Réaffectation des églises : pratiques comparées

Dimodugno couverture

La réaffectation des lieux de culte. Enjeux européens. Comparaison entre Belgique, France et Italie

Les questions de la surabondance des édifices de culte catholiques par rapport aux besoins religieux de la population et de la possibilité de leur réutilisation à des fins culturelles ou sociales se posent de plus en plus fréquemment dans plusieurs pays européens traditionnellement considérés comme catholiques, comme la Belgique, la France et l’Italie. Les raisons sont multiples et liées à des phénomènes tels que la sécularisation, la diminution du nombre de prêtres et de religieux, le déclin démographique et les déplacements de population. Il s’agit d’un défi complexe et multidisciplinaire, car il ne peut être abordé uniquement dans le cadre d’un secteur juridique (le droit canonique, le droit administratif, le droit constitutionnel, le droit privé, le droit international et le droit de l’Union européenne considérés isolément ne parviennent pas à apporter de réponses uniques au problème). Il ne peut non plus être traité uniquement dans une discipline (le droit constitue certainement une bonne base, mais sur laquelle il faut construire un plan économique et de gestion ainsi qu’un projet architectural, en tenant compte des questions théologiques, pastorales et sociales  sous-jacentes). Conscients de ce défi, nous avons commencé en 2018 un parcours de recherche de doctorat à l’université de Turin, département de droit, qui s’est terminé en 2022 par la soutenance d’une thèse ayant abouti à la publication de deux monographies.

La première publication, après avoir présenté les questions théoriques dans les domaines juridique et extra-juridique, en soulignant la valeur culturelle sous-jacente à la plupart de ces biens, est spécifiquement consacrée à l’Italie. Une étude de cas portant sur une centaine de décrets de réduction à un usage profane survenus au cours des quarante dernières années dans l’archidiocèse de Turin est présentée de manière systématique afin de montrer les points critiques et les bonnes pratiques. À la lumière de cette analyse, nous avons proposé des solutions innovantes, au-delà du cas par cas, telles que la classification de ces immeubles en tant que « biens communs » – c’est-à-dire des biens dans lesquels une communauté se reconnaît et s’engage à prendre soin –, la création de « fondations de participation » ou de « trusts », afin de gérer de manière originale et participative la pluralité des biens qui ne seront plus utilisés pour le culte, et d’éviter ainsi le recours précipité à la cession par les autorités ecclésiastiques.

Le second ouvrage, fruit de deux séjours à l’étranger, à la KU Leuven en 2020 et à l’Université Paris-Saclay en 2021, visait à élargir les horizons de la recherche afin de comprendre si les solutions adoptées dans des contextes plus sécularisés que celui de l’Italie pouvaient offrir des pistes de réflexion, avant que la situation ne devienne critique et ingérable dans la Péninsule. C’est précisément les conclusions de cette recherche qui font l’objet d’une présentation  le 9 avril 2025 à l’Institut de recherche « Religions, Spiritualités, Cultures, Sociétés » de l’UCLouvain, dans le cadre d’une période de recherche à la Chaire de droit des religions du prof. Louis-Léon Christians.

La comparaison entre la Belgique, la France et l’Italie

La comparaison entre la Belgique, la France et l’Italie a montré comment les différents systèmes de relations entre l’État et les confessions religieuses, ainsi que la multiplicité des réglementations impliquées, affectent la délivrance des décrets de désaffectation au sens du can. 1222 § 2, ainsi que la mise en œuvre des hypothèses de réutilisation ou d’utilisation mixte dans l’espace ou dans le temps.

En Belgique, les fabriques d’église, organismes de droit public chargés des aspects matériels du culte, sont toujours en activité et s’occupent spécifiquement des églises catholiques construites avant 1802 et toujours propriété des communes. À la lumière de la forme fédérale de gouvernement qui caractérise le Royaume de Belgique, les anciennes réglementations napoléoniennes peuvent être modifiées de manière autonome par chacune des trois régions des Flandres, de Wallonie et de Bruxelles-Capitale, ainsi que par la Communauté germanophone.

En particulier, en Flandre, le « plan stratégique sur l’avenir des églises paroissiales catholiques » a été introduit il y a plusieurs années. Il oblige les autorités civiles et religieuses, ainsi que les fabriques, à discuter et à réfléchir ensemble sur l’utilisation actuelle et future des églises, en vue de leur valorisation culturelle, de leur utilisation mixte dans l’espace ou dans le temps, ou de leur réutilisation à des fins séculières. Il s’agit certainement d’une participation imposée et non spontanée, à laquelle l’octroi des subventions régionales et communales est désormais subordonné. En revanche, en Wallonie, aucun consensus n’a encore pu être trouvé pour une réforme, mais nous pensons que le gouvernement régional finira par intervenir sur la question, ne serait-ce que pour des raisons économiques. À notre avis, il sera difficile de suivre le modèle séparatiste luxembourgeois, qui a vu, en 2018, la cessation des fabriques d’église, remplacées par un fonds diocésain auquel ont été transférées la propriété des églises déjà publiques. Toutefois, toutes les interventions viseront certainement à réduire la contribution publique dans ce domaine, en considérant la baisse du nombre de fidèles participant au culte.

S’agissant du cas français, où l’absence de constitution d’associations cultuelles par l’Église catholique a conduit à l’acquisition par la propriété publique des églises construites après le Concordat napoléonien de 1801 et avant l’entrée en vigueur de la loi de séparation de 1905, la solution dégagée par la jurisprudence et mise en œuvre par le législateur est celle d’une convention entre les communes propriétaires et l’autorité religieuse affectataire, afin de réglementer les visites culturelles et toutes autres activités profanes jugées compatibles avec le culte par le curé desservant. On doit également signaler la récente convocation des États généraux du patrimoine culturel religieux français et l’ouverture d’une campagne nationale de collecte de fonds, qui montrent que ces biens suscitent l’intérêt d’une communauté plus large que celle des seuls fidèles, même dans un contexte de forte sécularisation et de séparation stricte.

En Italie, il ne semble pas y avoir encore une pleine conscience de la problématique et on ne dispose pas de données certaines sur le nombre d’églises déjà officiellement désaffectées ou même simplement fermées au culte. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un immense patrimoine (on estime à environ 100 000 le nombre de lieux de culte catholiques, dont au moins 80 % remplissent les conditions pour être inclus dans le patrimoine culturel, conformément à la législation nationale, avec toutes les conséquences et les charges qui en découlent pour le propriétaire en matière de conservation). Proportionnellement, les églises fermées ou qui ne sont plus utilisées pour le culte devraient se compter par milliers. Mais la différence la plus significative avec la Belgique et la France réside dans le fait que les églises sont directement détenues par des entités ecclésiastiques civilement reconnues (diocèses, paroisses, instituts de vie consacrée, confréries, etc.), ce qui les soumet à un régime de propriété privée et non publique. Pour cette raison, le risque d’aliénation ou d’abandon est d’autant plus élevé lorsque la communauté n’est plus en mesure de gérer ses biens de manière autonome. Il est donc nécessaire de rassembler les forces des entités ecclésiastiques, des autorités publiques, des entreprises, des organismes du secteur tertiaire et des citoyens privés, grâce à des solutions de gestion qui permettent la participation d’une pluralité de sujets intéressés par l’avenir de ces biens.

En conclusion, que peut-on tirer de cette comparaison ?

En ce qui concerne la Belgique, on peut affirmer que le système des fabriques a permis de maintenir un lien entre la communauté et chaque lieu de culte, même si la couverture des déficits par les communes est de plus en plus soumise à des restrictions. Parallèlement, il est intéressant de noter que, sans aucune référence à la catégorie des « biens communs », les églises belges le sont déjà dans les faits, compte tenu du régime de propriété publique et de leur système particulier de gestion. En France, du moins en ce qui concerne la valorisation culturelle des églises catholiques, le régime rigide de séparation s’atténue au profit d’un principe de collaboration entre l’État et l’Église. Pour l’Italie, tous ces éléments nous amènent à conclure à la nécessité d’une modification de la législation nationale et de la législation canonique particulière, afin de faciliter la participation des communautés à l’identification de nouvelles utilisations et de favoriser des solutions d’utilisation mixte dans l’espace ou dans le temps, solutions pacifiquement admises en Belgique, par opposition à une réaffectation définitive. Cette dernière, lorsqu’elle ne peut être évitée, devrait en tout cas être réservée à des usages sociaux ou culturels capables de générer des effets positifs sur la communauté, éventuellement grâce à l’implication d’entités du tiers secteur. En effet, même réduites à un usage non inconvenant, les églises catholiques conservent une valeur pour l’ensemble de la communauté civile, indépendamment de l’appartenance religieuse de chacun. À la lumière de la théorie des biens communs, elles devraient être gérées en recourant à des modèles de gouvernance capables de concilier une pluralité d’intérêts différents, tant religieux que culturels, en mettant l’accent sur la participation des communautés aux choix et à la gestion. C’est dans cette perspective que s’inscrivent également les conventions internationales sur le patrimoine culturel (Paris 2003, Faro 2005), auxquelles l’Italie a adhéré, mais dont elle peine encore à mettre concrètement en œuvre les dispositions. Il est donc temps de changer d’approche si l’on veut transformer un problème objectif en une opportunité extraordinaire pour le développement culturel, social et économique des communautés territoriales.

Dr Davide Dimodugno

Chercheur Postdoctoral en Droit et Religion à l’Université de Turin – Département de Droit
Chercheur Visiteur à l’UCLouvain – Institut de recherche « Religions, Spiritualités, Cultures, Sociétés »

Bibliographie

- Davide Dimodugno, La gestione e il riuso delle chiese cattoliche in una prospettiva comparata, Turin – Naples (Università degli Studi di Torino – Edizioni Scientifiche Italiane), 2025 https://www.collane.unito.it/oa/items/show/215.
- Davide Dimodugno, Gli edifici di culto come beni culturali in Italia. Nuovi scenari per la gestione e il riuso delle chiese cattoliche tra diritto canonico e diritto statale, Turin (Università degli Studi di Torino), 2023. https://www.collane.unito.it/oa/items/show/145.
- Davide Dimodugno, Places of Worship in the Urban Landscape: The Role of Participatory Processes for Their Reuse in a European Comparative Perspective, in Amida Osman, John Nagle, Sabyasachi Tripathi (eds.), The Urban Ecologies of Divided Cities, Cham (Springer) 2023, pp. 187-190. https://doi.org/10.1007/978-3-031-27308-7_34.
- Davide Dimodugno, New Perspectives For The Reuse Of Catholic Churches In Europe: From A Common Problem To A Common Good, in Canopy Forum, 5 Mai 2023 https://canopyforum.org/2023/05/05/new-perspectives-for-the-reuse-of-catholic-churches-in-europe-from-a-common-problem-to-a-common-good/.
- Davide Dimodugno, Ecclesiastical properties as common goods. A challenge for the cultural, social and economic development of local communities, in Stato, Chiese e pluralismo confessionale, n. 12 (2022), pp. 11-37. https://doi.org/10.54103/1971-8543/18087.
- Davide Dimodugno, Il riuso degli edifici di culto: profili problematici tra diritto canonico, civile e amministrativo, in Stato, Chiese e pluralismo confessionale, n. 23 (2017), pp. 1-32. https://doi.org/10.13130/1971-8543/8808



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