Asile et conversion religieuse

chrétiens-Irak-retouché

C’est dans une relative indifférence médiatique que des chrétiens sont persécutés en nombre de pays. Les réponses internationales et diplomatiques demeurent encore faibles. Un progrès marquant a été assuré par le Conseil des Ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, le 24 juin dernier, en adoptant des Guidelines pour la protection et la promotion de la liberté de religion, préparée par les Services des affaires extérieures. On y énonce notamment ;

  • « 29. States have an obligation to guarantee human rights protection, and to exercise due diligence to prevent, investigate and punish acts of violence against persons based on their religion or belief. Violence or the threat thereof – such as killing, execution, disappearance, torture, sexual violence, abductions and inhuman or degrading treatment – are widespread phenomena that have to be addressed. Such violence may be committed by state or non-state actors, based on the actual or assumed religion or belief of the targeted person or based on the religious or convictional/ideological tenets of the perpetrator.
  • 30. The EU will:
    a. Publicly condemn the execution or killing of individuals and other acts of grave violence on the grounds of religion or belief. The EU will also consider additional sanctions, where appropriate.
    b. Demand immediate accountability of state or non-state perpetrators of such violence and follow judicial proceedings to ensure that justice is delivered.
    c. Strongly encourage state and other influential actors in a society, whether religious or not, to peak out against acts of violence and to publicly denounce such acts at the highest level particularly in cases where officials actively encourage or condone attacks on individuals o communities and property, including places of worship or meeting, or historical religious sites.
    d. Protest when state officials or influential non-state actors spread inflammatory message about the holders of certain religious or other beliefs, including theistic, non-theistic or atheistic persuasions, especially when they openly call for, or justify, violence against them.
    e. Demand the national adoption of laws that prohibit public advocacy of religious hatred tha constitutes incitement to discrimination, hostility or violence (Art. 20 paragraph 2 of the ICCPR).
    f. Consistently condemn any violence against women and girls, including « honour » killings female genital mutilation, early and forced marriages, as well as violence against persons on the basis of their sexual orientation or gender identity including situations when violence in perpetrated under the pretext of a religious prescription or practice. The EU shall promote initiatives, including legislation, to prevent and criminalize such violence.  »

A défaut d’amélioration géopolitique concrète, demeure alors la possibilité individuelle de fuir, décision presque inhumaine et assurément périlleuse. A la différence de la prévention internationale, les demandes individuelles d’asile font, quant à elles, l’objet d’un suivi juridique de plus en plus précis, entrainant chaque candidat réfugié dans un lourd parcours administratif. Le risque de fraude à l’asile existe et appelle une vigilance croissante, atteignant parfois le seuil d’une présomption de culpabilité. Ainsi, une suspicion de plus en plus fréquente concerne la sincérité de l’adhésion religieuse, et plus encore en cas de conversion. Suffit-il de se déclarer en l’occurrence converti au christianisme pour revendiquer un statut de réfugié et un droit d’asile ? A nouveau, autant les persécutions peuvent être documentées de façon globale, autant les dossiers individuels sont plus délicats. Les cas de fraudes à la conversion sont bien connus de la littérature juridique, et dans de nombreux domaines jurisprudentiels, notamment en droit de la famille dans les pays plurilégislatifs à statut personnel religieux. Il s’agit alors d’y obtenir un avantage (comme le droit de se marier ou de divorcer). An matière d’asile, les cas sont plus complexes et évidemment plus durs : une conversion, si elle est réelle, peut impliquer certains risques de persécution dans l’Etat d’origine. En revanche, sur le territoire d’accueil, la conversion sera présentée comme une cause d’asile. Comment gérer ces contentieux pour lesquels c’est un choix de vie qui est au cœur du dispositif. Que ce choix soit sincère plutôt que frauduleux, laisse d’ailleurs subsister qu’il s’agit d’un choix personnel (étant exclus les cas inverses des conversions forcées, ou de la volonté d’échapper à cette contrainte).

Juridiquement, ce choix n’est pas entendu comme un caprice, mais bien comme un droit internationalement garanti. Le droit d’asile suppose quant à lui des conditions strictes. L’articulation de ce droit et de ces conditions devient un exercice quotidien et toujours délicat pour les administrations en charge.

C’est ce qu’atteste la pratique récente. En Belgique, l’organe juridictionnel administratif quant aux questions d’asile (le Conseil du contentieux des étrangers) reste prudent sur les questions de conversion et d’apostasie. Ainsi, dans un  arrêt récent du 30 avril 2013, le juge décide d’annuler la décision de non reconnaissance du statut de réfugié d’un nigérien devenu chrétien et renvoie le dossier au Commissariat général aux apatrides et réfugiés (organe décisionnel en matière d’asile) pour des investigations complémentaires sur la manière de déterminer la conversion d’un musulman nigérien et plus précisément encore comment l’apostasie qui est susceptible d’en découler est perçue par les autorités nigériennes et si le requérant pourrait réellement se prévaloir de leur protection face à des persécutions émanant d’un auteur non étatique familial. (arrêt du CCE, n° 102 124 du 30 avril 2013 dans l’affaire X / V).

C’est la même vigilance qui a également été rappelée par la Cour européenne des droits de l’homme, pondérant les obligations de preuve à charge précise du demandeur d’asile pour persécution religieuse, et l’état des informations générales sur les persécutions dans l’Etat d’origine, en vue de renverser dans une certaine mesure la charge de la preuve et d’appeler l’Etat d’accueil à mieux établir les éléments éventuels de suspicion de fraude à la conversion, ou d’absence de persécution (ainsi dans CourEDH, arrêt du 6 juin 2013, ME c. France).

La protection de la religion comme réalité subjective est aussi au cœur des normes internationales relatives à l’asile. Il s’agit d’une question essentielle pour le statut de la liberté de religion, mais peut-être aussi pour celui de toutes les caractéristiques humaines susceptibles d’être modulées par auto-censure.  

Devant ces interrogations essentielles, les juges de la Cour de justice de l’Union européenne ne se sont pas dérobés, ils ont prôné une interprétation extensive de la notion de persécution religieuse dans le domaine de l’asile. (Arrêt du 5 septembre 2012 prononcé en Grande chambre).

L’arrêt porte sur les conditions dans lesquelles une atteinte à la liberté de religion, dans un pays tiers, constitue une persécution ouvrant droit au statut de réfugié dans un Etat membre au sens des articles 9 et 10 de la directive 2004/83 du 29 avril 2004.  L’intérêt majeur de cette décision est de promouvoir une conception extensive de la notion de persécution religieuse et, partant, du droit d’asile, de nature à éviter qu’à défaut de protection internationale un individu soit contraint de renoncer à ce qui est susceptible de représenter pour lui un élément fondamental de son identité. (voyez IDEDH, « Les juridictions de l’Union européenne et les droits fondamentaux- Chronique de jurisprudence (2012)», Revue trimestrielle des droits de l’homme, 95/2013, p. 654 et svt)

La Cour de justice rejette très fermement l’idée que les actes de persécution devraient uniquement s’entendre des atteintes au « noyau dur » de la liberté religieuse, à l’exclusion des restrictions à la pratique publique du culte. Ce qui signifie clairement que dans le régime de la directive, la distinction entre forum internum et forum externum est incompatible avec la définition inclusive de la religion retenue par l’article 10 de la directive susmentionnée.

Pour la reconnaissance du statut de réfugié, seule importe la gravité des mesures ou des sanctions auxquelles ses convictions exposent l’intéressé dans son pays d’origine.

La participation à des cérémonies de culte publiques, à titre individuel ou collectif, étant érigée dans l’article 10 en élément intrinsèque de la religion, son interdiction doit également s’identifier à une persécution « lorsque, dans le pays d’origine concerné, elle fait naître un risque réel […] d’être poursuivi ou d’être soumis à des traitements ou à des peines inhumains ou dégradants ».

Prolongeant cette préservation de la liberté de religion dans toute sa dimension personnelle, les juges de Luxembourg estiment que les autorités statuant sur les demandes d’asile « ne sauraient raisonnablement attendre de l’intéressé qu’il renonce à de tels actes » et de là, tenir pour infondées ses craintes de persécution sous prétexte qu’il aurait la faculté de s’y soustraire.

Cette jurisprudence semble modifier les politiques nationales. Ainsi, le 14 juin dernier, la presse indiquait que le gouvernement suédois est revenu sur sa décision de déporter un iranien devenu chrétien qui risquait la prison ou la torture en cas de retour dans son pays d’origine, l’Iran.

Toutefois, les autorités suédoises ne feront pas de cette décision un principe pour toute personne apostat venue d’Iran et demandant l’asile en Suède. Encore faudra-t-il individualiser le risque de persécution sévère en cas de retour.

L’avocat du demandeur soulignait dans la presse que les services d’immigrations suédois ne comprennent plus les subtilités du fait d’être « chrétien », ni la dangerosité de ce « statut » en Iran. L’avocat osait même comparer la procédure d’asile en matière religieuse à une sorte de loterie dans laquelle certains gagnent là où d’autres échouent.  Selon la même source, les autorités suédoises auraient même tenu un discours pour le moins inquiétant au moment du rapatriement d’un de ces « perdants : il lui aurait été conseillé de clamer qu’il était musulman et non chrétien pour éviter d’être arrêté une fois sur le sol iranien.

Désormais, le couperet européen empêchera en tout cas le discours des services de l’immigration suédoise invitant à simuler son appartenance à l’islam.

Pour un commentaire plus détaillé des implications juridiques de l’arrêt du 5 septembre 2012 : voyez Jancy Nounckele, La religion comme choix protégé face au risque de persécution : un arrêt important des juges de l’Union européenne, Journal des tribunaux, 2013, p.219 et s.

Jancy Nounckele

Chercheuse à la Chaire de droit des religions
Avocate au Barreau de Bruxelles



Révolution aux cours de religion(s)

« Une vraie révolution au cours de religion » : c’est avec ce titre que les journaux SudPresse ont consacré leur Une du 31 mai 2013 et deux pages intérieures, à l’annonce par la Ministre de l’Education que « à la prochaine rentrée scolaire, les cours des cinq religions reconnues (catholique, islamique, israélite, orthodoxe et protestante) devront intégrer des compétences communes : parler de toutes les religions, s’intéresser à la citoyenneté, pratiquer le questionnement philosophique ». Cette annonce faisait suite à la remise officielle à la Ministre, le 17 mai, des référentiels et référentiels communs, par les différents chefs de culte. Explications.

Conformément aux prescriptions du décret « Missions » du 24 juillet 1997 (1) , tous les cours organisés dans l’enseignement de la Communauté française possèdent un référentiel de compétences déterminé par le Gouvernement et approuvé par le Parlement. Sur base de ce référentiel est alors d’une part élaboré par le pouvoir organisateur propre à chaque établissement (2) le programme d’études, à savoir un « référentiel de situations d’apprentissage, de contenus d’apprentissage, obligatoires ou facultatifs, et d’orientations méthodologiques [définis] afin d’atteindre les compétences fixées par le Gouvernement pour une année, un degré ou un cycle »(3) , et d’autre part mené le travail d’inspection. Les cours de religion et de morale non confessionnelle échappent toutefois à cette règle en raison de l’interdiction, pour l’État, de s’ingérer dans les questions religieuses (4)  : les programmes sont donc établis par les chefs de culte.
En 2009, dans un mémorandum rendu en vue des élections communautaires (5), le Conseil consultatif supérieur des cours philosophiques (ci-après « CCSCP ») réclamait que de tels référentiels soient adoptés pour les cours de religion et de morale. La Ministre de l’Enseignement obligatoire et de Promotion sociale, Marie-Dominique Simonet, prend à bras-le-corps le projet de réformer les cours de religion et de morale dans tous les réseaux de l’enseignement. Dès 2010, elle soutient devant le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles : « Il conviendrait d’envisager la rédaction d’un arrêté de gouvernement imposant un référentiel de compétences pour les cours  philosophiques,  chaque  culte  étant  alors  invité  à  décliner  ce  référentiel  dans  un  programme.  Cela permettrait  d’éviter  les  dérives  et  faciliterait  le  travail  d’inspection  sur  la  base  de  critères  objectifs,  clairs  et contractuels. Il serait souhaitable qu’une réflexion soit menée dans ce sens en partenariat avec les responsables des cultes  pour  définir  un  tronc  commun  des  socles  et  des  programmes  avec  des  contenus  inter-religieux.  Le  Conseil supérieur  des  cours  philosophiques  est  favorable  à  cette  approche » (6) .
Le projet de réforme prend alors corps dans cette optique ; il vise également la rédaction d’un référentiel de base commun aux cours philosophiques qui servirait de base à l’organisation et l’évaluation d’activités communes à ces différents cours et s’articulant autour des trois axes que sont le questionnement philosophique, le dialogue interconvictionnel et les fondements philosophiques et théologiques de la citoyenneté, ainsi que le préconisait le CCSCP. Ces deux points font rapidement l’objet d’un accord dans le chef des représentants des chefs de cultes (7) . Un accord ne semble cependant pas si facilement se dessiner au sein de la majorité parlementaire quant à la manière de recevoir ces référentiels. L’audition de trois constitutionnalistes (8)  par la Commission de l’Éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 12 mars 2013 change en outre la donne dès lors que, selon eux, le cours de morale non confessionnelle ne serait pas neutre mais engagé et porteur des idées de la laïcité.
Désireux d’aller au-delà de l’impossibilité d’un accord politique, les responsables des cinq cours de religion (à savoir les religions catholique, islamique, israélite, orthodoxe et protestante) se sont mis autour de la table afin de rédiger, chacun pour le cours de religion les concernant, un référentiel de compétences propre. Étape importante pour plusieurs cultes qui, jusqu’alors, n’avaient même aucun programme officiel ! Aussi sont-ils parvenus à rédiger les bases d’un référentiel de compétences communes à l’ensemble des cours de religion, le projet étant de rallier la morale non confessionnelle au projet afin que le référentiel soit commun à tous les cours philosophiques (9).
En vue d’adresser au politique un signal fort, à savoir établir publiquement leur capacité à s’entendre sur des socles de compétences communs aux différents cultes reconnus, les chefs de culte ont présenté et déposé officiellement auprès du cabinet ministériel les différents référentiels de compétences propres et communes le vendredi 17 mai 2013 lors d’un colloque portant sur les « Enjeux communs aux cours de religion ». Outre cette présentation officielle, la journée fut également marquée par trois conférences ayant pour but d’éclairer les participants (une majorité d’inspecteurs des différents cours de religion mais également de professeurs, politiciens et représentants des différents réseaux de l’enseignement) quant aux trois axes de compétences communes précités.
Une réelle mise en œuvre d’activités communes aux différents cours philosophiques reste un défi pratique et pédagogique qui se jouerait dès la rentrée prochaine, plus particulièrement encore si ce type d’initiative est aussi souhaité dans le réseau libre où seuls des cours de religion catholique peuvent être dispensés, sur la base du Décret de 1998. A suivre…

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Dr S. MINETTE, Chaire de droit des religions (UCL)

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(1) Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, M.B., 23 septembre 1997, art. 5, 16, 25, 35, 17§ 3, 27§3, 36§3, 50 et 62§ 2. Ci-après appelé : Décret « Missions ».
  (2) À savoir l’autorité (la ou les personne(s) physique(s) ou morale(s), publique(s) ou privée(s)) qui en assume(nt) la responsabilité. Les pouvoirs organisateurs officiels (publics) sont la Communauté française, les provinces, les villes, les communes et la COCOF – Commission Communautaire française ; les pouvoirs organisateurs libres (privés) sont des associations (asbl ou autres) confessionnelles ou non confessionnelles. L’on remarquera que si certains pouvoirs organisateurs n’organisent qu’une école, d’autres en organisent plusieurs, jusqu’à plusieurs dizaines. À titre d’exemple, la Communauté française en organise plusieurs centaines.
  (3) Décret « Missions », op. cit., art. 5, 15°.
  (4) Aucun cadre décrétal n’existe relativement au  contenu  des  cours  philosophiques,  aux  compétences  à  acquérir  et  à la  méthodologie.
  (5) « 3.  Le Conseil propose qu’un référentiel de compétences pour chaque cours philosophique soit déposé. Le référentiel de compétences étant la base de l’évaluation de tous les autres cours, il semble logique que les cours philosophiques s’alignent sur cette pratique. Pour les cours de religion, le référentiel serait déposé par l’Autorité de culte comme elle le fait pour le programme. 4. Le Conseil souhaite aussi qu’un référentiel de base commun aux cours philosophiques soit établi en adéquation avec le décret « Missions ». Ce référentiel commun pourrait servir de base à l’organisation et à l’évaluation des activités communes aux différents cours, notamment dans le cadre de l’éducation à la Citoyenneté. Il se construirait à partir des référentiels propres à chacun des cours philosophiques. » (Extraits du Mémorandum adressé aux dirigeants des partis démocratiques le 17 juin 2009, notre accent).
 (6) Question de Mme Françoise Bertieaux à Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale, intitulée « Contenu des cours de religion » (F), C.R.I., Parl. Comm. fr., 2009-2010, 25 mai 2010, n° 104-Educ.22, pp. 8-10.
 (7) Interpellation de M. Richard Miller à Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale, intitulée « Organisation de l’enseignement de la philosophie dans l’enseignement secondaire » et Interpellation de M. Yves Reinkin à la même ministre, intitulée « Cours philosophiques : vers où vat-on ? » (F), C.R.I., Parl. Comm. fr., 2011-2012, 17 janvier 2012, n° 50-Educ.9, pp. 3-7, spéc. p. 4.
  (8) À savoir les Professeurs Christian Behrendt (Université de Liège), Hugues Dumont (Facultés universitaires Saint-Louis) et Marc Uyttendaele (Université Libre de Bruxelles).
  (9) Le référentiel de compétences communes précise en effet qu’il pourrait « servir de base de discussion pour l’établissement de compétences communes à l’ensemble des cours philosophiques » (point A, notre accent).



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