Jour férié religieux « flottant »

Par un avis n° 1687 du 6 mai 2009, le Conseil national belge du travail estime ne pas pouvoir soutenir un mécanisme qui laisserait purement et simplement au choix individuel de l’employé l’affectation d’un jour férié au titre de ses convictions philosophiques ou religieuses. Selon la proposition ministérielle qui était envisagée, il ne s’agissait pas de créer un jour férié nouveau, mais de prévoir une modalité nouvelle d’affectation des jours fériés de remplacement, mais le recours à cette technique de remplacement, ne lève pas, selon le CNT, l’obstacle : toute affectation laissée au seul choix individuel présenterait une risque de désorganisation des entreprises.

En revanche, le CNT estime que « les secteurs et entreprises doivent pouvoir juger eux-mêmes, sur la base du système en cascade prévu par la loi du 4 janvier 1974, s’ils souhaitent introduire un jour de remplacement flottant. Il souligne de plus que cette possibilité est déjà utilisée dans un certain nombre de secteurs et entreprises. Dans le même sens, et concomitamment avec le présent avis, le Conseil confirme la recommandation n° 17 et l’étend à la proposition de laisser flotter un jour de remplacement au choix du travailleur en fonction de ses convictions religieuses et philosophiques. »

L’article 20 de la Constitution belge fait des motifs religieux une question spécifique lorsqu’il édicte que  « Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos ». En revanche, il ne détermine nullement un droit positif à un ou plusieurs jours fériés confessionnels ».

Il reste que face à la démultiplication des convictions individuelles, et des rites qui y sont associés, la gestion non discriminatoire des jours fériés devient progressivement insoluble. L’idée d’un (ou de plusieurs) jours flottants semble alors offrir une voie nouvelle à la gestion de la diversité sociale, en phase avec l’individualisme contemporain. Une seule journée flottante par an menace-t-elle vraiment l’organisation des entreprises ?

Si la recommandation du CNT place les motifs religieux ou philosophiques sur le même pied que les motifs communautaires ou linguistiques, c’est parce que selon l’avis, la difficulté ne réside pas dans le motif invoqué, mais dans le « mécanisme contraignant et uniforme » qui risque d’entraîner un même type de « difficultés dans la pratique, et en particulier sur le plan de l’organisation du travail ».

Le mécanisme sectoriel qui est recommandé pour prendre en compte la gestion d’un jour férié de remplacement pour motif religieux ou philosophique présente alors effectivement l’avantage d’une construction collective de la question. Mais l’on voit en même temps que la flexibilité des entreprises et l’individualisme convictionnel y demeurent traités de facon asymétrique… C’est en tout cas une phase d’expérimentation qui se trouve reconnue et recommandée. De bonnes pratiques d’ « accommodements raisonnables » pourront y émerger, et peut-être conduire à un déploiement plus novateur et mieux équilibré des garanties constitutionnelles.



Distinctions justifiées par la liberté de culte

La Cour Constitutionnelle de Belgique, dans un arrêt 17/2009 du 12 février 2009, relatif à la loi du 10 mai 2007 « tendant à lutter contre certaines formes de discrimination » a pris d’importantes positions concernant la liberté de religion et les distinctions qui peuvent y être associées.

1. On lira notamment que « B.102.7 En ce qui concerne l’interdiction générale de discrimination, qui est en règle générale imposée au moyen de mesures civiles, il a déjà été dit qu’une différence de traitement fondée sur l’un des motifs mentionnés dans les lois attaquées peut en principe toujours être justifiée, soit sur la base de motifs de justification limités, spécifiques et précisés au préalable (plus précisément les « exigences professionnelles essentielles et déterminantes », la « mesure d’action positive » et la « distinction imposée par ou en vertu de la loi »), soit en vertu d’une « justification objective et raisonnable » qui n’est pas précisée et qui est laissée à l’appréciation finale du juge.

Il découle de la liberté d’opinion ainsi que de la liberté des cultes consacrées par les articles 19 et 21 de la Constitution que des exigences religieuses ou philosophiques

peuvent justifier, sous le contrôle du juge, qu’une distinction soit établie

  • sur la base d’une conviction religieuse ou philosophique,
  • ou sur la base d’un des autres motifs mentionnés dans les lois attaquées,

lorsque cette distinction doit être considérée

  • comme une « exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée au regard » de la conviction religieuse ou philosophique
  • ou comme une justification objective et raisonnable.

B.102.8. Enfin, il ressort du champ d’application des lois attaquées, exposé en B.2.1, qu’elles

  • ne sont pas applicables à des activités purement privées
  • et qu’elles ne peuvent pas davantage, compte tenu de l’article 21, alinéa 1er, de la Constitution, être considérées comme applicables à la nomination ou à l’installation des ministres d’un quelconque culte ».

 

2. On lira ensuite, dans un deuxième axe :  B.103.1. Dans le cas des activités professionnelles des organisations publiques et privées, dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique, une distinction directe fondée sur la conviction religieuse ou philosophique ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature des activités ou du contexte dans lequel celles-ci sont exercées, la conviction religieuse ou philosophique constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée au regard du fondement de l’organisation (article 13 de la loi générale anti-discrimination (1)). B.103.2. Cette disposition a été justifiée comme suit :« Cette règle a été reprise de la directive-cadre européenne. Elle instaure une règle particulière en matière d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes pour les organisations de tendance. Sur la base de cette règle, les organisations dont le fondement repose sur la religion ou la conviction peuvent également, à ce niveau, poser des exigences vis-à-vis des membres du personnel » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2720/009, p. 112).

En ce que les parties requérantes, par la deuxième branche du seizième moyen, critiquent le fait

  • qu’il ne soit pas prévu un motif de justification spécifique comparable pour les objecteurs de conscience individuels, il convient de rappeler que les objecteurs de conscience individuels peuvent invoquer les motifs généraux de justification contenus dans les lois attaquées et que, ainsi qu’il a été mentionné en B.102.7, des prescriptions religieuses ou philosophiques peuvent justifier qu’une distinction soit établie sur la base de la conviction religieuse ou philosophique, ou sur la base d’un autre motif mentionné dans les lois attaquées.Il n’existe donc pas de différence fondamentale entre les objecteurs de conscience individuels et les organisations publiques ou privées dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique. B.103.4. En ce que les parties requérantes critiquent ensuite le fait que le motif de justification de l’article 13 de la loi générale anti-discrimination
  • ne s’applique pas à d’autres activités que les activités professionnelles, il convient de constater que les organisations publiques ou privées dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique peuvent, en dehors de leurs activités professionnelles, également invoquer, sous le contrôle du juge, les motifs généraux de justification contenus dans les lois attaquées ainsi que des exigences religieuses ou philosophiques en vue de justifier une distinction qu’elles établissent, lorsque cette dernière est légitime et justifiée compte tenu du fondement de l’organisation ».

La Cour confirme ainsi clairement que l’exception visée à l’article 13 de la loi du 10 mai 2007 (1) en faveur des entreprises de tendance n’épuise nullement leur condition juridique au regard de la loi, mais se limite à les faire bénéficier, sans rupture d’égalité, d’une présomption légale de légitimité dans un cadre limité.

De façon plus décisive, la Cour confirme que les relations spécifiques des ministres du culte doivent être soustraites au champ d’application de la loi, à raison des garanties constitutionnelles d’autonomie des cultes.

On lira enfin, par ailleurs, que « A.80.2. Selon le Conseil des ministres, les lois attaquées ne s’appliquent pas aux cérémonies religieuses. En effet, elles ne tombent pas dans le champ d’application de « l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services à la disposition du public », ni de « l’accès et la participation et tout autre exercice d’une activité économique, sociale, culturelle ou politique accessible au public ». (…) S’il avait été dans l’intention du législateur d’introduire également une interdiction de discrimination dans le cadre des cérémonies religieuses, alors cette activité aurait été expressément mentionnée dans les lois attaquées. »

Dans d’autres considérants importants, la Cour aborde la question du statut constitutionnel et international des exceptions de conscience pour rappeler que « Les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées ne protègent toutefois pas tout acte inspiré par une religion ou une conviction et ne garantissent pas en toutes circonstances le droit de se comporter selon les prescriptions religieuses ou selon sa conviction » (…) Des restrictions peuvent être autorisées « pour autant qu’elles soient nécessaires, dans une société démocratique, entre autres, à l’ordre public ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (B.102.5).

 

(1) Art. 13. « Dans le cas des activités professionnelles des organisations publiques et privées, dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique, une distinction directe fondée sur la conviction religieuse ou philosophique ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature des activités ou du contexte dans lequel celles-ci sont exercées, la conviction religieuse ou philosophique constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée au regard du fondement de l’organisation.
Sur base de cette disposition, aucune autre distinction directe fondée sur un autre critère protégé ne peut être justifié, à moins qu’elle ne le soit en application d’une autre disposition du présent titre [=TITRE II couvrant les art. 7 et 8].
Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente loi ne porte pas préjudice au droit des organisations publiques ou privées dont le fondement repose sur la conviction religieuse ou philosophique de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation ».

Sur les mêmes thèmes, on renverra aussi aux arrêts de la Cour constitutionnelle de Belgique n° 39 et 40 du 11 mars 2009.



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