Attestation religieuse en droit belge ? 4 décembre
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De nouvelles instructions générales relatives aux cartes d’identité ont été diffusées par le Ministère (SPF) de l’Intérieur le 1er juin 2012. On y lit sous la rubrique « Photographies avec couvre-chef » :
« Pour un motif religieux ou médical indéniable, une photographie où la tête est couverte peut être admise à condition que le visage soit entièrement dégagé, à savoir : le front, les joues, les yeux, le nez et le menton doivent être entièrement découverts. Il est souhaitable mais non requis que les cheveux ainsi que les oreilles soient également dégagés. Cette solution ne peut être acceptée sans une justification sérieuse de la part du citoyen concerné.
Des problèmes se posent épisodiquement concernant des photographies où la personne porte un voile. Il doit être bien compris que la photographie doit permettre d’identifier une personne et que le visage ne peut être partiellement dissimulé. Si des raisons médicales ou religieuses justifiées l’imposent, une photographie avec voile peut être admise pour autant que les éléments essentiels du visage soient apparents comme précisé à l’alinéa précédent ».
Le journal Le Soir rapportait dès 2012 que des administrations communales avaient déduit de cette instruction qu’elles pouvaient et devaient exiger « une attestation d’une autorité religieuse » avant d’accepter une photographie avec foulard, et ce pour prouver que « des raisons religieuses l’ imposent ». Selon Etienne Van Verdegem du SPF intérieur, rapportait Le Soir, « La commune ne peut pas exiger la présentation d’une attestation du responsable de la communauté religieuse concernée ». Une telle attestation peut certes « faciliter les choses pour la commune », mais elle n’est imposée « par aucune réglementation » et ne peut être fournie « que sur base volontaire ». « La liberté de culte est un droit constitutionnel. Il est exclu qu’une administration réalise une enquête sur les convictions religieuses ou l’affiliation à un mouvement religieux, de quelque nature que ce soit. »
On ne peut que marquer son accord avec cette dernière interprétation. Elle suppose toutefois que la qualification retenue fasse effectivement relever la question posée de la garantie de liberté religieuse individuelle, plutôt que d’autres cadres, comme par exemple, celui du régime des cultes ou de la liberté religieuse collective. Il est certain que la liberté religieuse n’a de sens que dans la mesure même où tout individu peut se « libérer » de toute autorité confessionnelle, voire affirmer sa dissidence explicitement ou implicitement. Le certificat religieux n’est alors qu’une faculté – et une facilité – ouverte au choix de l’individu. Un tel certificat ne ferait d’ailleurs pas preuve de façon totalement absolue, s’il était par exemple soupçonné d’émaner d’une fausse autorité ou de délivrance manifestement arbitraire. La jurisprudence a déjà classiquement confirmé ce principe à de nombreuses reprises. Ainsi, une autorité communale ne peut pas soumettre l’enfouissement dans une parcelle confessionnelle du cimetière communal au dépôt d’un certificat religieux attestant de l’appartenance confessionnelle du défunt.
On estimera toutefois que la formule du règlement fédéral est elle-même ambiguë lorsqu’elle exige « des raisons religieuses (qui) l’imposent ». Ce sont certes bien des raisons qui sont visées, et non des « règles » ou des certificats. Mais comment comprendre l’usage du verbe « l’imposent » : une raison peut-elle vraiment « s’imposer » à un individu par son simple choix, sans référent tiers ? Le verbe « imposer » a pu être retenu pour signifier la force particulière d’une conviction religieuse par rapport à un pure caprice ou à une simple mode individuelle. Il reste qu’à défaut d’explicitation dans le corps du règlement, on comprendra que des autorités communales se soient senties appelées à exiger la preuve d’une « imposition » par référent à une autorité tierce. Se rejoue simplement ici tout le ressort spécifique d’une conviction religieuse et d’un « impératif » confessionnel, encore mal balisé dans nos sociétés modernes (ou à nouveau mal évalué dans un cadre post-moderne). C’est à notre sens l’instruction générale fédérale qui devrait être revue et viser par exemples des « convictions religieuses ressenties comme déterminantes ». L’abandon du faux semblant d’objectivité de la formule du 1er juin pourrait toutefois inquiéter les administrations locales. Que penser des communes qui exigent plutôt « une attestation sur l’honneur » ? La formule semble plus conforme à la liberté individuelle visée. Il conviendra cependant de ne pas rouvrir un vieux débat belge du XIX-XXe siècle, toujours actuel dans d’autres Etats européens, sur la façon de prêter serment ou d’attester « sur l’honneur » dans le chef de personnes croyantes. Une simple déclaration de sincérité devrait suffire. Beaucoup de discussions pour si peu ? N’est-ce pas la preuve, dira-t-on, que de telles exceptions sont ingérables ? Tel est plutôt l’effort d’imagination à payer pour assurer ni plus ni moins le respect des droits fondamentaux, rappelé notamment par la Cour européenne des droits de l’homme.
On voudrait pour conclure relever que, dans d’autres contextes, des exigences d’attestations pourraient réapparaître, avec des statuts différents. Les exemples sont très divers, ainsi lorsqu’il s’agit du statut personnel d’étrangers soumis à des lois confessionnelles non contraires à l’ordre public. Mais il peut en aller d’hypothèses plus ordinaires. Ainsi, comment établir l’absence de fraude à la consommation en matière d’aliments rituels ? Comment établir la légitimité confessionnel d’un candidat ministre du culte à proposer au financement du SPF Justice ? Ou encore, pour un exemple législatif explicite et d’actualité, comment interpréter le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation (MB 12 août 2004 et 22 mars 2005) dont l’article Art. L4153-9. reprend une solution légale, classique en Belgique, qui prévoit : « §1er. Peut mandater un autre électeur pour voter en son nom : 1° l’électeur qui, pour cause de maladie ou d’infirmité, est dans l’incapacité de se rendre au bureau de vote ou d’y être transporté. Cette incapacité est attestée par certificat médical. Les médecins qui sont présentés comme candidats à l’élection ne peuvent délivrer un tel certificat. (…) 5° l’électeur qui, en raison de ses convictions religieuses, se trouve dans l’impossibilité de se présenter au bureau de vote. Cette impossibilité doit être justifiée par une attestation délivrée par les autorités religieuses »… (dans le même sens, art. 42 bis du Code électoral communal bruxellois, Ordonnance du 16 février 2006, et art. 147 bis du Code électoral fédéral).
Pourquoi les règles religieuses de mobilité seraient-elles à attester par certificat alors que les normes confessionnelles vestimentaires ne le seraient pas ? On observera d’abord que les normes étatiques comparées ici ne sont pas de même rang, le certificat de non-mobilité étant prévu par une norme de rang législatif. Ensuite, la portée donnée à cette règle électorale vise des réalités perçues comme collectives et non individuelles. La validité de ce dernier type d’exigence de certificat a en tout cas été confirmée par le Conseil d’Etat de Belgique dans un arrêt du 3 mai 1983, n°23190, Elections communales de Rhodes-Saint-Genèse, relatif à l’article 147 bis du code électoral fédéral. Le Conseil d’Etat a rejeté l’interprétation des requérants selon laquelle le législateur avait entendu limiter aux juifs et peut-être aux protestants le bénéfice de ce texte général. Il y allait du principe d’égalité. Ensuite, selon les requérants, le législateur avait entendu avoir égard, non pas au contenu hautement personnel que certains croyants pourraient donner à la foi qu’ils professent, mais uniquement aux « convictions religieuses » généralement admises à l’intérieur d’une communauté religieuse donnée ». Le Conseil d’Etat a toutefois rejeté implicitement le certificat de coutume contraire avancé par les requérants (une déclaration émanant d’un aumonier général honoraire selon laquelle « il n’existe de la part des autorités ecclésiastiques aucune objection à ce que des religieuses -même des moniales- exercent personnellement leur droit de vote ») énonçant son incompétence à trancher les conflits dogmatiques. Enfin, le Conseil d’Etat ne rejettait pas comme tel l’argument des requérants selon lequel le véritable motif d’impossibilité aurait été d’ordre médical plutôt que religieux. Il se contentait d’acter que la procédure d’inscription en faux, applicable puisqu’il y a accusation de mensonge théologique, n’a pas été respectée.
Trente années se sont écoulées depuis cet arrêt. Peut-être le moment est-il venu de rendre la parole à la Haute juridiction administrative ?
Le 4 novembre 2013, en réponse à une question écrite de la Députée Z. Génot (Ecolo), la Ministre de la Justice A. Turtelboom a pour sa part confirmé qu’en matière de carte d’identité, seul un engagement individuel sur l’honneur pouvait être exigé, valant jusqu’à preuve contraire : « 1. Ainsi que je l’ai effectivement déjà rappelé à plusieurs reprises, la commune du citoyen ne peut pas exiger la présentation d’une attestation du responsable de la communauté religieuse concernée. Bien que présenter une telle attestation facilite les choses pour la commune, cela n’est imposé par aucune réglementation et cela ne figure pas non plus dans les instructions adressées aux communes concernant les photos et la délivrance des cartes d’identité. Une attestation émise par l’autorité religieuse ne peut dès lors être présentée par la personne concernée que sur une base volontaire. Ainsi que je le précisais précédemment, la commune a la possibilité de demander au citoyen concerné de lui fournir une déclaration sur l’honneur manuscrite par laquelle il déclare que la religion qu’il/elle pratique prescrit le port d’un foulard. Une telle déclaration doit être considérée comme véritable jusqu’à preuve du contraire. 2. J’ai proposé une concertation avec ma collègue, la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, compétente en ce qui concerne les cartes d’étrangers et documents de séjour, qui a répondu positivement à ma demande. Des contacts ont donc déjà eu lieu et une réflexion a été entamée en vue d’une éventuelle harmonisation des instructions adressées aux communes concernant la délivrance de l’ensemble des documents d’identité. » (Chambre des Représentants, Bulletin n° : B130 – Question et réponse écrite n° : 1093 – Législature : 53)
Louis-Léon Christians (2012 et màj 2013)