Délits d’expression et religions

Par arrêt n°191.742 du 23 mars 2009, le Conseil d’Etat a suspendu en extrême urgence une décision d’un collège des bourgmestre et échevins d’interdire un spectacle de l’humoriste controversé Dieudonné : « Considérant que les circonstances extraordinaires censées justifier l’arrêté attaqué sont en premier lieu «les propos de l’artiste lors de ses précédentes représentations, lesquels sont ressentis comme injurieux envers la Communauté juive par une grande partie de l’opinion publique»; Considérant que, indépendamment même du fait que le requérant se défend d’avoir jamais tenu des propos antisémites – se déclarant anti-sioniste, ce qui n’est pas la même chose –, cette circonstance n’est pas de celles qu’aurait pu retenir la partie adverse pour fonder sa décision; que le collège des bourgmestre et échevins,en effet, n’a pas reçu pour mission de veiller préventivement à la correction politique ou morale, voire même pénale, des spectacles et moins encore à celle, supposée, des artistes qui en donnent la représentation; qu’à supposer que des propos tombant sous le coup de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie risquent d’être tenus au cours du spectacle interdit par l’arrêté attaqué, ceux-ci ne pourraient justifier que des poursuites répressives, mais non une mesure préventive de police; qu’en effet, l’article 19 de la Constitution garantit la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ». Et de préciser explicitement : « Considérant, à cet égard, que le présent arrêt ne saurait être interprété comme prenant parti dans la polémique existante, mais seulement et strictement comme contrôlant la légalité objective de la décision attaquée ».

La liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent les pouvoirs publics ou une fraction quelconque de la population; qu’ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique » rappelle le Conseil d’Etat, selon la formule consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme. »

La répression de propos délictueux est envisageable a posteriori, tandis qu’une censure préalable est illégale. Cette distinction demeure applicable à des ministres du culte ou des professeurs de religion reconnue. Il appartient le cas échéant au ministère public d’ouvrir une poursuite pénale contre des propos délictueux. Des sanctions « disciplinaires » peuvent également y être associées dans le cadre de l’enseignement public.

Les pouvoirs publics pourraient-ils enjoindre aux autorités religieuses d’adopter des mesures propres ? La question est délicate, en particulier dans le cadre d’un régime de cultes reconnus. Il est certain que la garantie générale d’autonomie des cultes s’oppose à toute intrusion directe dans l’organisation proprement religieuse. Il n’appartient pas aux pouvoirs publics de donner des injonctions canoniques dans un dossier ecclésiastique précis. En revanche, si les contentieux en arrivaient à se multiplier, l’attitude globale d’un chef de culte pourrait être prise en compte pour évaluer la pérennité des conditions de reconnaissance. La relation de confiance globale que suppose la reconnaissance pourrait alors appeler de nouveaux modus vivendi, sous le contrôle du Parlement, à défaut actuellement d’autres procédures. Ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé à diverses reprises, il importe que les leaders concernés prennent position et ne cautionnent pas d’éventuelles dérives individuelles. En revanche, demeurerait en toute hypothèse illégale l’injonction qui serait adressée aux chefs de culte d’établir une censure préalable interne. La prohibition des mesures préventives qui s’impose aux pouvoirs publics empêcheraient à tout le moins ces derniers de « déléguer » cette censure aux autorités confessionnelles.

Qu’il s’agisse de voir le Premier ministre belge prendre position sur les propos négationnistes d’un évêque intégriste étranger ou le Ministre belge de la Justice prendre position sur d’éventuels propos négationnistes d’un professeur de religion, une même prudence dans le partage juridique des compétences s’impose.  

A une question du Député Georges Dallemagne, le Premier Ministre répond le 5 février 2009 : « La levée de l’excommunication de quatre évêques relève de la compétence exclusive du pape. Mais j’ai été choqué par les propos de Mgr Richard Williamson, un de ces quatre évêques et je les condamne. Notre Ambassadeur auprès du Saint-Siège sera chargé de porter cette position à la connaissance des autorités vaticanes » (Compte rendu analytique – Chambre des représentants – CRABV 52 PLEN 081). A une question du Député Denis Ducarme relative aux propos d’un professeur de religion (« Ne faudrait-il pas prendre langue avec l’Exécutif des musulmans de Belgique pour préciser certains points quant à la sélection et à la formation des professeurs de religion islamique ? »), le Ministre de la Justice répond le 19 mars 2009  » Je suis sensible au problème que vous évoquez, mais je ne suis pas responsable de l’organisation des cultes et je n’ai pas à m’immiscer dans le travail de l’Exécutif. J’ai cependant pris contact avec l’Exécutif pour lui demander d’intervenir dans ce dossier et d’être à l’avenir plus attentif au respectdes lois. J’espère qu’il réagira » (CRABV 52 PLEN 088).
 



Ministre du culte et jury d’assises

Une circulaire du Ministre de la Justice du 24 décembre 2008 (M.B.  9 janvier 2009) précise les conditions d’établissement des listes de jurés d’assises. Conformément à l’article 224 du Code judiciaire, le bourgmestre doit exclure de la liste préparatoire « (…) 6° les ministres d’un culte ». La Circulaire précise, selon un texte analogue à des circulaires antérieures, que par  ‘ministre d’un culte’, « il convient d’entendre : au sens général, toute personne qui, en vertu d’une ordination, est habilitée à prendre une part active aux cérémonies et rites d’un culte. En ce qui concerne plus particulièrement les ministres du culte catholique, il y a lieu de considérer comme tels les personnes qui ont reçu les ordres majeurs (prêtres, diacres, sous-diacres) qu’elles appartiennent au clergé régulier ou séculier; pour le culte protestant, les licenciés en théologie protestante ayant reçu la consécration pastorale; pour le culte israélite, les rabbins; pour le culte anglican, les personnes qui ont reçu les ordres majeurs, à savoir les prêtres et les diacres (deacons); il y a lieu d’assimiler à ces ministres du culte les imams des mosquées reconnues ».

Cette double définition, d’abord en compréhension puis en extension soulève plusieurs questions, d’ordre légal et constitutionnel. Si la circulaire déduit bien du texte du code judiciaire que celui-ci ne se limite pas à exclure les seuls ministres des cultes « reconnus », mais bien tout « ministre d’un culte », la circulaire maintient toutefois une compréhension connotée par l’usage de concepts non universels : l’ « ordination » est ainsi une réalité ignorée de bien des religions, mêmes reconnues… Ensuite, lorsque la circulaire vise par exemple les ministres catholiques, elle fait mention des « ordres majeurs » et des « sous-diacres », qualifications canoniquement obsolètes depuis le décret Ministeria Quaedam du pape Paul VI en 1972, sauf aujourd’hui pour les communautés catholiques traditionnalistes. Comment comprendre cet anachronisme ? Peut-être convient-il  de donner un autre sens à cette référence dépassée aux « ordres majeurs », pour signifier que le code judiciaire ne viserait pas systématiquement tous les « ministres » mais seulement certains d’entre eux ? Ainsi, la circulaire omet d’autres « ministres du culte » que sont par exemples les assistants paroissiaux, dont le statut est validé rétroactivement par la loi-programme de décembre 2008. Certes, ces ministres ne sont pas « ordonnés » mais ils peuvent prendre un part active à certaines fonctions cultuelles. On pourrait néanmoins hésiter à les exclure mécaniquement car tant le code judiciaire que la liste énoncée par la circulaire ne semblent limitatives. Enfin, la situation des conseillers moraux et délégués laïques n’est pas visées par le Code judiciaire et appellerait sans doute une modification législative de mise en conformité avec la Constitution. Le statut des moines bouddhistes belges semble demeurer tout aussi incertain.

Voy. les modifications apportées à la composition des jurys par les articles 223 et 224 du Code judiciaire, tels que modifiés par la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises, et nos commentaires.

Une Circulaire du 11 janvier 2013, relative à l’établissement des listes de jurés (M.B. 15 janvier 2013) remplace la Circulaire du 24 décembre 2008 en étendant l’exclusion de la liste des jurés  aux « délégués »  de l’Union bouddhique belge, reconnue par l’article 139 de la loi du 24 juillet 2008 portant des dispositions diverses (I) (Moniteur belge 7 août 2008). La circulaire vise plus généralement les cultes « dont la reconnaissance résulte, même implicitement, de la loi ». La nouvelle circulaire continue toutefois à repliquer la définition obsolète de la notion de ministre du culte.



1...1112131415

ABRESCH ' INFOS |
Bivu |
animeaux |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | essai n°1
| Vivre et décider ensemble
| recitsdautrefois