Religion et sport

AC Milan's Kaka falls to his knees after winning the Champions League final soccer match against Liverpool in Athens

Radicalisme dans les clubs de sport :
mens (in)sana in corpora sano ?

Début octobre 2017, plusieurs médias alertaient sur la « réalité du radicalisme » qui se propagerait au sein de certains clubs sportifs »[1] en Belgique francophone. Interrogé par La Libre Belgique sur cette problématique, Rachid Madrane, Ministre de l’Aide à la jeunesse et des Sports en Fédération Wallonie-Bruxelles, confirmait la présence de cette « dérive » qui, « bien que circonscrite, semble bien exister, notamment dans des lieux clandestins, où se pratiquent des entraînements aux combats, qui seraient utilisés afin de recruter et de radicaliser des jeunes ».

Sport ou… sports de combat ?

En cette matière, c’est bien le radicalisme en tant que possible tremplin vers le terrorisme djihadiste qui inquiète les autorités. La pratique de sports de combat est vue dans ce contexte comme pouvant constituer un entraînement en vue de commettre un attentat ou de partir combattre à l’étranger en Syrie ou en Irak. Certains clubs sportifs où sont pratiquées de telles disciplines seraient ainsi sous l’influence des recruteurs de l’Etat islamique. Interpellé par plusieurs fédérations sportives, le Ministre Madrane ne cache pas la marge de manœuvre limitée dont il dispose pour lutter contre ce phénomène. En particulier, la pratique de sports de combats « à l’insu d’une autorité », notamment via des « clubs ou des entraîneurs qui ne seraient pas rattachés à une fédération ». Le Ministre rappelle enfin qu’en tant qu’autorité sportive, son administration ne dispose pas de la compétence de fermer directement une salle de sport. Le phénomène n’est par ailleurs pas spécifique à notre pays, la France étant également confrontée à cette problématique[2].

Sport reconnu ou « clandestin » ?

Cette distinction entre organismes sportifs « reconnus » ou « rattachés à une fédération » d’une part, et les clubs « clandestins » d’autre part, évoque une autre catégorisation, elle aussi établie dans le cadre des politiques de prévention de la radicalisation pouvant mener au terrorisme : l’on vise ici les mosquées présentes sur le territoire belge, considérées différemment selon qu’elles soient reconnues – et donc financées – par les autorités, non reconnues mais bien connues des pouvoirs publics, ou encore  « clandestines » (qualification dont les critères semblent encore à préciser).

A l’instar des mosquées, le traitement réservé aux clubs sportifs par les autorités sur les questions de radicalisme variera sensiblement selon que ces clubs (se) sont rangés dans l’une ou l’autre catégorie. Paradoxalement, l’organisme reconnu bénéficiera probablement d’un a priori plus positif de l’autorité à son égard, tout en se voyant imposer un contrôle plus serré quant à la présence de signes radicaux en son sein. A l’inverse, la mosquée ou le club de sport non reconnu (que ceci résulte d’un choix délibéré ou non) voit visiblement tomber sur lui davantage de suspicion lorsqu’il est question de radicalisme, mais échappe dans le même temps à certaines injonctions des autorités en la matière, sans que celles-ci ne puissent interdire en soi l’existence de l’organisme – sauf circonstances très spécifiques – en vertu de la liberté d’association et de l’exercice collectif de la liberté de religion.

Ainsi, de manière comparable aux initiatives – plus ou moins contraignantes – prises par les différentes autorités compétentes vis-à-vis des mosquées reconnues, le Ministre Madrane a proposé aux huit fédérations de sports de combat et d’arts martiaux la signature d’une charte « pour une pratique éthique et sûre » de ces sports, afin de favoriser « la dignité et le respect ».[3]

Une déclaration sportive des chefs de culte

L’on notera également la déclaration commune signée conjointement par plusieurs organisations sportives d’un côté, et par les représentants des religions et philosophies reconnues de l’autre, le 31 mars dernier, au Sénat de Belgique, à l’initiative de l’ASBL Panathlon. Cette déclaration prévoit en particulier que « lorsqu’il/elle participe aux activités objets de la présente Déclaration, [chaque participant] accepte dès qu’il/elle franchit les portes ou entre dans l’espace ‘sport’, sans aucune exception, pendant l’exercice de sa pratique à faire sienne de se conformer aux règles du sport, au sens le plus large, sans mettre en exergue ses convictions philosophiques, de façon ostentatoire et intolérante, de quelque manière que ce soit »[4].

Radicalisme ou signes faibles ?

A travers les chartes et autres déclarations sur l’honneur – dont certaines sont imposées par les pouvoirs publics à certains organismes dont on suppose qu’ils sont confrontés au radicalisme au premier chef[5] –, c’est la question des « signaux faibles », témoignant d’une radicalisation en cours, qui semble être véritablement au centre des préoccupations de l’ensemble de nos autorités, du niveau fédéral au niveau communal sans oublier les Régions et Communautés.

À l’échelon fédéral, certains prônent sans détour l’établissement d’une liste claire de signaux faibles de radicalisation, à l’instar du député-bourgmestre Philippe Pivin (MR). Ce dernier suggère notamment un screening systématique des associations sportives et salles de sport sur base de cette liste, ainsi qu’un conditionnement des subsides accordés à ces structures en fonction de ce screening. Le Ministre de l’Intérieur, interpelé par P. Pivin sur ce sujet au Parlement fédéral en commission de l’Intérieur, « ne pense pas qu’un tel screening proactif soit utile, souhaitable ou proportionnel »[6].

Les valeurs du sport : alcool et droits de l’homme ?

Preuve que chaque niveau de pouvoir est mobilisé, Alain Courtois, échevin des Sports de la Ville de Bruxelles, est catégorique quant à l’inadéquation de certaines pratiques religieuses dans le cadre sportif, citant l’exemple d’un club de football de la commune ayant exigé l’absence d’alcool à la buvette en leur présence[7], ou la volonté de certains de supprimer les douches communes dans les vestiaires. Dans chaque cas, l’échevin a mis fin à ces pratiques ou demandes, au nom des « valeurs véhiculées par le sport (…), le respect de l’autre, la tolérance, l’ouverture d’esprit, etc. », estimant que la religion n’a « pas sa place dans le sport », peu importe laquelle.[8]

On sait en tout cas qu’une telle position n’est pas unanime au sein des organisations mondiales de différents sports. Le rapport entre le sport et la liberté de religion s’y intègre en effet dans la vaste question du respect au sein du sport, de l’ensemble des droits fondamentaux y compris de religions et de convictions. Le sport n’est pas une pratique immunisée des droits de l’homme. Reste certes à trouver des équilibres et des limites d’autant plus nets que l’on sera confronté à des pratiques liberticides ou menées en hostilité à la démocratie. On est alors loin de la question des seuls « signes faibles ».

La neutralité du sport

La neutralité religieuse comme réponse aux pratiques considérées comme radicales ou intolérantes avait surtout fait parler d’elle dans le cadre de l’entreprise privée, notamment à l’occasion des arrêts rendus en mars 2017 par la Cour de justice de l’UE[9]. La voici donc également mobilisée dans le cadre sportif, ce qui n’est pas sans rappeler plusieurs affaires judiciaires relatives à l’interdiction du port de couvre-chefs – y compris religieux – dans les salles de fitness, entre autres pour des motifs de sécurité[10]. Faudrait-il aussi paradoxalement voir, dans la non-interdiction de l’alcool dans les buvettes sportives, une exigence de sécurité ?

Léopold Vanbellingen
Chercheur à la Chaire Droit & Religions (UCL)

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Notes


[1] « La réalité du radicalisme dans les clubs sportifs: Une véritable « dérive », dénonce Rachid Madrane », LaLibre.be, 2 octobre 2017.

[2] Voy. notamment : « Radicalisation religieuse : les clubs sportifs en état d’alerte », Le Parisien, 24 juin 2017 ; « Les clubs sportifs inquiets de l’entrisme des islamistes radicaux », Le Figaro, 5 septembre 2017. Ces deux articles mentionnent la publication, dès la fin 2015, d’une note confidentielle du Service central du renseignement territorial français (SCRT), intitulée « Le sport amateur vecteur de communautarisme et de radicalité ».

[3] Le texte de la charte peut être consulté sur le site de la Fédération Francophone Belge de Judo.

[4] Le texte et la liste des signataires de la déclaration peuvent être consulté sur le site de l’ASBL Panathlon.

[5] L’on vise ici la déclaration écrite sur l’honneur nouvellement imposée par le législateur wallon aux ministres des cultes et responsables de la gestion du temporel du culte : voy. le décret du 18 mai 2017 relatif à la reconnaissance et aux obligations des établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus, M.B., 16 juin 2017.

[6] Question n° 16052 de M. Philippe Pivin du 25 janvier 2017 (F), Q.R., Chambre, Commission de l’Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique, 2016-2017, n° 4, COM 577, pp. 15-16.

[7] Sur cet exemple, l’on se souviendra de la polémique générée autour de certains restaurants ou magasins ne vendant pas d’alcool : voy. sur ce blog L. Vanbellingen, « Resto sans alcool : marketing ou religion », 17 janvier 2016.

[8] « Tolérance zéro face aux dérives religieuses dans le sport », La Dernière Heure, 2 octobre 2017.

[9] Voy. sur ce blog L. Vanbellingen, « Prohiber les signes religieux au travail ? », 16 mars 2017.

[10] Bruxelles, 8 septembre 2015, 2014/AR/2354, disponible sur le site web d’Unia.



Resto sans alcool : marketing ou religion

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Des restaurants ou des commerces sans alcool :  discrimination religieuse entre produits ? capture par une clientèle religieuse ? ou marketing adapté ? voire encore lutte contre l’alcoolisme ?

Récemment pointée du doigt par le Ministre-Président de la Région Bruxelloise, l’ « auto-prohibition » de l’alcool opérée par certains commerçants bruxellois pose la question des contours de la discrimination en matière de services.

Une simple phrase prononcée par Rudi Vervoort lors de ses vœux à la presse ce 12 janvier dernier aura suffi à déclencher une mini-polémique. S’indignant du « recul de l’Etat » observé ces dernières années à Bruxelles face à l’« intoxication » croissante d’un islam rigoriste, le Ministre-Président de la Région illustrait ainsi son propos : « […] aujourd’hui, on voit une régression dans nos quartiers. Allez trouver un restaurant où on sert encore de l’alcool chaussée de Haecht, à Schaerbeek… »(1) .

Au-delà de la question de la réalité d’un tel constat (2) , cet exemple soulève une problématique non sans intérêt quant au lien pouvant être établi entre liberté d’entreprise et bonne gestion commerciale d’une part, et discrimination en matière de services d’autre part. Autrement dit, en l’espèce, dans quelle mesure le choix autonome d’un ou plusieurs commerçants de ne pas – ou plus – proposer de boissons alcoolisées au sein de leur établissement peut-il aboutir au constat d’une discrimination sur base religieuse envers des clients – potentiels ou réels – dont les convictions ne leur interdisent pas d’en consommer (mais ne les obligent pas non plus) ?

Cette affaire bruxelloise n’est d’ailleurs pas sans rappeler une autre polémique apparue à l’automne 2002 en France, dans la commune d’Evry, où Manuel Valls, alors maire de la ville, avait eu à cœur de dénoncer le retrait des produits alcoolisés et à base de porc des rayons d’un supermarché par ses nouveaux repreneurs. Fustigeant « l’approche communautariste » (3) des commerçants, le maire leur intima par lettre officielle de « rétablir le fonctionnement normal de ce magasin » franchisé des enseignes Franprix, connues notamment pour la disponibilité d’alcool dans leurs rayons. Face au refus des commerçants, M. Valls fit fermer le supermarché, officiellement pour conditions d’hygiène non conformes, décision finalement cassée par la justice (4).

Dans la même perspective, l’on se souviendra également de l’affaire relative à la décision de plusieurs restaurants Quick de France, en particulier celui de Roubaix, de proposer un menu entièrement halal (5). Le maire de Roubaix avait vivement protesté face à l’exclusion de tout produit non-halal dans le Quick de sa ville, décidant de porter plainte et de saisir la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, remplacée depuis par le Défenseur des Droits) pour discrimination. Dans chacune de ces trois affaires, c’est précisément la question de la présence d’une discrimination envers certains consommateurs qui est avancée, face à la liberté d’entreprendre des commerçants concernés. A priori, rien dans leurs décisions commerciales respectives n’entre en contravention avec la loi, ni en France ni en Belgique. Ne pourrait-on néanmoins pas y déceler l’existence d’une forme de discrimination indirecte sur base religieuse en matière de services (6)? En effet, si la décision de ces commerçants est motivée non pas par leurs convictions religieuses propres mais bien par la durabilité du modèle économique de leur entreprise, d’aucuns rétorquent que c’est précisément du fait de leur différence ou absence de convictions religieuses que certains clients se voient désormais dans l’impossibilité d’obtenir certaines gammes de produits ou services.

Ainsi, dans l’affaire du Quick de Roubaix, la plainte du maire était fondée sur le refus de fourniture de biens ou de services qu’il jugeait constitutif d’une discrimination, dès le moment où l’offre du restaurant était exclusivement halal. En l’espèce, le Procureur de la République avait finalement classé l’affaire sans suite, jugeant que les choix commerciaux de la chaîne de restauration ne pouvaient être assimilés à un délit de discrimination, dans la mesure où le refus d’accès à un bien ou un service doit être caractérisé à l’égard d’une clientèle déterminée ou être subordonné à une condition, ce qui n’est pas le cas en proposant un produit halal.

L’appréhension juridique spécifique des enjeux de non-discrimination liés à la communautarisation d’une offre de produits, appelée aussi marketing ethnique ou religieux, reste donc relativement inexistante. L’impasse qui apparaît ici correspond en fait probablement à la difficulté de définir précisément le groupe-cible victime de discrimination : l’impossibilité, pour un individu, de se voir fournir, par un commerçant, certains biens ou services autres que ceux correspondant aux prescriptions de la conviction religieuse ou philosophique mise en avant par le commerçant implique-t-il que ce client soit victime de discrimination ? Autrement dit, dans le cas qui nous occupe, cet individu est-il victime de discrimination par les gérants du fast-food qui ne lui offrent pas d’autre possibilité que de manger halal, alors que sa conviction ne l’oblige ni ne l’interdit de manger halal ? Qu’en serait-il par ailleurs dans le cas du justiciable faisant valoir une discrimination à son égard au motif que sa conviction sincère lui interdit précisément de manger de la viande produite selon le rite halal ?

Enfin, cette articulation entre discrimination en matière de services et liberté d’entreprendre soulève une autre problématique, à savoir l’exportation des traits du service public vers le secteur privé en la matière : l’effet à la fois vertical et horizontal des droits de l’homme implique-t-il que les stratégies commerciales d’entreprise soient soumises aux balises de l’ordre public et de la non-discrimination de la même manière que les autorités publiques n’y sont contraintes ? On pense ainsi notamment aux offres alimentaires des cantines scolaires et de prison, pour lesquelles la question de la prise en compte des régimes alimentaires religieux ou philosophiques (végétariens, végétaliens, …) de leurs usagers se pose régulièrement dans le débat public et la jurisprudence (7).

A propos de l’invocation de l’ordre public comme motif de restriction de la liberté de commerce, l’on notera, à titre d’anecdote, que M. Valls fit cette fois lui-même interdire, six ans après l’affaire du Franprix, le commerce d’alcool la nuit à Evry (8).

Léopold Vanbellingen Chercheur en droit à l’Institut RSCS-Religions, Spiritualités, Cultures, Sociétés

Notes

(1) F. BRABANT, « Islam intolérant : Vervoort regrette « un recul de l’Etat » à Bruxelles », La Libre Belgique, 13 janvier 2016.

(2) L. VANDERKELEN, « De l’alcool à la chaussée de Haecht à Schaerbeek? « La Libre » a vérifié », La Libre Belgique, 14 janvier 2016.

(3) J. COIGNARD, « À Evry, le maire contre le Franprix halal », Libération, 9 décembre 2002.

(4) Conseil d’Etat de France, arrêt du 14 mars 2003, Legifrance.

(5) S. SEELOW, « Les hamburgers halal de Quick passent mal », Le Monde, 18 février 2010.

(6) L.-L. CHRISTIANS, « Les prescriptions convictionnelles en droit matériel belge (1830-2008) », in J. Vanderlinden et M.-C. Foblets (dir.), Convictions philosophiques et religieuses et droits positifs, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 303, note 71. Voy. en sociologie, Jamel Khenfer, Elyette Roux, « Ô les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements. » … ça dépend ! Vers une religiosité situationnelle dans la consommation des musulmans de France », Management et religions : Décryptage d’un lien indéfectible, EMS, pp. 292, 2012,

(7) Voy par ex. : Cour eur. D.H., arrêt Housein c. Grèce, 24 octobre 2013, req. n° 71825/11 ; Cour eur. D.H., arrêt Jakobski c. Pologne, 7 décembre 2010, req. n° 18429/06.

(8) X., « Evry interdit l’alcool la nuit », Le Parisien, 1er mars 2009.



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