Les religions du bien-être animal

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Abattage rituel et étourdissement pre-mortem de l’animal : un conflit de « droits » ?

Depuis le 17 février 2014, le Danemark interdit d’abattre des animaux sans les avoir préalablement anesthésiés. Ce changement législatif n’a pas été sans réactions dans le chef des communautés juives et musulmanes qui le voient comme une atteinte à la liberté de pratiquer leur religion. Entrent en conflit le droit à la liberté religieuse et le bien-être des animaux dès lors que, selon le ministre danois de l’Alimentation et de l’Agriculture, Dan Jorgensen, « les droits des animaux sont prioritaires par rapport aux droits religieux ».

S’agit-il toutefois réellement d’opposer des « droits » , d’un côté prêtés à des « animaux » et de l’autre à des « religions » ? Sans doute est-ce bien plutôt l’équilibre de droits humains qui est à évaluer à travers divers usages. Il s’agit ensuite de s’interroger sur le niveau de protection de chacune des pratiques, et notamment de vérifier quelle est la marge d’appréciation des Politiques nationales locales au regard d’éventuelles balises internationales. Enfin, au delà d’une opposition binaire entre des interdits croisés, la responsabilité d’un Etat de droit n’est-elle pas de tenter de découvrir des médiations nouvelles entre les prétentions en cause ? Aussi bien les sources religieuses que l’empirie des techniques d’abattage ne peuvent-elles révéler des ressources originales, mieux documentées, et permettre des solutions moins clivées ?

L’abattage rituel dans la tradition juive, ou Shehita, constitue l’un des principes majeurs du judaïsme. Il est prescrit par la Torah (Deutéronome 12:20-21) qui insiste sur l’importance de respecter l’animal et d’éviter de le faire souffrir. Tout repose toutefois sur la manière de trancher la gorge et sur la qualité du matériel utilisé, spécialement l’aiguisage de la lame du couteau : l’animal ne doit cependant surtout pas être étourdi ni anesthésié avant d’être abattu. Au sein de l’islam, l’abatte rituel, souvent dit « halal », se pratique selon la méthode de la Dhabiha détaillée non pas dans le Coran mais dans la tradition islamique. Ici encore, l’accent est mis sur le fait de ne pas faire souffrir inutilement l’animal. Toutefois la question de la conformité à la religion musulmane d’un étourdissement de la bête avant de l’abattre ne fait pas l’objet d’une norme unanime : si certains considèrent qu’il n’est pas contraire à la religion, le contraire est souvent affirmé.

Des législations étatiques variées

De nombreux États ont légiféré sur la question, optant pour des directions parfois opposées (voy. S. Ferrari et R. Bottoni, Legislation regarding religious slaughter in the Eu member, candidate and associated countries, Diarel, 2010). Ainsi, la Suède, la Suisse, la Norvège, l’Islande et, désormais, le Danemark exigent l’étourdissement pre-mortem de l’animal, interdisant de facto l’abattage rituel. La Finlande et certaines provinces autrichiennes exigent que l’animal soit immédiatement étourdi après avoir été égorgé (il ne meurt pas toujours automatiquement et reste parfois conscient encore quelques dizaines de minutes). La France et la Belgique autorisent l’abattage rituel qui fait en outre l’objet d’une législation spécifique. L’Espagne, l’Italie et l’Irlande l’autorisent également mais sans l’encadrer par une loi. Aux États-Unis, l’abattage rituel est protégé par le « Humane Slaughter Act ». Le droit européen s’est lui aussi intéressé à la question dès la fin des années ’70. En 1979 est adoptée la Convention européenne sur la protection des animaux d’abattage qui, en son article 12, prescrit l’étourdissement préalable avant tout abattage. L’obligation est néanmoins directement nuancée par l’article 17 qui permet aux États de prévoir des dérogations aux dispositions relatives à l’étourdissement préalable dans le cas de « l’abattage selon des rites religieux ». Ce dernier est pourtant encadré de manière précise par les articles 13, 14 et 19 de la Convention. Le 22 décembre 1993, le Conseil de l’Union européenne adopte la directive 93/119/CE sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort. Une fois encore, l’étourdissement préalable de la bête ne s’applique pas lorsque la méthode d’abattage prescrite par une religion l’interdit (article 5, § 2). Le 24 septembre 2009, le même Conseil adopte cette fois un Règlement (CE) n° 1099/2009  (directement applicable dans tous les États membres de l’Union) sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort dont l’article 4, § 4, prévoit : « Pour les animaux faisant l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux, les prescriptions visées au paragraphe 1 [étourdissement pre-mortem] ne sont pas d’application pour autant que l’abattage ait lieu dans un abattoir ».

Et en droit belge ?

En Belgique, l’abattage rituel est régi par la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux qui prévoit que les dispositions relatives à l’obligation d’étourdir l’animal avant de le mettre à mort « ne s’appliquent toutefois pas aux abattages prescrits par un rite religieux » (article 16, § 1, al. 2). Cet alinéa prévoit une solution claire et explicite. Il est toutefois  loin de faire l’unanimité dans certains milieux et plusieurs propositions de loi ont été déposées en vue de l’abroger. Quatre sont à ce jour pendantes devant le Sénat de Belgique (Proposition de loi modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en vue d’interdire l’abattage rituel des animaux sans étourdissement préalable, Sénat, doc. n° 5-36/1, Sess. extra. 2010 ; Proposition de loi en vue d’interdire les abattages rituels, Sénat, doc. n° 5-256/1, Sess. extra. 2010) ou la Chambre des représentants (Proposition de loi modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux en vue d’interdire l’abattage rituel sans anesthésie, Ch. repr., doc. n° 53 0437/001, Sess. ord. 2010-2011 ; Proposition de loi interdisant les abattages rituels d’animaux sans étourdissement, Ch. repr., doc. n° 53 0581/001, Sess. ord. 2010-2011).

Ces propositions mettent en avant des arguments soulevés par les différentes parties dans la controverse danoise, à savoir le conflit entre le droit à la liberté de culte et le bien-être des animaux : interdire l’abattage rituel ou le soumettre à des exigences non conformes au prescrit religieux en vue de limiter au maximum la souffrance de l’animal est-il contraire à la liberté de religion ? La question se pose avec de plus en plus d’insistance dans toute l’Europe et, par conséquent, en Belgique.

Saisie pour rendre un avis sur une proposition de loi en 2004 (aujourd’hui caduque), la section législation du Conseil d’État s’est prononcée de la manière suivante le 16 mai 2006, s’appuyant notamment sur l’arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France de la Cour européenne des droits de l’homme (27 juin 2000, req. n° 27417/95) :

« 4.1.2. Tant l’exigence de disposer de viande « casher » (en ce compris la viande « glatt ») que celle de pouvoir se procurer de la viande « halal » relèvent de la liberté de religion consacrée par l’article 9 de la Convention.
[…]
4.2.3. (…) la suppression de la dérogation à l’exigence d’étourdissement préalable en cas d’abattage rituel, si elle poursuit l’objectif légitime de mieux assurer le bien-être des animaux, porte une atteinte disproportionnée à la liberté de religion consacrée par l’article 9 de la Convention. Il priverait en effet certains fidèles de la possibilité de se procurer et de manger une viande jugée par eux plus conforme aux prescriptions religieuses. »

(Avis du Conseil d’État n° 40.350/AG sur la proposition de loi modifiant la loi du 5 septembre 1952 relative à l’expertise et au commerce des viandes et la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne les abattages rituels, Doc. Sénat, n° 3-808/1, sess. ord. 2003-2004).

Faisant primer la liberté de religion sur le bien-être animal, la position du Conseil d’État ne fait toutefois pas l’unanimité. Tant les propositions de loi précitées qu’un avis du Conseil du bien-être des animaux relatif aux abattages sans étourdissement rendu en 2010 montrent que la discussion est toujours d’actualité. Mettant uniquement en cause l’absence d’étourdissement préalable à l’abattage selon le rite religieux, et non l’abattage en lui même, cet avis avance « que l’abattage sans étourdissement est inacceptable et engendre une souffrance évitable pour l’animal ». Le Conseil préconise dès lors d’imposer l’étourdissement préalable pour tout abattage en Belgique, en s’appuyant sur des publications scientifiques démontrant que le recours à des techniques appropriées d’étourdissement permet au cœur de continuer à battre un certain temps après cet acte – aspect est particulièrement important dans l’abattage rituel juif ou musulman. Par conséquent, si l’étourdissement n’entraîne pas la mort, le rite religieux exigeant que l’animal soit abattu vivant peut être respecté nonobstant cette pratique.

Au vu de ces différentes positions, l’on aperçoit que poser la question en termes de conflit de droits risque de conduire à des querelles partisanes davantage qu’à un travail plus minutieux ouvrant la voie à la construction d’une réelle réflexivité sociale. Le chemin n’est pas aisé pour autant. Car si certains croyants acceptent que soit pratiqué un étourdissement de l’animal sans que cela ne mette à mal le rituel in se, ne peut-on estimer qu’imposer une telle pratique ne porte pas atteinte à la liberté de religion ? Dans la négative, faut-il plutôt entendre les revendications des croyants attachés à une compréhension plus littérale de la tradition, au risque d’asseoir par là le pouvoir de groupes plus radicaux et fondamentalistes ? La garantie de la liberté de religion ne devrait-elle être garantie qu’aux croyants dont les revendications sont jugées raisonnables par la majorité ? Mais qui définirait alors la « raisonnabilité » d’une revendication ou d’une pratique rituelle ? Les sociétés adoptant des règlementations allant dans ce sens ne se rendraient-elles pas coupables de discrimination religieuse ? Ces questions continuent à appeler une réflexion juridique, politique, philosophique, ouverte aux données  factuelles mises à jour par les usages religieux sur le bien-être animal et les modalités  industrielles d’abattage. Tel était l’objet d’un premier vaste projet européen interdisciplinaire DIALREL, 2007-2010, et qui mériterait de nouveaux développements.

Dr Sophie Minette
Assistante de recherche à la Chaire de droit des religions

Pour aller plus loin :

  • -   EU_FP6_PROJECT_DIALREL : Encouraging Dialogue on issues of Religious Slaughter
  • -    BERGEAUD-BLACKLER, Fl., « L’encadrement de l’abattage rituel en Europe, limites et perspectives » in Dieu loin de Bruxelles, L’européanisation informelle du religieux, Politique Européenne n°24, hiver 2007, François Foret et Xavier Itcaina (eds).
  • -    BERGEAUD-BLACKLER, Fl., « L’encadrement de l’abattage rituel industriel dans l’Union européenne : limites et perspectives, Politique européenne, 2008/1, n° 24, p. 103-122.
  • -    CHIZZONITI  A.G., M. TALLACCHINI (eds), Cibo e religione: diritto e diritti,  Libellula Edizioni, Tricase (Le), 2010
  • -    CONSEIL D’ETAT FR 05-07-2013, n° 361441, « Le principe de laïcité ne s’oppose pas à la pratique de l’abattage rituel », AJDA 2013 p. 1415
  • -    FERRARI, S. BOTTONI, R., Legislation regarding religious slaughter in the Eu member, candidate and associated countries, Diarel, 2010, 205 pp.
  • -     LARRALDE J.-M., « La Convention européenne des droits de l’homme et la protection de groupes particuliers », Rev. Trim. D.H., vol. 56, 2003, pp. 1247–1274.
  • -    GARAY A., « L’exercice collectif de la liberté de conscience religieuse en droit international », Rev. Trim. D.H., vol. 67, 2006, pp. 597–614.
  • -    FLAUSS J.-F., « Abattage rituel et liberté de religion : le défi de la protection des minorités au sein des communautés religieuses », Rev. Trim. D.H., vol. 45, 2001, pp. 195–207.
  • -    YILDIRIM S., « La fête du sacrifice. Encore des points de friction à propos de l’abattage rituel », De Gem., n° 3, 2000, pp. 32–34.
  • -    RINGELHEIM J., Le droit et la diversité culturelle. La protection des minorités par la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2006, Chapitre IX Droit pénal – La multiculturalité en droit pénal, pp. 821–846.
  • -    BASSAC V., BAUDREZ M. et DI MANNO T., L’animal, un homme comme les autres ?,  Bruxelles, Bruylant, 2012, sp. Deuxième partie – L’animal, paradoxe de l’homme – L’effectivité des normes constitutionnelles de protection de l’animal, pp. 281–297.
  • -    ANIL M.H., YESILDERE T., AKSU H., MATUR E., MCKINSTRY J.L., ERDOGAN O., HUGHES S. and MASON C., « Comparison of religious slaughter of sheep with methods that include pre-slaughter stunning and the lack of differences in exsanguination, packed cell volume and meat quality parameters », Animal Welfare, vol. 13, 2004, pp. 387–392.
  • -    ANIL M.H., YESILDERE T., AKSU H., MATUR E., MCKINSTRY J.L., WEAVER H.R., ERDOGAN O., HUGHES S. and MASON C., 2006. « Comparison of Halal slaughter with captive bolt stunning and neck cutting in cattle: exsanguination and quality parameters », Animal Welfare, vol. 15, 2006, pp. 325–330.
  • -    KALLWEIT E., ELLENDORF F., DALY C. and SMIDT D., « Physiological reactions during slaughter of cattle and sheep with and without stunning », Deutsche Tierarztliche Wochenschrift, vol. 96, 1989, pp. 89–92.
  • -    VELARDE A., GISPERT M., DIESTRE A. and MANTECA X., « Effect of electrical stunning on meat and carcass quality in lambs », Meat Science, vol.  63, 2003, pp. 35–38.
  • -    GIBSON T.J., JOHNSON C.B., MURRELL J.C., MITCHINSON S.L., STAFFORD K.J. and MELLOR D.J., « Electroencephalographic responses to concussive non-penetrative captive-bolt stunning in halothane-anaesthetised calves », New Zealand Veterinary Journal, vol. 57, 2009, pp. 90–95.
  • -    GREGORY N.G. and WILKINS L.J., « Effect of slaughter method on bleeding efficiency in chickens », J. Sci. Food Agric., vol. 47, 1989, pp. 13–20.
  • -    LAMBOOIJ E., « Mechanical aspects of skull penetration by captive bolt pistol in bulls, veal calves and pigs », Fleischwirtschaft International, vol. 61, 1981, pp. 1865–1867.
  • -    VIMINI R.J., FIELD R.A., RILEY M.L. and VARNELL T.R., « Effect of delayed bleeding after captive bolt stunning on heart activity and blood removal in beef cattle », J. Anim. Sci., vol. 57, 1983, pp. 628–631.


Le mariage religieux scientologue

Couple in UK’s first Scientology church wedding

Le mariage scientologue reconnu comme forme religieuse du mariage
par la Cour suprême du Royaume-Uni

La plus haute juridiction du Royaume-Uni – la Cour suprême – a reconnu l’Eglise de scientologie comme étant une religion, apte à célébrer des mariages à effets civils, dans un arrêt du 11 décembre 2013 : Supreme Court of UK, R (on the application of Hodkin and another) (Appellants) v Registrar General of Births, Deaths and Marriages (Respondent), 11 December 2013, disponible ici.

En l’espèce, une jeune femme scientologue de vingt-cinq ans souhaitait se marier dans une chapelle appartenant à l’Eglise de scientologie et, dès lors, profiter de ce que le droit anglais, comme tous les droits anglo-saxons, octroie des effets civils aux célébrations religieuses de mariage, du moins à certaines conditions d’enregistrement. Partant, le mariage religieux de la jeune femme avec son fiancé – également scientologue – aurait suffit à ce qu’ils soient considérés comme civilement unis. Toutefois, le couple dut faire face à une difficulté majeure : l’officier d’état civil refusait que des effets civils soient accordés à ce mariage scientologue. Le couple s’était alors pourvu en justice, mais avait été débouté par les juridictions de fond.

L’arrêt de la Cour suprême anglaise de ce 11 décembre 2013 marque un tournant important dans l’histoire de l’Eglise de scientologie puisque la Cour a réformé la décision qui avait été adoptée par la cour d’appel et qui avait donné tort aux requérants en indiquant qu’une Eglise de scientologie n’était pas un lieu où pouvait être exercée la liberté de religion au sens de la loi anglaise de 1855 relative à l’enregistrement des lieux de culte.

A l’unanimité, la Cour suprême a jugé que la décision prise par la cour d’appel procédait d’une interprétation implicitement théiste de la religion, dans la mesure où la cour exigeait qu’il existe une référence à Dieu pour que la qualification de « religion » soit admise. Or, la Cour suprême indique qu’aucune définition de la religion n’est unanimement admise en droit anglais et ce, vu la grande diversité des religions et croyances. Dès lors, selon la Cour suprême, l’Eglise de scientologie peut être considérée comme une religion. En effet, sans exiger de référence à un Dieu, la Scientologie implique tout de même la croyance en une « nature abstraire et impersonnelle », précise la Cour. En ce sens, confiner la religion à la seule référence divine reviendrait également à exclure d’autres religions ou confessions, telles le bouddhisme et l’hindouisme.

Et en droit belge ?

La décision de la Cour suprême du Royaume-Uni semble ainsi fortement contraster avec la méfiance témoignée à l’égard de l’Eglise de scientologie dans bon nombre d’Etats d’Europe continentale, à l’instar de l’Allemagne, la France ou la Belgique. Ainsi, la Cour de cassation de France a, par un arrêt du 16 octobre 2013, confirmé la décision qui avait été rendue par la Cour d’appel de Paris le 2 février 2013 et avait entériné la condamnation de deux organisations scientologues au paiement respectif de 200.000 et 400.000 euros. Ce faisant, la Cour de cassation française a rendu définitive la condamnation pénale de l’Eglise de Scientologie pour escroquerie en bande organisée. Notons cependant que les deux organisations scientologues françaises n’entendent pas en rester là et qu’elles ont introduit un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

En Belgique, le parquet fédéral a entamé depuis plusieurs années diverses poursuites à l’encontre de l’Eglise de scientologie en tant qu’organisation criminelle mais également pour escroquerie et pratique illégale de la médecine. A cet égard, l’on se souviendra que l’Eglise de scientologie fut citée par la Commission d’enquête parlementaire mise en place pour « élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge ». Parmi les faits qui lui étaient reprochés dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, figuraient notamment les prêts personnels contractés par les membres – parfois à hauteur de montants exorbitants – pour suivre les formations proposées par l’Eglise, mais également l’existence de séances de « purification », le prosélytisme ou encore les travaux intensifs (Rapport fait au nom de la Commission d’enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, n°317/7-95-96).

L’on notera également que l’ASBL Eglise de scientologie de Belgique a perdu un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme le 27 aout 2013 et plus récemment devant de la Cour constitutionnelle à l’encontre de la loi du 26 novembre 2011 « modifiant et complétant le Code pénal en vue d’incriminer l’abus de la situation de faiblesse des personnes et d’étendre la protection pénale des personnes vulnérables contre la maltraitance ». L’ASBL Eglise de scientologie, partie intervenante, considérait avoir un intérêt suffisant pour attaquer la loi en question, dans la mesure où elle avait été « désignée comme secte »  par le rapport de la Commission d’enquête susmentionnée. Bien que contesté par le Conseil des Ministres, l’intérêt au recours de l’ASBL Eglise de scientologie fut confirmé par la Cour constitutionnelle par un arrêt du 7 novembre 2013. A l’occasion de cet arrêt, la Cour  a rejeté les différents recours en annulation introduits à l’encontre de la loi du 26 novembre 2011 et a ainsi validé l’insertion d’un article 442 quater dans le Code pénal. Désormais, sera donc puni d’une peine d’un mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende de cent euros à mille euros ou d’une de ces peines seulement « quiconque aura, alors qu’il connaissait la situation de faiblesse physique ou psychique d’une personne, altérant gravement la capacité de discernement de cette personne, frauduleusement abusé de cette faiblesse pour conduire cette personne à un acte ou à une abstention portant gravement atteinte à son intégrité physique ou mentale ou à son patrimoine ».

Sans se demander si un mariage pourrait en venir à constituer un tel abus, il reste à s’interroger de façon plus générale sur le statut en Belgique d’un mariage scientologue, dès lors qu’il serait entendu comme « mariage » et comme « religieux ». Si le droit belge n’attribue en principe aucun effet civil à un mariage religieux célébré sur le territoire, deux questions s’ouvrent à la suite de la décision de la Cour suprême britannique : d’une part, quel serait l’effet en Belgique du mariage scientologue célébré en Angleterre, par un couple anglais ou par un couple belge; d’autre part, sur territoire belge, l’article 267 du Code pénal s’appliquera-t-il au mariage scientologue qui serait célébré sans mariage civil antérieur ?

Lorsqu’il reconnaît un effet civil délégué aux célébrations religieuses, le Royaume-Uni n’effectue à l’heure actuelle aucun contrôle d’ordre public sur l’auteur de la forme du mariage. Comme le rappelle la Cour Suprême, la question est celle du concept de religion, et non d’éventuelles dérives pénales extrinsèques. Quant au fond du mariage, il demeure en toute hypothèse soumis au droit britannique, voire à ses règles de droit international privé. Dès lors que la Belgique soumet la forme du mariage à la loi du lieu de célébration, il n’y aura en principe aucun obstacle à ce que la forme scientologue britannique, validée en droit anglais, se voit reconnue en Belgique, même au bénéfice de belges mariés en Angleterre hors fraude à la loi.

Quant à une célébration sur territoire belge, l’article 267 du code pénal frappe indistinctement «  tout ministre d’un culte qui procédera à la bénédiction nuptiale avant la célébration du mariage civil », sans se limiter aux cultes reconnus. L’infraction n’exclut nullement les groupes qui seraient minoritaires, voire socialement contestés, ni les pratiques rituelles matrimoniales spécifiques, qu’elles soient strictement ou non liées aux formes de « bénédiction » des grandes traditions religieuses.  La jurisprudence a par ailleurs montré dès l’origine une tendance à interpréter largement la notion de « bénédiction » (malgré la nature pénale du texte) : ainsi, pour assimiler au concept de « bénédiction » la simple inscription dans un registre religieux (voy. notamment Cass. 26 décembre 1876, Pas. 1877, I, 46, et en ce sens la réponse de la Ministre de la Justice au Sénat, le 13 octobre 2005, à une demande d’explications de M. Joris Van Hauthem sur «la notion de mariage religieux», nº 3-998, Annales, Sénat, 3-127).  En revanche, c’est bien la notion de « ministre d’un culte » qui cerne l’auteur de l’infraction. En va-t-il ainsi des ministres de la Scientologie, par analogie avec les positions de la Cour suprême du Royaume-Uni ? Des indices semblent attester en Belgique d’une interprétation large sur ce point également. Ainsi, depuis 1993, certains Parquets belges ont estimé cette disposition applicable aux rites laïques de mariage, dès lors que ceux-ci ne se déploieraient pas de façon nettement postérieure à la cérémonie civile. Le raisonnement sous-jacent est d’assimiler, suite à leur égale inscription dans la Constitution, organisations philosophiques non confessionnelles et cultes. La reconnaissance publique, non exigée par l’art. 267, constituait en l’occurrence le facteur d’assimilation des figures de délégués laïques et de ministres des cultes, sans poser la question du rapport à la divinité. Saisie à la Chambre d’une question sur l’opportunité de telles poursuites, la Ministre de la Justice a répondu le 13 novembre 2003 que la simple présence d’un délégué laïque durant la cérémonie civile n’emportait pas à ses yeux infraction à l’art. 267 (Compte-rendu analytique, Chambre des Représentants, Commission de la Justice, CRABV 51 COM 056 p. 17). Il en irait donc de même de la simple présence d’un ministre d’un culte, y compris scientologue, dans la salle communale des mariages ?

A défaut de reconnaissance légale, la notion de culte se définit en référence raisonnable à l’usage populaire et au sens courant, qui contribuent ainsi à façonner une compréhension locale des différents mouvements. Mais comment y articuler des considérations nées en d’autres lieux ? Sans que les jurisprudences des autres Etats européens puissent avoir une influence directe sur la qualification belge du mariage scientologue, il est certain qu’elles contribuent à influencer une appréciation factuelle des mouvements transnationaux. A défaut d’établir que les pratiques belges de la Scientologie seraient de nature ou de perception radicalement différentes, l’assimilation à une religion et à un mariage religieux, réalisée dans un Etat étranger, sans avoir d’effets de droit transfrontières, pourrait renforcer certaines appréciations probatoires factuelles en Belgique…

Stéphanie WATTIER
Aspirante du F.N.R.S. à l’UCL

Pour aller plus loin

  • CRANMER, F., « UKSC holds that the activities of the Church of Scientology are religious », Law & Religion UK, Posted on 11/12/2013.
  • CLESSE Ch.-E., DE POOTER, P., « Des délits commis par les ministres du culte dans l’exercice de leur ministère » [267 et 268 CP], in Les infractions -Volume 5 – Les infractions contre l’ordre public, Sous la direction de Henri-D. Bosly, Christian De Valkeneer, Larcier, 2012, 417-425.
  • COLELLA, P., « La disciplina di « Scientology » nell’ordinamento italiano », Giurisprudenza italiana, 2000, fasc. 12 (dicembre), 2446.
  • GONZALEZ, G., « Quelle liberté de religion et d’association pour l’église de scientologie? CourEDH Eglise moscovite de scientologie c. Russie, 5 avril 2007″, Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2007, 1137.
  • HELTON, A.C., MUNKER, J., « Religion and persecution: should the United States provide refuge to German Scientologists? », International Journal of Refugee Law 11 (2), 1999: 310-328.
  • HORWITZ, P., « Scientology In Court: A Comparative Analysis And Some Thoughts On Selected Issues In Law And Religion », 1997, 47 DePaul L. Rev. 85.
  • MUCKEL, S., « The « Church of Scientology » under German law on church and state », German Yearbook of International Law, 41, 1998, 299-316.
  • ONIDA, F., « Nuove problematiche religiose per gli ordinamenti laici contemporanei : Scientology e il concetto giuridica di religione », Quaderni di diritto e politica ecclesiastica, 1998, 1, 279-295.
  • NICHOLS, J.A. (ed.), Marriage and Divorce in a Multicultural Context: Reconsidering the Boundaries of Civil Law and Religion, Cambridge University Press, 2012.
  • ROME, F., « Scientologie: apocalypse now ? », Recueil Dalloz, 2012, 345.
  • THUSING, G., « Ist Scientology ein Religionsgemeinschaft?  Rechtsvergleichende Gedanken zu einer umstrittenen Frage », Zeitschrift fur Evangelisches Kirchenrecht, 2000, 4, 592-621
  • ZUCCA, L., « Is Scientology a Religion? Religious Marriage and the UK Supreme Court’s Landmark Decision Hodkin v Registrar (December 9, 2013) », SSRN: http://ssrn.com/abstract=2365308


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