Réaffectation des églises : pratiques comparées

Dimodugno couverture

La réaffectation des lieux de culte. Enjeux européens. Comparaison entre Belgique, France et Italie

Les questions de la surabondance des édifices de culte catholiques par rapport aux besoins religieux de la population et de la possibilité de leur réutilisation à des fins culturelles ou sociales se posent de plus en plus fréquemment dans plusieurs pays européens traditionnellement considérés comme catholiques, comme la Belgique, la France et l’Italie. Les raisons sont multiples et liées à des phénomènes tels que la sécularisation, la diminution du nombre de prêtres et de religieux, le déclin démographique et les déplacements de population. Il s’agit d’un défi complexe et multidisciplinaire, car il ne peut être abordé uniquement dans le cadre d’un secteur juridique (le droit canonique, le droit administratif, le droit constitutionnel, le droit privé, le droit international et le droit de l’Union européenne considérés isolément ne parviennent pas à apporter de réponses uniques au problème). Il ne peut non plus être traité uniquement dans une discipline (le droit constitue certainement une bonne base, mais sur laquelle il faut construire un plan économique et de gestion ainsi qu’un projet architectural, en tenant compte des questions théologiques, pastorales et sociales  sous-jacentes). Conscients de ce défi, nous avons commencé en 2018 un parcours de recherche de doctorat à l’université de Turin, département de droit, qui s’est terminé en 2022 par la soutenance d’une thèse ayant abouti à la publication de deux monographies.

La première publication, après avoir présenté les questions théoriques dans les domaines juridique et extra-juridique, en soulignant la valeur culturelle sous-jacente à la plupart de ces biens, est spécifiquement consacrée à l’Italie. Une étude de cas portant sur une centaine de décrets de réduction à un usage profane survenus au cours des quarante dernières années dans l’archidiocèse de Turin est présentée de manière systématique afin de montrer les points critiques et les bonnes pratiques. À la lumière de cette analyse, nous avons proposé des solutions innovantes, au-delà du cas par cas, telles que la classification de ces immeubles en tant que « biens communs » – c’est-à-dire des biens dans lesquels une communauté se reconnaît et s’engage à prendre soin –, la création de « fondations de participation » ou de « trusts », afin de gérer de manière originale et participative la pluralité des biens qui ne seront plus utilisés pour le culte, et d’éviter ainsi le recours précipité à la cession par les autorités ecclésiastiques.

Le second ouvrage, fruit de deux séjours à l’étranger, à la KU Leuven en 2020 et à l’Université Paris-Saclay en 2021, visait à élargir les horizons de la recherche afin de comprendre si les solutions adoptées dans des contextes plus sécularisés que celui de l’Italie pouvaient offrir des pistes de réflexion, avant que la situation ne devienne critique et ingérable dans la Péninsule. C’est précisément les conclusions de cette recherche qui font l’objet d’une présentation  le 9 avril 2025 à l’Institut de recherche « Religions, Spiritualités, Cultures, Sociétés » de l’UCLouvain, dans le cadre d’une période de recherche à la Chaire de droit des religions du prof. Louis-Léon Christians.

La comparaison entre la Belgique, la France et l’Italie

La comparaison entre la Belgique, la France et l’Italie a montré comment les différents systèmes de relations entre l’État et les confessions religieuses, ainsi que la multiplicité des réglementations impliquées, affectent la délivrance des décrets de désaffectation au sens du can. 1222 § 2, ainsi que la mise en œuvre des hypothèses de réutilisation ou d’utilisation mixte dans l’espace ou dans le temps.

En Belgique, les fabriques d’église, organismes de droit public chargés des aspects matériels du culte, sont toujours en activité et s’occupent spécifiquement des églises catholiques construites avant 1802 et toujours propriété des communes. À la lumière de la forme fédérale de gouvernement qui caractérise le Royaume de Belgique, les anciennes réglementations napoléoniennes peuvent être modifiées de manière autonome par chacune des trois régions des Flandres, de Wallonie et de Bruxelles-Capitale, ainsi que par la Communauté germanophone.

En particulier, en Flandre, le « plan stratégique sur l’avenir des églises paroissiales catholiques » a été introduit il y a plusieurs années. Il oblige les autorités civiles et religieuses, ainsi que les fabriques, à discuter et à réfléchir ensemble sur l’utilisation actuelle et future des églises, en vue de leur valorisation culturelle, de leur utilisation mixte dans l’espace ou dans le temps, ou de leur réutilisation à des fins séculières. Il s’agit certainement d’une participation imposée et non spontanée, à laquelle l’octroi des subventions régionales et communales est désormais subordonné. En revanche, en Wallonie, aucun consensus n’a encore pu être trouvé pour une réforme, mais nous pensons que le gouvernement régional finira par intervenir sur la question, ne serait-ce que pour des raisons économiques. À notre avis, il sera difficile de suivre le modèle séparatiste luxembourgeois, qui a vu, en 2018, la cessation des fabriques d’église, remplacées par un fonds diocésain auquel ont été transférées la propriété des églises déjà publiques. Toutefois, toutes les interventions viseront certainement à réduire la contribution publique dans ce domaine, en considérant la baisse du nombre de fidèles participant au culte.

S’agissant du cas français, où l’absence de constitution d’associations cultuelles par l’Église catholique a conduit à l’acquisition par la propriété publique des églises construites après le Concordat napoléonien de 1801 et avant l’entrée en vigueur de la loi de séparation de 1905, la solution dégagée par la jurisprudence et mise en œuvre par le législateur est celle d’une convention entre les communes propriétaires et l’autorité religieuse affectataire, afin de réglementer les visites culturelles et toutes autres activités profanes jugées compatibles avec le culte par le curé desservant. On doit également signaler la récente convocation des États généraux du patrimoine culturel religieux français et l’ouverture d’une campagne nationale de collecte de fonds, qui montrent que ces biens suscitent l’intérêt d’une communauté plus large que celle des seuls fidèles, même dans un contexte de forte sécularisation et de séparation stricte.

En Italie, il ne semble pas y avoir encore une pleine conscience de la problématique et on ne dispose pas de données certaines sur le nombre d’églises déjà officiellement désaffectées ou même simplement fermées au culte. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un immense patrimoine (on estime à environ 100 000 le nombre de lieux de culte catholiques, dont au moins 80 % remplissent les conditions pour être inclus dans le patrimoine culturel, conformément à la législation nationale, avec toutes les conséquences et les charges qui en découlent pour le propriétaire en matière de conservation). Proportionnellement, les églises fermées ou qui ne sont plus utilisées pour le culte devraient se compter par milliers. Mais la différence la plus significative avec la Belgique et la France réside dans le fait que les églises sont directement détenues par des entités ecclésiastiques civilement reconnues (diocèses, paroisses, instituts de vie consacrée, confréries, etc.), ce qui les soumet à un régime de propriété privée et non publique. Pour cette raison, le risque d’aliénation ou d’abandon est d’autant plus élevé lorsque la communauté n’est plus en mesure de gérer ses biens de manière autonome. Il est donc nécessaire de rassembler les forces des entités ecclésiastiques, des autorités publiques, des entreprises, des organismes du secteur tertiaire et des citoyens privés, grâce à des solutions de gestion qui permettent la participation d’une pluralité de sujets intéressés par l’avenir de ces biens.

En conclusion, que peut-on tirer de cette comparaison ?

En ce qui concerne la Belgique, on peut affirmer que le système des fabriques a permis de maintenir un lien entre la communauté et chaque lieu de culte, même si la couverture des déficits par les communes est de plus en plus soumise à des restrictions. Parallèlement, il est intéressant de noter que, sans aucune référence à la catégorie des « biens communs », les églises belges le sont déjà dans les faits, compte tenu du régime de propriété publique et de leur système particulier de gestion. En France, du moins en ce qui concerne la valorisation culturelle des églises catholiques, le régime rigide de séparation s’atténue au profit d’un principe de collaboration entre l’État et l’Église. Pour l’Italie, tous ces éléments nous amènent à conclure à la nécessité d’une modification de la législation nationale et de la législation canonique particulière, afin de faciliter la participation des communautés à l’identification de nouvelles utilisations et de favoriser des solutions d’utilisation mixte dans l’espace ou dans le temps, solutions pacifiquement admises en Belgique, par opposition à une réaffectation définitive. Cette dernière, lorsqu’elle ne peut être évitée, devrait en tout cas être réservée à des usages sociaux ou culturels capables de générer des effets positifs sur la communauté, éventuellement grâce à l’implication d’entités du tiers secteur. En effet, même réduites à un usage non inconvenant, les églises catholiques conservent une valeur pour l’ensemble de la communauté civile, indépendamment de l’appartenance religieuse de chacun. À la lumière de la théorie des biens communs, elles devraient être gérées en recourant à des modèles de gouvernance capables de concilier une pluralité d’intérêts différents, tant religieux que culturels, en mettant l’accent sur la participation des communautés aux choix et à la gestion. C’est dans cette perspective que s’inscrivent également les conventions internationales sur le patrimoine culturel (Paris 2003, Faro 2005), auxquelles l’Italie a adhéré, mais dont elle peine encore à mettre concrètement en œuvre les dispositions. Il est donc temps de changer d’approche si l’on veut transformer un problème objectif en une opportunité extraordinaire pour le développement culturel, social et économique des communautés territoriales.

Dr Davide Dimodugno

Chercheur Postdoctoral en Droit et Religion à l’Université de Turin – Département de Droit
Chercheur Visiteur à l’UCLouvain – Institut de recherche « Religions, Spiritualités, Cultures, Sociétés »

Bibliographie

- Davide Dimodugno, La gestione e il riuso delle chiese cattoliche in una prospettiva comparata, Turin – Naples (Università degli Studi di Torino – Edizioni Scientifiche Italiane), 2025 https://www.collane.unito.it/oa/items/show/215.
- Davide Dimodugno, Gli edifici di culto come beni culturali in Italia. Nuovi scenari per la gestione e il riuso delle chiese cattoliche tra diritto canonico e diritto statale, Turin (Università degli Studi di Torino), 2023. https://www.collane.unito.it/oa/items/show/145.
- Davide Dimodugno, Places of Worship in the Urban Landscape: The Role of Participatory Processes for Their Reuse in a European Comparative Perspective, in Amida Osman, John Nagle, Sabyasachi Tripathi (eds.), The Urban Ecologies of Divided Cities, Cham (Springer) 2023, pp. 187-190. https://doi.org/10.1007/978-3-031-27308-7_34.
- Davide Dimodugno, New Perspectives For The Reuse Of Catholic Churches In Europe: From A Common Problem To A Common Good, in Canopy Forum, 5 Mai 2023 https://canopyforum.org/2023/05/05/new-perspectives-for-the-reuse-of-catholic-churches-in-europe-from-a-common-problem-to-a-common-good/.
- Davide Dimodugno, Ecclesiastical properties as common goods. A challenge for the cultural, social and economic development of local communities, in Stato, Chiese e pluralismo confessionale, n. 12 (2022), pp. 11-37. https://doi.org/10.54103/1971-8543/18087.
- Davide Dimodugno, Il riuso degli edifici di culto: profili problematici tra diritto canonico, civile e amministrativo, in Stato, Chiese e pluralismo confessionale, n. 23 (2017), pp. 1-32. https://doi.org/10.13130/1971-8543/8808



Tutelle v. spécificités cultuelles

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« Rendez à chaque culte ce qui lui est propre »
Évêchés et fabriques wallonnes s’adressent à la Cour Constitutionnelle

En Belgique, le pouvoir de prendre des lois à l’égard de la religion est, à la suite des réformes de l’État, morcelé entre le gouvernement fédéral, les régions et les communautés. Cela signifie qu’un même culte est confronté à plusieurs législations, qui diffèrent selon la communauté ou la région.

Mais il n’y a pas que les législations qui soient diversifiées. Les religions le sont aussi entre elles. Et dès lors, une nouvelle législation peut avoir des effets très différents selon la religion à laquelle elle s’appliquera. Ceci peut conduire à des (op)positions contrastées selon les cultes, envers une même législation. Si ces préoccupations sont connues assez tôt par le gouvernement ou l’Assemblée législative, des modifications peuvent être apportées au projet. Ainsi, il y a dix ans, une objection soulevée par le culte israélite à l’idée de mettre en place une «administration centrale» a conduit à une modification pragmatique du décret flamand. La conséquence a été favorable au culte israélite : les trois communautés juives d’Anvers, ayant chacune leur tradition propre, n’ont pas dû instaurer d’administration centrale.

A défaut d’alarme en temps opportun, les problèmes ne peuvent que s’aggraver. En 2004, le décret flamand de culte a ainsi finalement conduit à un jugement d’inconstitutionnalité par la Cour constitutionnelle (1). Mais cette procédure visait seulement une difficulté ponctuelle : le gouvernement voulait imposer un âge maximum pour les membres de l’administration du temporal culte. La Cour constitutionnelle a invalidé cette disposition, non pas sur base de la liberté d’organisation de culte, mais sur la base d’une discrimination. Dans une procédure de 2010 menée dans le cadre de la politique foncière du gouvernement flamand (et donc pas une législation sur les cultes en soi), l’organisation la liberté religieuse a été également invoquée, sans toutefois conduire cette fois à une invalidation (2). Le même sort avait été réservé en 2005 à un recours contre la loi qui avait forcé les musulmans à organiser des élections, au titre de la loi du 4 Mars 1870 (3).

L’apparition d’un problème ne conduit pourtant pas nécessairement à un conflit juridique. Il est concevable qu’une règle ne convienne manifestement pas à un des cultes, en compromettant son autonomie, mais qu’aucun recours judiciaire ne soit engagé. Ce fut le cas lorsque la Région flamande décida l’introduction générale d’une « administration centrale », qui ne pouvait pas être conciliée avec la diversité des structures des cultes reconnus (4). Aucun recours ne fut introduit sur ce point.

C’est dans ce même type de tensions qu’il faut évaluer le recours que le culte catholique vient d’introduire contre le nouveau décret wallon du 13 mars 2014 modifiant la tutelle des fabriques d’église (Moniteur Belge, 4 avril 2014).

Le décret régional a modifié le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, le décret impérial du 30 décembre 1809, la loi du 4 mars 1870 et  abroge nombre d’autres d’arrêtés. Il vise donc une partie essentielle et importante de la législation de culte et concerne naturellement l’autonomie d’organisation des cultes. L’argument de la liberté de culte y est donc central. Les requérants sont trois Fabriques d’église (Nivelles, Jumet-Gohyssart et Liège) ainsi que les Évêques André-Joseph Léonard, Rémy Vancottem, Jean-Pierre Delville et Guy Harpigny (5).

Ce recours de l’Eglise majoritaire est inhabituel. Les modifications antérieures au régime des culte dans la Région flamande, le décret affaires religieuses de l’année 2004 et le décret d’amendement de 2012 n’avaient pas soulevé de tels problèmes, même si dans la littérature quelques discordances s’étaient manifestées invoquant là aussi la liberté d’organisation des cultes (6).

Pourquoi alors maintenant, en Région wallonne, y a-t-il une confrontation entre le gouvernement régional et l’Église catholique romaine telle que la Cour constitutionnelle soit saisie ? Pour un observateur externe, il est difficile de trancher. Mais on peut en tout cas tenter quelques pistes.

On remarquera ainsi que les autres cultes (communautés juives, protestantisme, anglicanisme, orthodoxie et islam) ne participent pas à cette procédure. Est-ce à dire que le règlement attaqué ne crée de problèmes qu’au catholicisme? Dans ce cas, cette affaire serait un point de départ intéressant pour une discussion sur l’égalité des religions. Cependant, il peut aussi bien s’avérer que d’autres religions sont également aux prises avec le décret wallon, mais que – pour une raison quelconque – elles ont choisi de ne pas aller à la Cour constitutionnelle.

Si l’on compare la situation de la Région flamande à celle de la Région wallonne, il y a une grande différence à mon avis, dans les nouveaux règlements flamands qui prennent généralement en compte les principes qui régissent le fonctionnement de l’église majoritaire. Ce résultat peut s’expliquer aisément dès lors que demeurent prépondérantes les consultations avec les représentants de cette église, qui implique plus de 90% de toute la tutelle cultuelle de la Région flamande (7). C’est seulement la liberté d’organisation des cultes minoritaires qui a essentiellement fait problème, dès lors que ces cultes minoritaires sont généralement des agrégats de communautés, parfois concurrentes, sur lesquelles aucun organe central n’a un vrai contrôle ecclésiastique. Cela rend difficile unee position commune, lorsqu’une représentation unique est indispensable, comme pour l’enseignement religieux dans les écoles publiques par exemple.

Une législation qui tienne pleinement compte de la structure d’une église centralisée et de sa liberté d’organisation risque alors, si ce système est appliqué aux autres religions organisées, de conduire à leur égard à l’effet contraire, c’est-à-dire à la violation de la liberté d’organisation de ces cultes moins unifiés.
Qu’une même loi en vienne à la fois à respecter et à violer l’organisation et de la liberté des communautés religieuses est donc tout à fait compréhensible. Par conséquent, le principe d’égalité de traitement signifie également que différentes situations nécessitent un traitement différent. Pour les législateurs (à la Région, la Communauté et au niveau fédéral), cela implique de ménager un équilibre constant au sein des régimes des cultes. Il est pour cela nécessaire que le législateur ait connaissance des différences entre les structures de chaque religion, puisque cette différence doit être prise en compte par la législation. Ceci montre combien une consultation avec les différents cultes doit avoir lieu de façon précoce et détaillée (8).

Pour ce qui concerne le décret wallon, il demeure difficile de savoir à quel point ce fut vraiment le cas. Le Ministre Furlan a précisé au Parlement : “J’ai rencontré, d’abord individuellement, chacun des six cultes reconnus et modifié les textes en fonction d’un certain nombre de contraintes ou de réalités qu’ils avaient pu m’exposer » (9). Ce propos suggère certes une consultation, mais ne dit rien sur le moment ou la qualité de celle-ci. Fait révélateur, aussi, que les parlementaires wallons n’ont pas discuté de la faisabilité et l’acceptabilité du projet pour les communautés religieuses. Encore une fois, ceci est à l’opposé de la façon dont le Parlement flamand a géré l’entreprise en 2004 : en Mars 2004, il a organisé, dans le cadre de la procédure législative et avec le texte proposé sur la table, une audition avec les représentants des cultes (10).

Qu’est-ce que cela signifie pour la procédure engagée devant la Cour constitutionnelle?

Je crois que la Cour, à travers son contrôle concernant une série d’articles du décret du 13 Mars, 2014 au regard, entre autres, des art. 19 et 21 de la Constitution et  9 de la CEDH, a une excellente occasion de préciser l’obligation pour la législation de tenir compte d’éventuelles différences entre les cultes. À ce stade, le principe d’égalité signifie que des cas différents appellent un traitement différent.

En 2010, la Cour constitutionnelle a déclaré : « Si l’organisation de la vie de la communauté religieuse n’était pas protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, tous les autres aspects de la liberté de religion de l’individu s’en trouveraient fragilisés (CEDH, 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, § 62).  La liberté de culte garantie par l’article 21, alinéa 1er, de la Constitution reconnaît cette même autonomie d’organisation des communautés religieuses. Chaque religion est libre d’avoir sa propre organisation“ (11).

Reste à voir si les reproches adressés au Décret wallon, concernant le déni des aspects proprement religieux de la tutelle, et la confusion croissante entre le statut des fabriques d’église et celui des CPAS, ne visent pas globalement tous les cultes, dès lors que c’est la spécificité même de l’autonomie constitutionnelle des religions et philosophies qui serait en cause.

En l’espèce, la Cour doit déterminer si la réduction du rôle des autorités de l’Église catholique (à savoir de l’évêque) sur la gestion matérielle des paroisses dans un diocèse catholique est acceptable à la lumière de la Constitution et de la Convention.

Supposons maintenant – ceci est juste une hypothèse – que la Cour Constitutionnelle estime le décret inacceptable sur ce point. Il ne serait pas encore évident qu’on doive en conclure de façon générique – pour toutes les religions – à la nécessité d’une autorité religieuse renforcée (organe représentatif). Toutes les traditions religieuses n’ont pas un épiscopat ou une hiérarchie. Il serait plus problématique encore d’ imposer une autorité unitaire pour l’ensemble du culte, une exigence que l’Eglise catholique romaine – à mon avis à juste titre – n’a pas à rencontrer, du fait de l’autorité propre reconnue à chaque Evêque (12). Strictement parlant, la législation wallonne doit laisser la place à plusieurs organes représentatifs au sein de chaque culte (13).

J’admets que le maintien du contrôle historique conférés aux diocèses dans la législation des fabriques d’églises  pourrait être apprécié par les représentants officiels des religions non catholiques, surtout si elles ont l’ambition d’obtenir davantage de contrôle sur leurs diverses dénominations, qu’elles ne pourront jamais en obtenir sur la base de leurs règles religieuses internes.  Cet accroissement de contrôle interne est, dans d’autres occasions, recherché par les gouvernements. Mais peut-il trahir les règles religieuses internes sans violer les garanties constitutionnelles d’autonomie ?

Prof. Adriaan Overbeeke
(Vrije Universiteit Amsterdam)

Notes
(1) Cour constitutionnelle n° 2005/152, 5 octobre 2005, B.7-B.9. (lien : http://www.const-court.be/public/f/2005/2005-152f.pdf)
(2) Cour constitutionnelle n° 2010/93, 29 juillet 2010. (lien : http://www.const-court.be/public/f/2010/2010-093f.pdf ) (concerne: décret de la Région flamande du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière et immobilière, MB 15 mai 2009)
(3)  Cour constitutionnelle n° 2005/148, 28 septembre 2005, (lien : http://www.const-court.be/public/f/2005/2005-148f.pdf)
(4) En Flandres, seulement applicable au culte catholique romain et au culte anglican (dont toutes les paroisses reconnues appartiennent à la même circonscription diocésaine). L’Anglicanisme a également été dispensé de former une « administration centrale ».
(5)  Avis prescrit par l’article 74 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. (…) [U]n recours en annulation partielle du décret de la Région wallonne du 13 mars 2014 modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation et diverses dispositions relatives à la tutelle sur les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus (publié au Moniteur belge du 4 avril 2014, deuxième édition) a été introduit par la fabrique d’église de la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles, la fabrique d’église de l’Immaculée Conception de Jumet-Gohyssart, la fabrique d’église de la paroisse Sainte-Julienne de Liège, André-Joseph Léonard, Rémy Vancottem, Jean-Pierre Delville et Guy Harpigny. Cette affaire est inscrite sous le numéro 6051 du rôle de la Cour. Le greffier, P.-Y. Dutilleux (Moniteur belge, 7 novembre 2014)
(6) Voy. les critiques sur la tendence trop ‘unformatrice’ du décret flamand : A. Overbeeke,  “Le nouveau décret flamand sur le régime des cultes : quelques réflexions” dans J.-F. Husson (dir), Le financement des cultes et de la laïcité : comparaison inernationale et perspectives, Namur, les éditions namuroises, 2005, 123-130.
(7)  Cfr. C. Sägesser: “le décret paraît avoir été élaboré, au terme d’un processus de réflexion générale autour du temporel des cultes, certes, mais sans concertation avec les représentants des cultes, contrairement à ce qui s’était passé en Flandre et en Communauté germanophone. Il est probable que cet élément de contexte aura, lui aussi, pesé sur la décision de recours des évêques“ (lien : http://www.o-re-la.org).
(8)  Voy. sur l’importance d’une consultation des cultes (dans le processus législatif) : V. Verlinden en A. Overbeeke, “Het Vlaamse Eredienstendecreet: overlegd of opgelegd?”, Tijdschrift voor Wetgeving, 2007, nr.4, 386-401.
(9)  Exposé Ministre Furlan, 12 mars 2014, Compte rendu Parl. Wall. 2013-2014, 12 mars 2014, C.R.I., n°. 13, p. 67. (lien : http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2013_2014/CRI/cri13.pdf )
(10)  Doc. Parl. Fl. 2003-2004, nr. 2100/8. (lien : http://docs.vlaamsparlement.be/docs/stukken/2003-2004/g2100-8.pdf)
(11)  Cour constitutionnelle n° 2010/93, 29 juillet 2010, B.7. (lien : http://www.const-court.be/public/f/2010/2010-093f.pdf)
(12) En Région Flamande, pour la législation sur les fabriques, l’Eglise catholique peut encore compter sur cinq représentants différents (un par diocèse), et quatre en Région Wallonne.
(13)  Cfr la définition vague et ouverte insérée dans l’art. L3111-2, alinéa 1er, 6° Code du Code de la démocratie locale et de la décentralisation : «l’organe représentatif agréé : les organes représentatifs des cultes reconnus par l’autorité fédérale. »; il n’y a aucune norme dans la législation Wallonne qui exige un organe unique représentatif par culte reconnu ; une pluralité de représentants resterait donc possible.



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