Religions et philosophies dans un futur code pénal belge (III) L’atteinte méchante à une loi

debat deBeukelaer

L’abrogation de l’art. 268 du Code pénal
visant spécifiquement les ministres des cultes

Ces dernières années, l’art. 268 du Code pénal a été plus souvent évoqué entre polémistes de presse que mis en œuvre judiciairement. Les conditions de l’infraction sont en effet strictes et visent : « les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ». Selon une doctrine demeurée peu abondante, l’attaque directe ne vise pas n’importe quelle critique mais une véritable incitation à la rébellion contre une loi ou une autorité publique, une « provocation directe à la désobéissance aux lois » selon la formule du Code pénal de 1810.

Cette infraction qui visait spécifiquement le clergé (reconnu ou non), n’a pas été formellement maintenue dans le projet de code pénal actuellement déposé, quitte même à l’étendre aux délégués des organisations philosophiques non confessionnelles. Elle ne disparaît pas pour autant. L’exposé des motifs indique explicitement que cette infraction se trouverait désormais absorbée par une nouvelle disposition plus générale prohibant toute « atteinte méchante à l’autorité de l’Etat », quel qu’en soit l’auteur. Allait-on disposer désormais d’un texte clair et lever les incertitudes d’une disposition aussi sensible que l’art. 268 ? Rien n’est moins sûr.

On lit dans l’exposé des motifs que « l’actuel article 268 du Code pénal contient une incrimination séparée pour les ministres d’un culte (…). Cette incrimination n’est pas reprise ici étant donné qu’elle constitue une violation trop importante de la liberté de culte et de la liberté d’expression. De plus, le comportement punissable (comme le fait de prêcher que les lois belges ne sont pas contraignantes lorsqu’elles vont à l’encontre du dogme ou que le gouvernement n’a aucune autorité sur les croyants) est suffisamment sanctionné par la disposition en projet relative à l’atteinte méchante à l’autorité de l’État. » Ces explications divergentes pourraient faire craindre pour la bonne tenue d’une disposition pénale : violation trop importante d’une part, ou présomption que toute prédication de la loi divine constituerait une atteinte nécessairement méchante ?

L’extension de l’article 268 du Code pénal
à toute atteinte méchante en public contre la loi

De façon plus générale, le projet d’art. 546 nouveau introduit et réaménage dans le Code pénal l’art. 2 du décret du 20 juillet 1831 [1]: « l’atteinte méchante à l’autorité de l’État consiste à, dans une intention méchante et en public: 1° porter atteinte à la force obligatoire de la loi ou des droits ou à l’autorité des institutions constitutionnelles; 2° provoquer directement à la désobéissance à une loi causant une menace pour la sécurité nationale, la défense de l’ordre ou la prévention des infractions, la santé publique, la moralité, la bonne réputation ou les droits d’autrui pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire, se trouvent menacés » (sic). L’interprétation de cette disposition, pour ancienne que soit son origine, est toujours demeurée aussi fondamentale que délicate.

Quant au dol spécial de méchanceté, on lit dans l’exposé des motifs que « L’auteur doit donc avoir eu la volonté d’amener ses auditeurs ou lecteurs à méconnaître la force obligatoire des lois ou l’autorité des institutions constitutionnelles ou à ne pas respecter la législation qui touche à l’ordre public. Le fait de critiquer les institutions constitutionnelles, la politique gouvernementale ou une loi, aussi sévèrement que ce soit, ne relève donc pas de cette incrimination, pas plus que le fait de tenir des propos qui ont pour but de dénoncer des pratiques abusives… (Il en va de même bien entendu pour la critique qui consiste à devoir écarter l’application de la loi compte tenu de la priorité du droit européen ou international d’application directe. En effet, cette critique demande précisément le respect de la force obligatoire de la norme juridique supérieure) »[2].

Quant à la portée du dédoublement alternatif de cette infraction, elle fut déjà discutée, voire disputée, au XIXe siècle[3]. Il conviendrait d’entendre que la négation méchante de l’obligatoriété théorique de toute législation en général serait une infraction en soi, distincte de celle de l’appel méchant à désobéir à une loi précise, loi qui devrait alors relever des catégories visées par le texte nouveau, à la suggestion du Conseil d’Etat[4], faute de quoi l’appel à la désobéissance, même méchant, envers cette loi précise, mais non les autres, ne serait pas punissable.

On se bornera ici à noter que l’identité ou la nature de l’auteur n’est pas (ou plus) spécifiée par l’art. 546 du Code en projet. Ce n’est donc plus la figure d’autorité spécifique des prédications des ministres du culte qui retient l’attention du législateur. On pourrait ne pas s’en étonner face à une sécularisation dont sont bien connus les effets de délégitimation de toute autorité instituée. En revanche, il s’agirait pour la nouvelle disposition pénale de prendre la mesure de la diffusion généralisée des discours d’influence ? L’autorité de toute parole s’y diffracte à travers les réseaux sociaux bien davantage que dans des lieux de culte ou les maisons de la Laïcité. Ces nouveaux contextes influenceront-ils les modalités de preuve d’une intention méchante ? La présomption de performativité des prédications religieuses, portée aujourd’hui par l’article 268, se maintiendrait-elle dans l’appréciation d’un futur art. 546 par les cours et tribunaux ?

Ces vastes débats dépassent le cadre de la présente note. Ils ont pour toile de fond une mise en cause de formes non violentes de liberté d’expression, distinctes d’infractions déjà établies visant la répression de l’incitation à la haine ou à la discrimination, ou encore de l’apologie du terrorisme. En raison des risques encourus au regard des garanties de liberté d’expression, et en particulier en matière d’appel à désobéissance civile, l’Institut Fédéral pour la protection et la promotion des Droits Humains recommande, en son avis n° 12/2023 du 5 octobre 2023, l’abandon de ce texte et l’abrogation du décret du 20 juillet 1831 et de l’art. 268 actuel du Code pénal.

Louis-Leon Christians
Professeur ordinaire à l’UCLouvain
Chaire Droit & Religions


[1] Voy. par exemple M. Simons, (Proc. Gén.), Des attaques dirigées contre la force obligatoire des lois et des provocations à y désobéir, 1871, Bruxelles, 1871, Typ. Weissenbruch, 70 p., à propos de l’art. 2 du Décret du 20 juillet 1831 : « Atteindre la loi dans son principe, c’est atteindre l’autorité elle-même d’où elle émane; de semblables excitations sont le point initial de la sédition qu’elles préparent dans les esprits, en attendant que d’autres la préparent par des actes. Bien différent et, selon nous, bien moins à redouter est le provocateur qui, sans méconnaître la force obligatoire de la loi et la nécessité de s’y soumettre, s’efforce de corrompre le coeur de celui à qui il s’adresse, et sans lui ôter la pensée qu’il va commettre un crime, l’incite cependant à s’y livrer. » Et de citer un débat précédent de peu l’indépendance, sur un texte hollandais similaire : « Attaquer la force obligatoire des lois, (ainsi « s’exprima M. Doncker Curtius), le faire méchamment, c’est à dire, dans des intentions malveillantes et avec le but pervers de nuire… le faire publiquement et uniquement pour provoquer à la désobéissance… C’est un délit punissable en tant que cette action n’a, dès lors, d’autre but que de s’opposer à ce qui doit être sacré dans l’intérêt de tous, à causer du trouble et à ébranler les bases de tout édifice social… » (Séance du 17 mai 1830. Gazette des Pays-Bas, supplément) » La même pensée fut exprimée par M. De Moor lorsqu’il disait que cette disposition  « a laissé à chacun la libre discussion ou critique des actes des autorités publiques, donc aussi la critique des lois. Le respect dû à ces actes exige bien qu’on leur obéisse, mais n’interdit pas d’en discuter les avantages et les inconvénients… Mais l’écrivain a-t-il, avec l’intention criminelle, attaqué la force obligatoire des lois, excité ou provoqué à la désobéissance aux lois; la violence, a-t-elle pris la place de la raison, c’est alors que le délit commence ». Certains en tout cas estimaient à l’époque hollandaise que devraient être sanctionnés ceux qui, par exemple, estiment publiquement que « Ces lois (celles sur le mariage civil), sont contraires aux canons de l’Église, préjudiciables à la religion et aux moeurs, d’où il faut bien conclure qu’elles heurtent les garanties de la loi fondamentale (Catholique). Obéir et pourquoi ? parce qu’il vous a plu de revêtir une de vos lubies de formes officielles (Courrier des Pays-Bas)…( Séance du 21 mai 1830, Gazette des Pays-Bas, supplément. (cité par M. Simons, loc. cit. p. 27). D’autres exemples étaient encore donnés par le Procureur général : « Personne n’ignore que, depuis peu d’années, le droit de propriété individuelle est battu en brèche par une secte qui, sous le nom d’Association internationale des travailleurs, va grandissant avec audace et poursuivant son oeuvre sous le drapeau de la collectivité sociale, tend à envelopper dans un vaste et puissant réseau l’un et l’autre hémisphère. (…) A cet effet, nos lois nous fournissent dès à présent une arme efficace: elles garantissent le droit de propriété individuelle et érigent même cette garantie en principe constitutionnel. Soutenir que ces lois sont iniques, qu’il est de droit et de nécessité de confisquer le sol au profit de la collectivité, c’est diriger des attaques coupables contre la force obligatoire de la loi, c’est commettre le délit prévu par l’article 2 du décret sur la presse » (p. 40).

[2] DOC 55 3518/001, p. 532.

[3] De tels débats qui avaient déjà animé les Parlementaires dès 1829… Voy. sur le dédoublement de l’infraction, M. Simons, loc. cit., p. 28.

[4] Le Conseil d’État observait que la définition initiale des “lois qui touchent l’ordre public” n’est pas suffisamment prévisible (n° 114.1) et proposait de remplacer cette notion par celle de ‘loi en relation avec la menace d’une des valeurs à protéger mentionnées à l’article 10, alinéa 2, CEDH (n° 114.2)’ (DOC 55 3518/001, p. 531).



Religions et philosophies dans un futur code pénal belge (II) – le rite de mariage religieux ou non confessionnel

Couple in UK’s first Scientology church wedding

Les infractions commises par les ministres des cultes dans l’exercice de leur ministère sont également maintenues, mais selon des modalités différentes. L’infraction visées à l’art. 267, concernant l’antériorité du mariage civile demeure une infraction spécifique à charge des ministres du culte, tout en étant étendue aux officiants des cérémonies laïques de mariage et réécrite à cette fin. En revanche, l’art. 268 du code pénal, qui réprime actuellement les ministres du culte qui, « dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique » se trouverait intégrée dans une infraction plus générale d’« atteinte méchante à l’autorité de l’État ». On examine ici l’évolution de la première infraction.

L’antériorité obligatoire du mariage civil est un prescrit constitutionnel (art. 21 al. 2). Sa formule demeure inchangée depuis 1831 : « Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu ». Selon l’exposé des motifs, « l’infraction de consécration d’un mariage religieux avant la célébration d’un mariage civil (art. 267 du Code pénal) n’a pas été reprise [dans cette section du Code ?]. Un tel comportement ne présente pas suffisamment d’enjeu pénal dès lors que le mariage religieux n’emporte aucune conséquence juridique et n’a donc pas d’impact important sur la société » (DOC 55 3518/001 p. 292). Or, c’est bien l’inverse que propose le projet de loi, en son projet d’article 641 : « La célébration du mariage religieux ou du mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil. La célébration du mariage religieux ou du mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil consiste pour un ministre des cultes ou pour un délégué qui offre une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle de célébrer, délibérément, le mariage religieux ou le mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil ».

Quoique de nombreux auteurs et hommes politiques aient appelé à l’abrogation de cette atteinte à la liberté de culte, elle est toutefois réinsérée dans le Code pénal en projet, à l’art. 641. Le Conseil d’Etat indique dans son avis 72.477/3 (n° 77) qu’aujourd’hui « pour être conforme à l’article 9 CEDH, cette restriction à la liberté religieuse et philosophique doit être « nécessaire dans une société démocratique à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Et de poursuivre : « En 1831, lorsque l’antériorité du mariage civil a été inscrite dans la Constitution, le constituant entendait dissiper la confusion qui existait alors et qui donnait à penser aux gens que s’ils étaient mariés « à l’église », ils étaient également mariés ipso facto « aux yeux de la loi ». Cette confusion s’expliquait historiquement, notamment du fait que dans l’Ancien Régime, depuis un édit de 1610, les prêtres paroissiaux inscrivaient le mariage dans leurs registres et transmettaient ensuite ceux-ci aux échevins de l’état civil. Le constituant a voulu éviter cette confusion, parce que celle-ci avait aussi une incidence sur le statut des enfants issus d’un mariage purement religieux. Cette justification était pertinente pour l’adoption de l’article 267 du Code pénal. La question se pose de savoir si cette motivation suffit encore pour justifier l’incrimination des ministres du culte qui célèbrent un mariage religieux avant qu’ait eu lieu la célébration du mariage civil. Elle ne saurait en tout cas pas procurer de fondement à l’élargissement de l’incrimination aux délégués qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle et qui célèbrent un mariage non confessionnel ». En conclusion, le Conseil d’Etat indique que « s’ils souhaitent maintenir cette incrimination, les auteurs de l’avant-projet devront dès lors pouvoir justifier l’ingérence dans la liberté religieuse et philosophique qui en découle au regard des conditions sociales actuelles. Cette justification doit être pertinente, tant pour le mariage religieux que pour le mariage non confessionnel ». L’exposé des motifs indique plusieurs ordres de justification d’actualité. D’abord, (p. 597) que « pour le Service des cultes et de la laïcité, de mariages religieux en Belgique sont conclus sans qu’il soit précédé par un mariage civil. D’autres sont conclus sans mariage civil. C’est la raison pour laquelle il est opportun de reprendre cette disposition dans le projet de réforme du Code pénal ». Dans cette même ligne, l’exposé des motifs indique que « La menace d’une sanction lorsque la bénédiction ou la consommation d’un mariage religieux ou non confessionnel est effectuée avant, ou même sans, la conclusion d’un mariage civil constitue un moyen de dissuasion pour ceux qui auraient l’intention de contracter un mariage en contournant les interdictions prévues par le droit belge. Il s’agit notamment du mariage de partenaires multiples (polygamie) et des mariages entre une ou plusieurs personnes qui ne remplissent pas les conditions d’âge ou autres ». Et de poursuivre : « en ce qui concerne les conséquences sur la filiation : un mariage religieux sans mariage civil a pour conséquence que la filiation paternelle à l’égard de l’enfant ne sera pas établie si elle n’a pas été reconnue ». L’exposé des motifs mentionne également un autre ordre de justification, plus générale, d’ordre théorique, et dont le succès au test de proportionnalité ne nous semble cette fois pas nécessairement acquis : « de nombreuses religions ont également des tendances radicales et non démocratiques, ce qui est inacceptable dans un État de droit concernant dans l’exécution des mariages, la suprématie de la loi civile sur la loi religieuse reste évidente à travers son applicabilité pénale. Il s’agit d’une règle de droit fondamentale par laquelle il bénéficie d’une protection en tant que droit fondamental protégé par la Constitution. Le maintien de la pénalisation envoie le signal que les lois et règles religieuses sont subordonnées au droit civil ».

Le Conseil d’Etat recommandait que les justifications puissent également valoir pour la célébration des mariages non confessionnels. C’est alors « dans un souci d’égalité et de non-discrimination, conformément l’article 11 de la Constitution et l’article 14 CEDH [qu’] il est proposé d’élargir la disposition au mariage non-confessionnel ». Aucune autre justification n’est apportée quoique l’on se souvienne de certains contentieux évoqués par la presse quant à certains risques de confusion entre rites laïques et cérémonies civiles au sein de certaines pratiques communales. A défaut de voir mentionner des risques majeurs, on s’interrogera sur cette extension de la loi pénale aux mariages non confessionnels, soit pour y voir une adaptation anticipée à la nouvelle qualification du bouddhisme, soit pour y asseoir une habilitation symbolique des organisations philosophiques à célébrer des mariages non confessionnels.

En conséquence de cette extension « non-discriminatoire », il convenait dès lors aussi de modifier la formule de la disposition pénale, et ne plus viser « la bénédiction » nuptiale. C’est désormais la « célébration « délibérée » du mariage religieux ou du mariage non-confessionnel » que vise le nouvel art. 641 du projet pour sanctionner, si elle est antérieure à la célébration du mariage civil, le ministre des cultes ou un « délégué qui offre une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ». L’exposé des motifs présente une explication toutefois étonnante à la reprise de la notion inscrite à l’alinéa 2 de l’article 181 de la Constitution : « Étant donné que le ministre des cultes n’est pas habilité à célébrer le mariage non-confessionnel, la disposition pénale prévoit d’incriminer le délégué qui offre une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle. Ce délégué a été institué par la loi du 21 juin 2002 relative au Conseil central des Communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique, aux délégués et aux établissements chargés de la gestion des intérêts matériels et financiers des communautés philosophiques non confessionnelles reconnue. Celui-ci est habilité à célébrer les mariages non-confessionnels ». Propos étonnants d’une part parce que cette loi n’habilite ces délégués à aucun rites particuliers, et d’autre part parce que le texte de l’infraction pénale ne se limite nullement à des organes ou des dénominations reconnues.

La notion de « bénédiction », qui disparaît faute de pouvoir se référer aux réalités non confessionnelles, avait pourtant elle-même reçu une interprétation large dans le passé, allant jusqu’à inclure, en jurisprudence française, toute intervention quelconque d’un ministre du culte, comme la simple transcription dans un registre paroissial ou diocésain d’un mariage canonique en « forme extraordinaire » (c’est-à-dire devant de simples témoins laïcs. La notion étatique de « bénédiction » permettait aussi de viser pénalement des formes simultanées d’intervention : pénalement, la bénédiction d’une cérémonie civile ne peut pas être concomitante, mais bien seulement postérieure. Aligner les notions de « célébration » civile, religieuses et philosophiques altère les formulations antérieures qui visaient précisément à souligner des ordres de réalités différents. On évoquera en revanche l’ambiguïté de la notion de « célébration de mariage » tant pour les cultes hors du catholicisme, que pour la communauté laïque elle-même. Ce n’est pas la bénédiction par l’Imam qui fait la célébration d’un mariage en Islam. La bénédiction de l’Imam peut tout aussi bien indiquer qu’aucun obstacle religieux ne s’oppose à une célébration civile, ou saluer la volonté de se fiancer. Ainsi encore, l’art. 267 rendait impossible de bénir une union civile, dès lors que la bénédiction, pour échapper à la sanction pénale, suppose un mariage civil antérieur et non une simple déclaration communale de cohabitation légale. L’avenir dira si la seule introduction de l’adverbe « délibérément » constituera un dol suffisamment précis pour lever tout ambiguïté entre fiançailles, cohabitation et mariage. Admettra-t-on par exemple la célébration religieuse ou laïque d’une cohabitation pour laquelle les partenaires auraient décidé qu’elle demeurerait soustraite à toute forme civile ?

Deux autres constats doivent encore être dressés à l’occasion de la reformulation de cette infraction. Tout d’abord, et contre les indications du Conseil d’Etat, l’exception du danger de mort, prévue depuis 1909 , n’est plus maintenue. Le délégué du Gouvernement a indiqué au Conseil d’Etat que cette exception serait désuète . On s’étonnera d’une telle légèreté qui manque pour le moins d’un fondement anthropologique que toutes les grandes situations traumatiques révèlent d’abondance (catastrophes naturelles, accidents de la route ou autres), sans pour autant revenir à un romantisme perdu. Quant à l’exposé des motifs, il indique quant à lui que « Il n’y a aucune raison de conserver l’exception à l’application pénale de toute façon. Après tout, la conclusion d’un mariage, qu’il soit civil ou religieux, a pour but d’établir un état civil avec des droits et des obligations, ce qui n’est pas le cas lorsque l’un des mariés décède peu après la cérémonie ». Considération paradoxale et en contradiction avec la justification même qui y est évoquée.

Ensuite, et plus étonnamment encore, le projet continue à se cantonner à la seule figure du mariage. On a déjà indiqué combien cette disposition pénale renforce, par son miroir religieux, une distinction radicale entre le mariage civil et la cohabitation légale, au point qu’il est interdit pénalement de bénir une cohabitation légale. Mais il y plus encore, la disposition ne se préoccupe pas non plus des figures du démariage (divorces, séparations, nullité, répudiations etc). Or, les contentieux sont nombreux, et ont fait l’objet d’interventions précises dans de nombreux pays (Etats-Unis, Angleterre, Canada, France etc) pour éviter la prise en otage de certaines femmes (civilement libérées, mais religieusement « enchaînées »). Certes, de tels contentieux de démariage n’avaient aucune réalité sociale impactante dans l’univers catholique belge du XIXe siècle. Ils n’appelaient pas l’attention du Congrès national. Il en va très différemment aujourd’hui pour tant de femmes juives ou musulmanes, qu’une nécessaire clarification des conditions du divorce civil viendrait, entre autres, aider à l’encontre de tout chantage religieux.

 

Louis-Leon Christians
Professeur ordinaire UCLouvain
Chaire Droit & Religions



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