femmes à la formation de diacre devant un tribunal belge

diacre

L’Église catholique condamnée pour refus d’admission
d’une femme à la formation de diacre :
où commence la discrimination et où s’arrête la séparation Eglises-Etat ?

Le 25 juin dernier, le Tribunal de première instance d’Anvers, en sa division de Malines, a estimé que la responsabilité civile extracontractuelle de l’ancien et l’actuel archevêques de Malines-Bruxelles pour avoir refusé la demande d’une fidèle d’être admise à une formation de diacre pour la seule raison de son sexe.

Tout en reconnaissant à titre principiel l’autonomie organisationnelle des cultes, le tribunal estime que les archevêques ont commis une faute, en faisant d’emblée du sexe de la personne un critère dans l’admission à la formation diaconale.

Le juge reconnaît qu’un tel constat de faute constitue une ingérence dans l’autonomie reconnue aux cultes par l’article 21 de la Constitution, en vertu de la séparation des Églises et de l’Etat. Néanmoins, celui-ci estime que cette séparation n’est pas absolue, et qu’une telle ingérence est justifiée en l’espèce par le « besoin social impérieux » visant à « garantir l’égalité entre les hommes et les femmes », en tant que « valeur fondamentale de la société démocratique ».

Le tribunal estime qu’il « ne touche pas au cœur de la liberté d’organisation de l’Église », dans la mesure où la demande visée « ne concerne que la formation de diacre », qui « n’entraîne pas automatiquement l’installation comme diacre ». Pourtant favorables à l’ordination diaconale aux femmes, les deux archevêques ont ainsi rappelé que le droit canonique, en tant que droit universel de l’Église catholique, ne permet pas en l’état l’accès des femmes au ministère diaconal.

Précisant que la requérante « ne cherche pas à être nommée à une quelconque fonction ecclésiastique ou à suivre une formation menant automatiquement à une telle fonction », le tribunal se défend de vérifier le bien-fondé des motifs de refus, mais dit se limiter à une appréciation procédurale quant au « traitement de la candidature de la plaignante ».

Le tribunal reproche en l’occurrence aux archevêques le fait que « sa candidature n’a même pas été prise en considération », quand bien même la requérante n’a « pas de droit subjectif » à être admise à cette formation. Une telle absence de prise en considération – par ailleurs confirmée par Mgr Terlinden, en tant que successeur de Mgr De Kesel – constitue une faute civile qui n’est pas davantage explicitée.

Quant au dommage, celui-ci correspond à la « perte de chance » de la candidate, qui correspond à un « préjudice moral » pour elle, « du seul fait qu’elle a été discriminée en raison de son sexe ». Le tribunal évalue ce dommage à 1500 euros, dans le chef de chaque archevêque.

Outre la condamnation des archevêques concernés pour discrimination et l’obtention de dommages et intérêts, la requérante réclamait également du tribunal qu’il intime à ceux-ci de lui permettre d’accéder à la formation, sous peine d’astreinte. Le tribunal a jugé cette demande non fondée, en raison de l’article 21 de la Constitution belge, selon lequel « L’État n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque » [0].

Discussion

Trois questions principales surgissent à la lecture de ce jugement.

1° Le constat de faute extracontractuelle est-il purement procédural en l’espèce, ne visant que l’absence de motivation des archevêques dans leur refus d’admission de la candidate ? En d’autres termes, le tribunal aurait-il conclu à l’absence de faute si l’Église avait pris la même décision tout en s’appliquant à y mettre les formes sur le plan de la motivation, par exemple en la fondant sur le droit canonique relatif au diaconat ? L’évocation par le tribunal d’une « perte de chance »[1] dans le chef de la requérante s’avère flou sur ce point : le juge vise-t-il ici non pas la perte de chance de devenir diacre, mais bien la perte de chance de ne pas avoir pu expliquer pourquoi elle voulait seulement participer à une formation, sans prétendre devenir diacre ?

Ceci nous amène à notre second point, relatif à la différence entre l’accès à la formation et l’accès au ministère de diacre.

2° Le juge insiste sur le constat de discrimination issu du seul refus de prise en considération de la demande d’accès d’une femme à la formation diaconale, tout en se gardant de remettre frontalement en cause le droit ecclésial réservant l’ordination diaconale aux hommes. Abstraction faite du débat sur l’ouverture du diaconat aux femmes, une telle distinction entre l’accès à la formation et l’accès au ministère peut interroger. Il convient en effet de rappeler qu’une telle formation, si elle ne garantit pas automatiquement aux hommes qui la suivent l’ordination diaconale, n’a comme seule vocation la préparation des personnes qui la suivent à la fonction de diacre, en tant que nouvel « état de vie ». Cette formation se distingue ainsi par exemple d’une formation universitaire ou diocésaine en théologie, qui n’est pas en soi destinée à préparer à l’exercice d’un ministère ecclésial. Précisons en outre que si certaines femmes sont impliquées dans la formation des diacres permanents, celles-ci le sont dans le sens et dans la mesure où elles accompagnent leur époux dans la préparation, l’acceptation[2] et l’exercice de ce ministère.

3° S’agissant du principe de séparation des pouvoirs, la manière dont le tribunal justifie l’ingérence dans l’autonomie des cultes garantie par l’article 21 de la Constitution a de quoi étonner. En citant l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle de Belgique le 27 avril 2017, le juge fait en effet référence au cas des inspecteurs des cours de religion dans l’enseignement obligatoire, dont le statut est intrinsèquement « hybride »[3], en ce qu’ils dépendent à la fois de l’autorité civile et de l’autorité religieuse. Cette circonstance spécifique, permettant un contrôle étendu de la part du juge, n’est pas rencontrée dans le cas de l’accès à la formation au diaconat, celle-ci n’emportant – comme le précise d’ailleurs le jugement – aucun effet civil. A cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que, s’agissant de l’organisation interne d’un culte et du statut du clergé, le respect de l’autonomie des cultes, en tant qu’élément « indispensable au pluralisme dans une société démocratique », s’avère essentiel.[4]

Les archevêques disposent d’un mois pour faire appel de la décision. Leur choix à cet égard n’a pas encore été communiqué.

Dr Leopold Vanbellingen
Université catholique de Louvain


 

[0] Voy. déjà en ce sens,  CHRISTIANS, L.-L., « Astreinte et conflits religieux », Annales de droit de Liège, 1989, pp. 439-456.

[1] Sur la perte de chance dans les procédures en Eglise, voy. Mons, 23 décembre 2008 (A. von K.), J.L.M.B., 2009, p. 700; plus généralement, voy. A. VATANDAS, Les défis juridiques de la responsabilité civile dans un cadre religieux. Analyse critique à l’aune du droit national et européen, UCLouvain, Mémoire de master en droit, Prom. Prof. L.-L. Christians, 2024.

[2] Le canon 1031 §2 du Code de droit canonique de l’Église latine requiert notamment le consentement de l’épouse du candidat au diaconat permanent.

[3] C. Const, 27 avril 2017, req. n° 45/2017, B.14.2 et B.14.3 : « [l’]inspecteur de religion, en raison de sa nomination par la Communauté, jouit également du statut de fonctionnaire. Il bénéficie dès lors d’un statut hybride, relevant tant de la sphère cultuelle que de la fonction publique. […] Il résulte de ce qui précède que les inspecteurs de religion […] sont, […] soumis à un statut différent de celui des inspecteurs des autres cours nommés par la Communauté française. Cette différence découle de l’intervention conjointe des pouvoirs publics et du chef du culte dans la carrière de l’inspecteur de religion ».

[4] Cour eur. D.H., arrêt Sindicatul Păstorul Cel Bun c. Roumanie, 9 juillet 2013 (Gr. ch.), req. n° 2330/09, para. 136-137.



Ouverture à révision de l’article 21 al.1 de la Constitution belge

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Autonomie des cultes et des philosophies non confessionnelles dans la Constitution belge

La Déclaration de révision de la Constitution publiée au Moniteur belge le 27 mai 2024 vise entre autres l’article 21 « en vue d’y ajouter, après l’alinéa 1er, un alinéa afin d’étendre la protection accordée aux ministres des cultes aux délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle, visés à l’article 181, § 2 ».

La doctrine classique a toujours analysé l’article 21 de la Constitution comme portant le principe général de l’autonomie des cultes et assimilés, bénéficiant à l’ensemble des dénominations, reconnues ou non. Le Congrès national de 1830 n’avait pas réussi à formuler les termes généraux d’un tel principe. Il s’est finalement borné à en énoncer certains exemples que les cours et tribunaux ont interprété, par métonymie, comme garantie générale d’autonomie : « L’Etat n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. / Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu ».

Un des enjeux récurrents d’une interprétation large de cette disposition a notamment porté sur le régime juridique de la révocation des ministres des cultes. Les recours introduits par des clercs révoqués n’ont pas manqué, dès le XIXe siècle, mais n’ont pas déstabilisé le principe d’autonomie : les décisions d’écartement prises par les autorités religieuses n’ont pas été remises en cause par les tribunaux, dès lors qu’aucun arbitraire manifeste n’était établi. C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation, chambres réunies, en 1994 et 1999 et, indirectement, la Cour constitutionnelle en 2017[1]. Le statut juridique sui generis reconnu au clergé catholique rendait peut-être assez banale cette approche, mais elle a été étendue à d’autres cultes au sein desquels les fonctions cultuelles de leurs ministres sont sous contrat, voire sous contrat de travail. Par ailleurs, à défaut de contrat, certains tribunaux ont admis pouvoir examiner les procédures religieuses d’écartement en termes de responsabilité délictuelle, et à défaut d’injonction en nature, des dédommagements par équivalent, y compris comme perte de chance en cas de lacune des droits de la défense. Très récemment, la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 19 décembre 2023 a toutefois énoncé que « Les droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Constitution priment sur les dispositions pénales nationales. Il appartient aux tribunaux d’interpréter et d’appliquer la Convention et la Constitution, sans préjudice de la compétence de la Cour constitutionnelle. Il s’ensuit qu’il n’est pas exclu que les droits fondamentaux consacrés par les articles 9, 10 et 11 de la Convention européenne et l’article 19 de la Constitution empêchent, même lorsque les éléments constitutifs des infractions d’incitation de la loi anti-discrimination sont réunis, l’application de ces infractions à un comportement concret inspiré par une règle de foi ».

Quatre questions

Comment comprendre l’ouverture à révision de l’article 21, al.1, telle que formulée ? Quatre questions semblent ouvertes. D’une part, la nécessité d’une telle révision formelle n’a jamais été visée par la doctrine dès lors que cultes et philosophies non confessionnelles ont toujours été assimilés dans leur garantie d’autonomie, comme l’impose d’ailleurs aujourd’hui la Convention européenne des droits de l’homme. On notera qu’une telle extension implicite a déjà été confirmée par la Cour constitutionnelle, quand il s’est agi il y a quelques années d’interpréter l’article 24 de la Constitution (relatif aux cours de religions et de morale) pour les considérer tous ces cours, morale comme religion, liés aux dénominations reconnues aux al. 1 et 2 de l’art. 181.

D’autre part, la proposition de restreindre la garantie d’autonomie des organisations philosophiques aux seules organisations « reconnues », semble cependant en porte-à-faux avec le principe de l’article 21 qui, quant à lui, n’est précisément pas limité par une condition de reconnaissance des dénominations. Certes, c’est au lendemain de la loi du 21 juin 2002 ‘relative au Conseil central des Communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique, aux délégués et aux établissements chargés de la gestion des intérêts matériels et financiers des communautés philosophiques non confessionnelles reconnues’, que l’art. 21 al.1 a été ouvert à révision pour la première fois mais ceci ne justifie nullement de restreindre la généralité constitutionnelle du principe d’autonomie.

Troisièmement, la motivation proposée (« d’étendre la protection accordée aux ministres des cultes aux délégués des organisations… ») semble, à ce stade, potentiellement paradoxale, dès lors que l’autonomie garantie jusqu’à présent l’est avant tout aux institutions convictionnelles bien davantage qu’à leurs agents. En atteste précisément la jurisprudence limitant très fortement le contrôle judiciaire des décisions de révocation des agents convictionnels, au titre précisément de l’art. 21 de la Constitution et de l’article 9 de la Convention européenne. Il reste que les délégués laïques sont placés actuellement sous régime de contrat de travail et qu’un futur débat parlementaire pourrait contribuer à clarifier l’incidence de l’article 21 de la Constitution sur le régime des licenciements contractuels de ces délégués, comme d’ailleurs de tous les ministres des cultes qui seraient sous contrat, voire ceux qui sont sous statut sui generis.

Enfin, plus généralement, insérer un nouvel alinéa à l’article 21 plutôt que d’étendre l’alinéa 1 aux délégués philosophiques (comme c’est le cas implicitement aujourd’hui), reviendrait aussi à rouvrir le débat du Congrès national sur la formulation idéale d’un principe d’autonomie. L’exercice est complexe comme l’Histoire l’a montré. Le cas échéant, il conviendrait de justifier que l’autonomie des cultes et des philosophies, et la « protection » de leurs agents respectifs, ne soient pas formulées de façon identique, ce qui serait un défi très particulier au regard des garanties internationales. Et une formulation en miroir, à l’instar de celle de l’article 181, impliquerait en tout cas, comme on l’a mentionné, de ne pas restreindre le nouvel alinéa aux seules philosophies reconnues.

Pourquoi n’ouvrir à révision que le seul art. 21 al.1 ? Symétrie ou asymétrie aléatoires du droit belge entre cultes et philosophies ?

On  notera que l’ouverture à révision ne concerne que l’alinéa 1 de l’article 21 et non son alinéa 2 visant quant à lui l’antériorité du mariage civil sur la bénédiction nuptiale. Ceci pourrait étonner dès lors qu’au même moment le législateur pénal élargissait la formule constitutionnelle pour sanctionner dans le nouveau Code pénal aussi bien les rites philosophiques que religieux de mariages antérieurs. L’art. 642 nouveau érige en effet en infraction « La célébration du mariage religieux ou du mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil [ce qui] consiste à, pour un ministre des cultes ou pour un délégué qui offre une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle, célébrer, délibérément, le mariage religieux ou le mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil ».

Plus largement, les articles 19 et 20 de la Constitution demeurent également absents d’une telle proposition d’extension des garanties religieuses aux convictions et rites philosophiques. En particulier, la prohibition de toute contrainte en faveur ou à l’encontre d’un rite philosophique n’a pas, quant à elle, été actée par le nouveau code pénal, dont l’article 354 se borne à continuer à protéger le seul exercice du culte. En revanche, l’infraction d’outrage à la personne du ministre du culte se voit étendue par l’article 247 nouveau à tout « officiant lors des cérémonies d’une obédience philosophique non confessionnelle ».

Conclusion : la Convention européenne des droits de l’homme tient lieu de révision constitutionnelle depuis longtemps

Pour conclure, l’enjeu premier qui semble apparaître tient davantage à la cohérence du propos constitutionnel entre ces diverses dispositions, qu’à la seule disposition de l’article 21, al.1. Dès lors que jurisprudence et doctrine unanimes ont depuis longtemps assuré la mise sur le même pied des garanties de liberté de religion et de conviction philosophique, comme l’exige d’ailleurs la Convention européenne des droits de l’homme, on ne comprendra pas cette focalisation retenue par la déclaration de révision 2024. Ce n’est donc pas cet alignement qui semble en soi nécessiter une intervention sur la Constitution, et encore moins une intervention qui ne serait que partielle, se focalisant sur une disposition et négligeant les autres. Certes, parmi les dispositions relatives aux religions et philosophies, seuls les articles 24 et 181 ont été modifiés depuis 1831. Les articles 19, 20, 21 ne l’ont pas été et appelleraient sans doute une formulation plus contemporaine. Mais celle-ci n’est-elle pas déjà assurée par l’art. 9 de la Convention européenne ? Sur ces libertés de base, aucun Parlement constituant ne pourra prétendre faire mieux en l’état actuel du droit européen.

Louis-Leon Christians
Professeur ordinaire UCLouvain
Directeur de la Chaire Droit & Religions

 

 


[1] Par arrêt du 27 avril 2017 (n°45/2017), la Cour constitutionnelle de Belgique a confirmé, a contrario, ce principe d’autonomie en indiquant qu’il ne pouvait faiblir qu’à l’égard de fonctions « hybrides » comme le sont par exemples celles des professeurs de religion de l’enseignement public (et de leurs inspecteurs), en opposition aux fonctions cultuelles des ministres du culte.



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