Religion et Constitutions 13 janvier
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La nouvelle Constitution tunisienne prévoit une référence religieuse insusceptible de révision
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En octobre 2011, la Tunisie s’est dotée d’une Assemblée constituante, en vue de l’adoption de sa nouvelle Constitution. Initialement, les travaux étaient supposés durer une année. Retardés en raison de l’instabilité politique et des conflits sociaux, ils sont finalement attendus pour la mi-janvier 2014.
Parmi les articles d’ores et déjà adoptés, deux retiennent particulièrement l’attention dans l’analyse de la place accordée à la religion en Tunisie. Il s’agit des articles 1er et 2 de la nouvelle Constitution, dont l’adoption remonte au 4 janvier 2014.
Le premier article de la nouvelle Constitution énonce que « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain. L’islam est sa religion, l’arabe est sa langue et la République est son régime. Il n’est pas possible d’amender cet article ».
Ce faisant, le Constituant tunisien se situe dans la foulée du texte constitutionnel de 1959, qui érigeait déjà l’islam en religion officielle. Il est intéressant de remarquer que le Constituant a décidé du caractère non révisable de cette disposition constitutionnelle, induisant que l’islam ne saurait perdre sa qualité de religion d’Etat qu’a l’occasion de l’adoption d’une Constitution subséquente.
Quant à l’article 2 de la nouvelle Constitution, il consacre un « Etat à caractère civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ». A cet égard, il importe de souligner que les deux amendements proposant le Coran et la Sunna, d’une part, et l’islam d’autre part, comme sources principales de la législation tunisienne, ont été rejetés. Il en va d’une avancée considérable par rapport aux Etats voisins de la Tunisie, qui continuent à accorder une place prédominante à la Charia.
En outre, en consacrant l’égalité homme-femme, la nouvelle Constitution tunisienne est d’ores et déjà présentée par les médias comme la « Constitution la plus libérale du monde arabe ».
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Et en droit belge ?
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En Belgique, la Constitution ne fait aucune référence quelconque à une religion qui prédomineraient sur les autres et ce, à la différence de certains Etats, tels la Grèce, l’Islande ou le Royaume-Uni, qui disposent d’une religion d’Etat bénéficiant de nombreux privilèges par rapport aux autres confessions (au niveau du financement, dans l’enseignement, etc.)
Classiquement, la Belgique est considérée comme un Etat caractérisé par une « neutralité bienveillante », un pluralisme idéologique et une forme d’indépendance mutuelle entre l’Etat et les cultes. En ce sens, il n’a jamais été question en Belgique d’instaurer une religion d’Etat. Au contraire, le droit belge reconnaît et finance six cultes et une organisation philosophique non confessionnelle (art. 181 Const.).
Par contre, la question de la sécularisation et de la laïcisation de la société belge continue à nourrir les débats du monde politique. En ce sens, l’on se souviendra que plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées afin de suggérer que le principe de laïcité soit inscrit dans la Constitution belge (voy. nos développements).
En outre, il importe de rappeler que la Constitution belge ne consacre aucune disposition non révisable. Aussi, moyennant le respect de la procédure inscrite à l’article 195 de la Constitution, toute disposition – à condition d’être inscrite dans la déclaration de révision de la Constitution – pourrait être amendée ou supprimée. Signalons également que la Constitution belge présente la particularité de ne pouvoir, en aucun cas, être suspendue, ni en tout, ni en partie (Const., art. 187).
Stéphanie WATTIER
Aspirante du F.N.R.S. à l’UCL
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Pour aller plus loin en droit comparé
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