La religion des jeunes placés en IPPJ

892697

Un enjeu humain face à une construction juridiquement risquée

En réponse à une question parlementaire du 28 janvier 2015, posée par la Députée Virginie Defrang-Firket, le Ministre R. Madrane a donné diverses précisions relatives à l’assistance spirituelle et philosophique des jeunes en IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse).

Les jeunes auteurs d’actes répréhensibles peuvent être soumis par le tribunal de la jeunesse à des régimes plus ou moins fermés d’encadrement dans des Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ). Comment s’y pose la question de la religion était jusqu’à présent rarement abordé (1), alors même qu’il s’agit là d’un enjeu important tant pour la protection des droits fondamentaux que pour les politiques de réinsertion sociale.

L’offre d’accompagnement religieux et philosophique en lieux restreints ou fermés est tout d’abord, et très simplement, une obligation internationale à charge des Etats au titre de la liberté de conscience et de conviction des personnes (2). Religion et conviction sont ainsi considérées positivement comme un droit de l’homme, face à des restrictions assez fréquemment condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme.

On sait cependant aussi que le fait religieux peut conduire à des abus, et combien les relents de violence contemporains attisent les suspicions, y compris les plus simplistes. Cette ambivalence du religieux, entre droit fondamental et risque social, prend une dimension particulière dans les dispositifs publics de traitement de la délinquance. La littérature scientifique abonde sur la religion en univers carcéral (3). Les dispositifs pédagogiques propres à la protection de la jeunesse posent des questions partiellement plus spécifiques et quant à elles peu analysées. Un point leur est toutefois commun : il n’y est plus question de « renvoyer le religieux à la sphère privée ». Le religieux en suivi carcéral ou protectionnel semble ne pouvoir qu’être encadré, régulé, transformé en « allié » plutôt qu’en « adversaire ».

Les balises juridiques semblent bien confirmer cette double tension. Dernier en date, l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 13 mars 2014, relatif au code des IPPJ, prévoit en son art. 7 que «  Le jeune placé a droit au respect de ses convictions religieuses, philosophiques et politiques. La liberté d’exercer ou de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Les intervenants ne peuvent en aucun cas imposer leurs convictions philosophiques, religieuses ou politiques au jeune. Le prosélytisme est interdit. »

Plus loin, l’art. 24. § 1er précise quant à lui les mesures d’accompagnement prévues, notamment à travers la figure des « conseillers philosophiques et religieux ».  La disposition prévoit ainsi que  « Le jeune a le droit de pratiquer sa religion ou sa philosophie individuellement ou en communauté avec d’autres, dans le respect des droits d’autrui et des règles de vie quotidienne de l’I.P.P.J. L’I.P.P.J. veille à faciliter l’exercice de ces pratiques, notamment en ce qui concerne le régime alimentaire et l’observance des temps de jeûne. Elle fournit un local pour la pratique des cultes. § 2. Le jeune a droit à l’assistance religieuse, spirituelle ou morale d’un représentant de son culte ou de sa philosophie attaché ou admis à l’I.P.P.J. à cet effet. A son arrivée dans l’I.P.P.J., il fait part de ce choix. Les conseillers philosophiques et religieux peuvent s’entretenir seuls avec le jeune qui en fait la demande dans sa chambre ou dans le local où il est placé en isolement. L’assistance religieuse ou morale comprend une dimension individuelle et collective, conformément au profil de fonction des conseillers philosophiques et religieux. Dans tous les cas, l’assistance ne peut entraîner de prosélytisme auprès du jeune. Le projet éducatif et le programme pédagogique des conseillers philosophiques et religieux sont portés à la connaissance de la direction de l’I.P.P.J. ».

Dans sa question posée au Ministre, la Députée s’inquiétait du statut de ces conseillers, de leur nombre, de leur formation et indiquait, en se référant à une étude commanditée par le Ministre Marcourt, que le cadre prévu par un décret du 7 juillet 1997 — cadre qui est de cinq conseillers laïques et cinq aumôniers religieux — n’était pas rempli et ne comprenait aucun aumônier musulman — leur rôle étant assuré ad casum par des professeurs de religions islamiques non spécifiquement formés.

Dans sa réponse, le Ministre indique ce qui suit :

« Les conseillers philosophiques et religieux des IPPJ sont employés par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée pour exercer des tâches spécifiques. Leur nombre, en équivalents temps plein, est actuellement de 2,5. Pour vous donner une idée, il y a quatre conseillers laïques et un équivalent temps plein et demi conseillers catholiques. À noter que la nouvelle IPPJ de Saint-Hubert, anciennement le centre fédéral fermé, ne dispose pas pour l’instant de conseiller philosophique et religieux. La question devrait se poser rapidement. La procédure de recrutement est la suivante : l’autorité de tutelle, à savoir le Centre d’action laïque pour les conseillers laïques, l’Exécutif des musulmans de Belgique pour les conseillers musulmans et l’Évêché de Liège pour les conseillers catholiques, propose à la Fédération, en l’occurrence la Direction générale de l’aide à la jeunesse (DGAJ), la désignation d’un candidat. Ce candidat doit au minimum disposer d’un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur, donc niveau 2. En pratique, les conseillers en fonction aujourd’hui sont titulaires des diplômes dont je vais vous parler. J’ai réalisé un tableau par type de conseillers : 3,5 équivalents temps plein ont leur certificat d’études secondaires supérieures, 2,5 équivalents temps plein ont un diplôme du baccalauréat et 2 équivalents temps plein ont un diplôme de master. À l’instar de toute personne engagée dans les IPPJ, les candidats proposés doivent produire un certificat de bonne vie et moeurs, modèle 2, exigé dans les secteurs de l’enfance et de la jeunesse. […] Notons qu’en tant qu’employés de la Fédération pour la DGAJ, les conseillers philosophiques et religieux sont soumis au statut des agents de la Fédération, au code de déontologie de la fonction publique et au code de déontologie de l’Aide à la jeunesse. Il en résulte que ces conseillers peuvent être sanctionnés en cas de non-respect des dispositions prévues par cette réglementation. Exerçant une fonction pédagogique d’enseignement, ils bénéficient des mêmes programmes de formations de base et continuée dispensées aux personnels pédagogiques des IPPJ. Dès que le programme de formation à la lutte contre le radicalisme sera établi, ceux-ci en bénéficieront de façon prioritaire, au même titre que les travailleurs sociaux relais que nous voulons former dans un premier temps. Il est certain que ces derniers constitueront un rouage essentiel dans l’accueil des jeunes radicalisés, car ils peuvent apporter une autre vision de la religion musulmane. Ils pourront ainsi participer à déconstruire le discours d’endoctrinement qu’ont intégré ces jeunes, en dialogue avec l’équipe éducative et psychosociale de la section de l’IPPJ ».

Confusion entre assistance spirituelle et cours de religion/morale.

On ne doute pas de l’importance des enjeux évoqués par le Ministre. En revanche, transparaît de sa réponse la profonde ambiguïté du statut et de la mission des « conseillers philosophiques et religieux ».  Ceux-ci sont-ils, comme l’indique le décret sur le cadre, en charge d’une mission d’« aumôniers », ou sont-ils des « formateurs-enseignants » ? Ce flou n’est pas le fait du Ministre. Il est inscrit dans une pratique constante (4), confirmée encore par l’arrêté du 13 mars 2014 qui définit le personnel des IPPJ, à l’art. 14 §1, en visant « 4° des équipes de formateurs-enseignants en ce inclus les conseillers philosophiques et religieux ».

On a déjà lu qu’en complément du cadre déficient des aumôniers, ce sont des professeurs de religion islamique qui sont appelés en renfort. Comment confondre aussi benoîtement ces deux missions ? La réponse est simple : par une méconnaissance des données élémentaires du droit constitutionnel et du en droit européen. Sur tous ces points, et pour importants qu’en soient les enjeux humains, les modalités mises en place sont juridiquement précaires.

On ne peut confondre les fonctions d’assistance spirituelle et celles d’enseignement des cours philosophiques. Les risques issus de ces confusions ont bien été mis en lumière dès 2007 par l’étude de A. Cornet et P. Thys, à la Revue de droit pénal et de criminologie (1). Ainsi, le secret professionnel spécifique de l’aumônier ou du conseiller philosophique risque d’être mis à mal si ces derniers sont assimilés à de simples membres de l’équipe enseignantes.

Mais il y a plus grave, également intuitionné par l’étude criminologique de A. Cornet et P. Thys : il tient à l’adhésion, obligatoire ou non,  aux services proposés.

L’accès à une assistance spirituelle est, on l’a rappelé, une obligation internationale des Etats. Sa mise en œuvre concrète suppose une demande du jeune intéressé, sans que celui-ci n’y soit en rien obligé et sans qu’un contrôle de sa réelle identité convictionnelle puisse être effectué. Cette assistance, proprement confessionnelle ou philosophique, est dès lors purement facultative dans le chef du jeune, qui ne peut être soumis à aucune obligation. Dans ce cadre, l’assistance « philosophique » n’est ni neutre, ni subsidiairement obligatoire.

En revanche, le suivi des cours de religions et morale non confessionnelle est classiquement une obligation légale. Le cours de morale y est conçu comme neutre et subsidiaire. A défaut du choix d’un cours religieux, c’est précisément la neutralité du cours de morale qui permet d’en fonder le caractère obligatoire. Le contenu de ces enseignements, même de religion, est lui aussi profondément distinct, dans l’enseignement ordinaire, d’une mission d’aumônerie. Il s’agit en effet d’y déployer une connaissance de la religion choisie, sans même que l’enfant soit réputé appartenir à cette confession. Le Conseil d’Etat de Belgique a rappelé ce principe fondamental en octobre 2014. L’inscription à un cours de religion est ouverte à tous sans distinction de religion et sans possibilité de refus. Elle ne permet pas d’établir la confession d’un jeune.
On sait que depuis 1993 et 2002, le Centre d’action laïque, reconnu comme représentant d’une « organisation philosophique non confessionnelle », peut désigner les titulaires de différents postes d’assistants moraux et délégués laïques. En revanche, la désignation des titulaires des cours de morale non confessionnelle dans l’enseignement de la Communauté, précisément en raison de l’obligation pour ces cours d’être neutre, échappe encore, en Communauté française (mais non en Communauté flamande), au Centre d’action laïque. On comprendra parfaitement les attentes de la laïcité concernant l’octroi d’un cours qui lui soit propre dans l’enseignement public.

Et c’est ce que semble réalisé, au niveau des IPPJ, le montage règlementaire précaire qui vient d’être mis en lumière. En confondant les statuts de conseillers philosophiques et de professeur de moral, on mêlent deux régimes différents de nomination et de contenu de mission. Le jeune se trouve confronté à un enseignement à la fois non neutre obligatoire alors qu’en termes d’assistance philosophique il a bien droit à un suivi engagé, mais précisément facultatif.
En droit belge comme en droit international, les aumôniers ne sont pas des enseignants, de même que la fonction d’enseignants de religions/morale n’est pas celle de conseiller spirituel.  Certes la mission des enseignants-pédagogues en IPPJ est elle-même spécifique, mais elle entraîne ici à une rupture de clarté dans des missions aux statuts juridiquement distincts, jusqu’à présent.

La question des cultes (non) reconnus

Aucun des textes qui fondent le statut des IPPJ et de leur cadre ne limite ses références aux seuls cultes ou philosophies reconnus, tandis que la réalité des pratiques est au contraire d’équilibrer les représentations laïque et catholique, avec certaines solutions latérales pour l’Islam.

On se demandera d’abord quel est le critère légal ou administratif pour une répartition d’emblée identique entre conseillers laïques d’une part, et l’ensemble des conseillers religieux toute confession confondue d’autre part. Certes, cette identité numérique trouve ses origines dans les tensions bipolaires du XIXe siècle, mais elle ne semble plus trouver appui dans les données sociologiques contemporaines — ni générales, ni propres à la population des IPPJ. Peut-être y verrait-on aussi un lien ambigu avec le statut obligatoire, neutre et subsidiaire des cours de morale non confessionnel, comme le montre A. Cornet et P. Thys, mais une fois encore cette approche n’est pas transposable à la figure des conseillers-aumôniers.

On se demandera ensuite si des jeunes invoquant une confession non reconnue peuvent également bénéficier d’un suivi spirituel ou philosophique (6). Ici encore, les deux dispositifs, d’assistance et d’enseignement, doivent être juridiquement distingués. L’enseignement des cours de religion suppose nécessairement une reconnaissance préalable de la dénomination visée. Il en va autrement de l’assistance spirituelle. Certes, la création d’un cadre rémunéré peut être soumis à une reconnaissance préalable de la confession visée, et c’est du reste le cas en droit belge. En revanche, en dehors d’hypothèse de subventionnement, l’accès à une assistance spirituelle comme telle doit être garanti à toute confession quelconque, reconnue ou non. C’est ce que la jurisprudence française a elle-même confirmé, par exemple au bénéfice de l’assistance spirituelle des témoins de Jehovah (5) (6).

Face à un enjeu important, le statut juridique du religieux en IPPJ demeure on le voit un lieu de haute confusion juridique. On peut en saisir les délinéaments historiques et les enjeux futurs, mais en l’état le télescopage des diverses fonctions d’accompagnement et d’enseignement crée de nombreux risques d’emprises illégitimes. Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’imbroglio propres aux usages belges ne peut conduire à oublier les obligations internationales qui appellent précisément ces dispositifs, mais seulement à prendre conscience des spécificités de chaque mission, et de leur régime juridique propre.

Louis-Leon Christians

Notes

(1) CORNET, A., THYS, P., « Les jeunes délinquants placés en IPPJ et la religion: coup de sonde sur la situation en Communauté française de Belgique », Revue de Droit Pénal et de Criminologie, 2-3/2007, p. 170-187.

(2) Recommandation Rec (2006)2 du Comité ministériel du Conseil de l’Europe aux Etats membres, concernant les Règles pénitentiaires européennes (11 janvier 2006) Règle 29 concernant la liberté de pensée, de conscience et de religion.

(3) I. BECCI et Br. KNOBEL, « La diversité religieuse en prison : entre modèles de régulation et émergence de zones grises (Suisse, Italie, Allemagne) » in Anne-Sophie Lamine (dir.), Quand le religieux fait conflit. Désaccords, négociations ou arrangements (Sciences des religions), Rennes, P.U.R., 2014, 109-125
J.A. BECKFORD, Danièle JOLY et Farhad KHOSROKHAVAR, Les musulmans en prison en Grande-Bretagne et en France, Presses universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2007
V. DECROIX, « Les rapports de l’Eglise et l’Etat au XIX e siècle. La place du religieux dans l’institution pénitenciaire », Rev. pénit. et de droit pénal, 1989, 301-377.
M.S. DUPONT-BOUCHA, « Moraliser les détenus. Le rôle des religieux dans les prisons », in Collectif, L’Eglise en Luxembourg de Pie VII à Léon XIII (1800-1880). Le choc des libertés, Bastogne, Musée en Piconrue, 2001, 207-214.
A. OVERBEEKE, « God achter de tralies. Vrijheid van godsdienst en levensovertuiging in detentiesituaties » In BREMS, E., SOTTIAUX, S., VANDEN HEEDE, P., VANDENHOLE, W. Intersentia, Antwerpen, 2005, Vrijheden en vrijheidsbeneming. Mensenrechten van gedetineerden, 123-150
A. OVERBEEKE, « Veiligheid voor alles? Inperking van het recht op geestelijke verzorging van gedetineerde aanhangers van niet-“erkende” levensovertuigingen », Panopticon, 2007/4, 23-40.
R. SARG, « La pluralité religieuse en milieu carcéral : ajustements et gestion des conflits », in   Anne-Sophie Lamine (dir.), Quand le religieux fait conflit. Désaccords, négociations ou arrangements (Sciences des religions), Rennes, P.U.R., 2014, 63-77.

(4) Dans le Projet pédagogique de la Communauté française à l’I.P.P.J. de FRAIPONT (2011), on lit :
« Equipe des conseillers laïques et confessionnels : Le conseiller apporte au jeune une aide personnelle spécifique, basée sur les valeurs référentielles de son option philosophique. Il dispense la charge de cours correspondant à l’appartenance philosophique exprimée par le jeune et/ou par ses parents (selon l’âge du mineur).
Des cours d’options philosophiques : les conseillers apportent une assistance morale et assument la prise en charge des élèves à raison de deux périodes par semaine.
Objectifs poursuivis : – Soutenir le jeune dans sa reconstruction en favorisant la reprise de confiance en lui. – Responsabiliser le jeune, l’aider à se forger une identité sociale, tenter de briser la spirale négative de l’échec et de la dévalorisation. – Apprendre au jeune comment se comporter envers les autres (notions de respect et de tolérance) – Eveiller en lui le nécessaire respect de sa propre personne. – Sensibiliser à l’éthique afférente à la conviction philosophique. – Pour les deux représentants des cultes catholique et musulman : apprendre les façons de se comporter par rapport à Dieu et à ses croyances ».

Dans une étude réalisée par Valérie Silberberg pour la Ligue de l’enseignement en 2012, on lit :
« Les cours philosophiques : Dans le respect des convictions philosophiques et religieuses des jeunes, et en marge du cadre scolaire, les conseillers philosophiques offrent leur assistance sous forme d’une aide morale à tout jeune qui en exprime la demande. Ils assurent une permanence hebdomadaire à cet effet et réalisent un travail d’écoute, de dialogue, d’information et de réflexion. Ils participent à la responsabilisation et à l’insertion des jeunes placés à l’IPPJ. Par leurs attitudes et leurs interventions, ils tentent d’amener l’adolescent à mener une réflexion sur son comportement (passé, présent et futur). Ils peuvent participer aux activités et aux réunions pédagogiques et de synthèse lorsque le jeune en formule la demande et avec l’accord de la direction. Ils assurent également la charge des cours propres à leur conviction. Les conseillers peuvent aussi jouer un rôle de « conciliateur » entre les différentes composantes à l’intérieur du système institutionnel (jeunes, personnel éducatif…) et vis-à-vis de l’extérieur (parents, juges, institutions, services…). Leurs interventions sont toujours soumises à l’approbation de la direction ».

(5) CELERIER T., « L’agrément des aumôniers de prison et le culte des témoins de Jéhovah », A.J.D.A., 2007 p. 2097.

(6) A. OVERBEEKE, « Veiligheid voor alles? Inperking van het recht op geestelijke verzorging van gedetineerde aanhangers van niet-“erkende” levensovertuigingen », Panopticon, 2007/4, 23-40.



Cultes et politiques de déradicalisation

terrorisme-islam-daech-extreme-gauche

Dialogue et prévention : accords de Gouvernements (II)

La lutte contre le radicalisme est antérieure aux tragiques attentats de Charlie Hebdo, à Paris le 7 janvier 2015. L’accord de gouvernement belge du 9 octobre 2014 l’érigeait en axe significatif. Les confusions entre péjoration des religions et radicalisme, bien présentes dans de nombreux débat depuis 2015, sont évitées par l’accord fédéral. Certes, l’occurrence du mot « religion » y est liée à la lutte contre le « jihadisme violent » plutôt qu’au projet de réformer le régime des cultes.

L’accord vise plus précisément le « contenu radicalisé et haineux jihadiste » présent sur internet, l’amélioration des dispositifs de screening, et plus largement un « volet préventif dans l’approche globale du radicalisme et du jihadisme violent ». Il reste que le traitement de la référence religieuse n’est précisément pas négatif.  L’accord prévoit en effet diverses coopérations avec les religions : « Le gouvernement travaillera à une large mobilisation sociale dans la lutte contre le jihadisme violent, entre autres par un dialogue intensif avec les responsables religieux et la société civile ».

Ces formes nouvelles de dialogue entre les religions et les pouvoirs publics sont une tendance forte des politiques européennes, à travers presque tous les Etats de l’Union. Jadis centrés sur des questions de « reconnaissances » diverses, ces dialogues visent aujourd’hui à prévenir les dérives violentes. Ces dialogues ont pour but tant de désavouer publiquement la violence, que d’attester d’un appel au respect entre les religions et les philosophies, au travers de leurs leaders. Plus fondamentalement, les religions et philosophies y sont appelées à désamorcer les interprétations violentes qui sont prêtées par certains belliqueux à leurs contenus doctrinaux, non seulement de façon médiatisée, mais aussi par des dispositifs pédagogiques locaux, qu’il s’agisse des cours de religion ou des aumôneries de prison, mais aussi des prédications dans les communautés et édifices des cultes. On voit d’ailleurs aisément que les pouvoirs publics jouent un rôle aussi dans ces dispositifs locaux, qu’ils contribuent à soutenir. C’est dans ces paroles publiques données (aussi) aux religieux qu’une raison publique plus intégrée peut s’opérer davantage que par une relégation à l’opacité du privé.

On retrouve en partie la même intuition au coeur des « Initiatives de prévention du radicalisme et du bien-vivre ensemble » du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de janvier 2015 : « l’autorité publique doit disposer de spécialistes capables de mener un travail de désendoctrinement : il s’agit à la fois de psychologues mais aussi de religieux capables d’engager un questionnement sur les dogmes utilisés par les groupes radicaux ».

Cette réflexivité qui reconnaît chaque acteur dans sa citoyenneté, sans exclusive, suppose toutefois deux conditions : la première est une information suffisante, le seconde est une capacité d’entrer en dialogue entre des rationalités de type différents, sans violence.

Sur le premier point, des informations doivent être diffusées. Les initiatives gouvernementales le prévoient, et notamment au sein des prisons : « une information globale sur la culture et la religion islamique permettant de comprendre les références évoquées, d’établir un dialogue permettant de combler le sentiment d’incompréhension mutuelle ».  Outre le renforcement de la lutte contre le racisme, des discriminations, de l’antisémitisme et de l’islamophobie « en s’appuyant sur le plan anti discrimination », le Gouvernement soutient en ce sens la création d’un Institut de formation des cadres musulmans « afin d’améliorer l’offre et la qualité des formations [et de répondre] à la nécessité de favoriser l’émergence d’un islam moderne, un islam de Belgique, ouvert, humaniste et démocratique » et propose aux acteurs du culte musulman une émission concédée sur une chaîne publique.

Sur le second point, émerge tant une lutte contre  les « discours haineux » et les « comportements inacceptables », qu’une formation «  face à des discours ou des comportements allant vers une radicalisation, qui permet d’identifier les indices de radicalisation dangereuse chez les jeunes et les manières de maintenir un dialogue réel ».

Faut-il pour cela limiter l’expression au-delà de la pénalisation des discours racistes, négationnistes, d’incitation explicite à la haine et à la discrimination ou d’appel au terrorisme ? D’autres formes de limitations sont envisagées. Le Ministre-Président Paul Magnette a évoqué le 19 janvier dans la presse de lier le financement des cultes à un certain engagement de déradicalisation. La Ministre Laurette Onkelinkx, en son temps, avait rappelé l’existence de l’art. 268 du Code pénal belge qui sanctionne « les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ».

Sous ces conditions et réserves, une partie du plan de prévention anti-radicalisation donne une parole publique aux acteurs religieux. Cette parole n’est pas abandonnée à la sphère privée. Elle n’est pas un monologue d’officine. Elle est conçue au sein de dispositifs publics d’interaction et de co-construction sociale qui n’excluent aucun acteur.

Comme les autres droits de l’homme, la liberté d’expression est au cœur de la démocratie à la condition qu’elle ne soit pas ouverte seulement au politiquement correct, mais aussi aux paroles qui « choquent, heurtent ou inquiètent », selon la formule de la Cour européenne des droits de l’homme. En ce sens, la démocratie suppose avant tout une capacité de non-violence et de non-déni, y compris dans l’expression.

C’est ce que l’on nomme « dialogue ». Et c’est ce qui ce qui semble pris en compte parmi les diverses mesures envisagées dans les récents textes gouvernementaux.

Louis-Léon Christians

Pour aller plus loin, notamment

  • DE POOTER, P. et CHRISTIANS, L.-L. (dir.), Les dispositifs publics de dialogues interconvictionnels, Bruylant, 2015 (à paraître).
  • SAROGLOU, V., CHRISTIANS, L.-L., BRION, F. ROSKAM, I., Programme de recherche ARC – UCL, Fondamentalisme et radicalisme religieux (2008-2013) : http://www.uclouvain.be/en-fundamentalism.html
  • LAMINE, A.-S., La cohabitation des dieux. Pluralité religieuse et laïcité, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Le lien social », 2004, 318 p.
  • TIMMERMAN, Christiane / HUTSEBAUT, Dirk / MELS, Sara / NONNEMAN, Walter / VAN HERCK, Walter (eds.), Faith-based Radicalism. Christianity, Islam and Judaism between Constructive Activism and Destructive Fanaticism, Bruxelles, Peter Lang, 2009, 309 pp


12345...13

ABRESCH ' INFOS |
Bivu |
animeaux |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | essai n°1
| Vivre et décider ensemble
| recitsdautrefois