Abus sexuels en relation pastorale 2014

Abus sexuels en relation pastorale 2014 dans Abus commission_abus_eveques

Le Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuel a rendu public son deuxième rapport en mars 2014. Il vient d’être publié sur le site de la Chambre des Représentants et sur celui du centre.

On se limite ici à relever la chronologie de ce qui est devenu une crise en Belgique depuis le printemps 2010, et à fournir une bibliographie sélective sur le sujet.

Cette crise concerne certainement l’ampleur des révélations des cas d’abus, jusque là modérée à la différence d’autres pays comme les Etats-Unis ou l’Irlande. On estime aujourd’hui que 2 à 4 % du clergé en fonction depuis une soixantaine d’années devraient être statistiquement concernés. 96 à 98 % de ce clergé demeurant indemne de tels abus. Font cependant aussi controverse les modalités de réactions des autorités ecclésiastiques, quant au type de sanctions envers les abuseurs, quant au type de prise en compte des victimes et quant aux relations avec la justice civile. Prenant la succession d’une commission intra-ecclésiale (1999-2010), un Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuel a été crée à l’initiative conjointe de l’Eglise catholique et d’une Commission spéciale du Parlement belge, avec l’appui de la Fondation Roi Baudouin, en vue de reconnaître et d’indemniser les victimes d’infractions frappées par la prescription.

Chronologie d’une crise sur les abus sexuels par le clergé en Belgique

1998 – Procès en responsabilité civile sans faute contre l’Archevêque de Malines-Bruxelles et son évêque auxiliaire, attaqués au titre de commettants d’un prêtre abuseur. Par arrêt du 25 septembre 1998, la Cour d’appel de Bruxelles estime inapplicable l’article 1384 à ce type de relation religieuse. Un Evêque catholique n’est pas « commettant » de ses prêtres au sens du Code civil belge.

1999 – La Conférence épiscopale de Belgique met en place un téléphone vert et une « Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuel commis dans le cadre de relations pastorales ». Cette Commission interdisciplinaire et indépendante de l’Episcopat, a pour rôle de conseiller les autorités religieuses sur les suites à donner après vérification de la crédibilité de la plainte.

2001 – Le Saint-Siège édicte une nouvelle réglementation canonique sur le traitement des cas d’abus sexuels sur mineur par des prêtres – le délai de prescription est porté de cinq ans à dix ans, le point de départ n’étant plus la date de la commission du délit, mais la date de la majorité de la victime

1999-2009 – Une trentaine de cas, la plupart prescrits en droit belge, sont communiqués à la Commission interdiocésaine. Ces cas anciens et compliqués trouvent pour la plupart une issue. Certains dossiers demeurent en suspens. La Commission s’interroge sur son utilité. Son deuxième mandat s’achève par une démission collective.

Juin 2009 – mars 2010 – Un Groupe de travail prépare le renouvellement de la Commission. Un nouveau président est désigné, le Professeur Adriaenssens, pédopsychiatre à la KULeuven. De nouveaux collaborateurs bénévoles rallient la Commission nouvelle.

Avril 2010 – Démission de l’Evêque de Bruges, en aveu d’abus sexuels sur mineur, commis 24 ans auparavant sur un membre de sa famille — vive émotion populaire — la presse investigue et publie durant plusieurs semaines — le nouvel Archevêque de Malines-Bruxelles appelle les fidèles à faire connaître tout abus qu’ils auraient subis — plusieurs centaines de cas vont être portés à la connaissance de la Commission interdiocésaine nouvelle

Mai 2010 – Le Ministre belge de la Justice indique la nécessité d’une coopération avec les Parquets – Le Collège des Procureurs généraux délimite strictement les procédures d’interactions avec la Commission interdiocésaine

24 juin 2010 – Sur mandat d’un juge d’instruction, l’ensemble des dossiers en cours au sein de la Commission interdiocésaine sont saisis, ainsi que les ordinateurs de l’Archevêché.

29 juin 2010 - Démission du Président puis des membres  de la Commission interdiocésaine

Juillet 2010 – le président de la Commission interdiocésaine et l’ancien Archevêque de Malines-Bruxelles entendus par la Police judiciaire – nombreuses fuites de presse et démentis des autorités judiciaires

Juillet 2010 – le Saint-Siège édicte de nouvelles normes concernant les poursuites contre les abus sexuels du clergé – une enquête préliminaire prévoyant la notification à la justice civile – une procédure canonique accélérée et une prescription portée à 20 ans à partir de l’accession de la victime à la majorité

13 août 2010 – la Chambre des mises en accusation de Bruxelles invalide la saisie collective des dossiers de la Commission interdiocésaine, réalisée le 24 juin.

27 août 2010 – introduction d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Chambre des mises en accusation par un groupe de victimes

28 août 2010 – le Ministre de la Justice estime nécessaire la mise en place d’une nouvelle Commission interdiocésaine en vue d’assumer la restitution des dossiers invalidement saisis et de reprendre sa mission

31 août 2010 – ouverture d’une instruction judiciaire pour violation du secret de l’instruction judiciaire

10 septembre 2010 – le président de la Commission interdiocésaine démissionnaire rend public le rapport de la Commission comportant notamment les récits anonymisés de plus d’une centaine de victimes qui ont consenti à cette publication, diverses analyses statistiques et des recommandations.

13 septembre 2010 – la Conférence épiscopale annonce la mise sur pied d’une cellule de soutien aux victimes

17 septembre 2010 — la Commission de la Justice de la Chambre des Représentants interpelle le Ministre de la Justice. Diverses formes de commissions d’enquête sont discutées.

12 octobre 2010 — la Cour de cassation casse pour raison de procédure les décisions de la Chambre des mises en accusation annulant les perquisitions et renvoie l’affaire pour un nouveau jugement sur la validité des perquisitions.

20 octobre 2010 — la Conférence épiscopale renonce au projet d’un centre ecclésial spécifique pour l’aide aux victime  : « (…) Nous ne souhaitons pas la mise sur pied d’une nouvelle commission pour succéder à la précédente qui s’est vue contrainte de mettre un terme à ses travaux. Initialement, nous avions pensé créer un comité ou un centre où des personnes compétentes gèreraient ce problème au nom de l’Eglise. Mais cette éventualité a été abandonnée. Le bien-fondé de la plainte et les conséquences de ces faits, demeurent l’affaire du pouvoir judiciaire. En tant qu’Eglise, nous avons une responsabilité pastorale spécifique. En premier lieu, vis-à-vis des victimes. Elles seront entendues au niveau de chaque diocèse ou du supérieur majeur concerné ; leurs attentes seront prises en considération dans toute la mesure du possible. Il nous faut aussi prendre nos responsabilités vis-à-vis des auteurs conformément au droit canonique. Nous prenons actuellement des mesures disciplinaires et chaque dossier sera aussi transmis à Rome en attendant une mesure disciplinaire définitive (…). » (Voir le communiqué intégral sur www.catho.be)

28 octobre 2010 — Création par la Chambre des Représentants (Parlement belge) d’une « Commission spéciale relative au traitement des faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Eglise » (document)

19 novembre 2010 — Premier rapport parlementaire des auditions relatives à la Commission Adriaenssens (document)

21 décembre 2010 —Rejet d’une demande de récusation du Juge d’instruction émanant de l’avocat de l’Eglise catholique

22 décembre 2010 — Sur renvoi après cassation, la Chambre des mises en accusation de Bruxelles décide à nouveau d’invalider les perquisitions des dossiers de la Commission interdiocésaine, mais valide les perquisitions au domicile du Cardinal Danneels.

30 mars 2011 — La Commission parlementaire adopte à l’unanimité son rapport final de près de 500 pages. 70 recommandations sont formulées

25 avril 2012 - Un Centre d’arbitrage pour abus sexuel est créé à l’initiative conjointe de l’Eglise catholique et avec l’appui de la Fondation Roi Baudouin. Un Comité scientifique validé par le Parlement et l’Eglise catholique a désigné une Chambre d’arbitrage permanente, dont la composition est pluridisciplinaire et respecte les équilibres linguistique, philosophique et de genre. La Chambre permanente transmet le dossier à un collège arbitral dont les trois membres sont choisis par les parties sur des listes établies par le Comité scientifique

31 octobre 2012 – date butoir pour la saisine du Centre par les victimes d’affaires frappées par la prescription : 621 requêtes enregistrées

4 mars 2013 - Premier rapport annuel

10 mars 2014Deuxième rapport annuel : 264 conciliations réalisées en tout et 27 désistements; des indemnités forfaitaires pour un montant de 1.406.251 euro; 3/4 des victimes sont des garçons, majoritairement néerlandophones.

Bibliographie

  • BEAL, J.P., « At the crossroads of two laws. Some reflections on the influence of secular law on the Church’s response to clergy sexual abuse in the United States », Louvain Studies, 2000, pp. 99-121.
  • BORRAS, A., « Droit canonique, abus sexuels et délits réservés », Vie Consacrée , 2003, pp. 76-99.
  • CHRISTIANS, L-L. “L’expérience de dispositifs canoniques spécifiques face aux cas de délits sexuels du clergé”, SCHOUPPE, J.P. (ed.), Vingt-cinq ans après le Code. Le droit canon en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 239-257.
  • DEMASURE, K., « Pedofilie en Kerk. Een verkenning van de problematiek », Collationes, 1999/2.
  • DEMASURE, K., Verdwaald tussen liefde, macht en schuld. Pastoalre begeleiding bij seksueel misbruik van kinderen, Leuven, Peeters, 2004, 460 pp.
  • Dijon, X., “L’Eglise de Belgique dans la tourmente pédophile. Quels lieux pour la justice  ?”, Nouvelle revue théologique (Bruxelles), octobre-décembre 2010, pp. 607-619.
  • JENKINS, P., Pedophiles and priests : anatomy of a contemporary crisis, Oxford, Oxford Univ. Press, 1996.
  • MARTENS, K.,  » L’Eglise et la justice belge dans les affaires de moeurs », Studia canonica, 2009, 43, pp. 5-25.
  • MARTENS, K., « Les délits les plus graves réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la foi », Revue de droit canonique (Strasbourg) 2009, 56.
  • PLANTE, T.G. (ed.), Bless me father for I have sinned : Perspectives on sexual abuse committed by Roman Catholic priests, Westport, Praeger, 1999.
  • TERRY, K.J., ‘The Nature and Scope of Child Sexual Abuse in the Catholic Church », Criminal Justice and Behavior, May 2008, vol. 35, pp. 549-569.
  • Web : le site spécial du Saint Siège
  • Web : le site spécial de la Conférence des Evêques des Etats-Unis
  • Web : dossier spécial « L’Eglise belge, la pédophilie et la Justice » de l’Institut d’étude sur la Justice : justice-en-ligne
  • Web : minisite.catho.be consacré à la Commission parlementaire « Abus »
  • Web : situation comparative en Europe sur Wikipedia

Les débats juridiques belges sur la responsabilité civile des autorités religieuses

  • BARNABE, « Poursuites correctionnelles et personne civilement responsable. La lutte contre la pédophilie en milieu ecclésiastique serait-elle trop importante pour être confiée à l’Eglise ?. Chronique judiciaire, Journal des tribunaux, 11 mars 2000, p. 200
  • CHRISTIANS, L.L., « L’autorité religieuse entre stéréotype napoléonien et exégèse canonique : l’absence de responsabilité objective de l’évêque pour son clergé en droit belge », Quaderni di diritto e politica ecclesiastica (Univ. Milan)., 2000/3, pp. 951-966 pdf dans Catholicisme pdf
  • EVRARD, A., « Prêtres et évêques devant les tribunaux. Examen des responsabilités pénales et civiles à partir du droit belge », Nouvelle revue théologique, 2001, pp. 258-268
  • FAGNART, J.-L., “L’évêque répond-il des actes illicites commis par un curé ?”, note sous Bruxelles, 25 septembre 1998, Journal des Procès, 1998, n°357, pp. 24-31.
  • GLANSDORFF, F., « Eglise, pédophilie et droit de la responsabilité civile », sur Justice-en-ligne, décembre 2010 – Voy. aussi l’interview du Professeur Fr. Glansdorff  (ULB), dans La Libre Belgique du 29 décembre 2010
  • MESSINE, J. & F., « L’action civile de la victime contre le commettant de l’auteur de l’infraction », note sous corr. Bruxelles, 9 avril 1998, Journal des procès , 1998, n° 348, pp. 22-31
  • TOUSSAINT, Ph., « L’insupportable tranquillité. A propos de la décision du tribunal correctionnel de Bruxelles du 9 avril 1998″, Journal des procès, 1998, n°347, p. 4-5
  • TOUSSAINT, Ph., « Le cardinal, le curé et le silence », Journal des procès, 1998, n°343, p. 6
  • VAN OEVELEN, A., « Die civielrechtelijke aansprakelikheid van de bisschop voor het optreden van zijn priesters en pastorale medewerk(st)ers », MARTENS, K. (ed.), Verantwoordelijkheid en aansprakelijkheid van de diocesane bisschop, Leuven, Peeters, 2003, pp. 81-101
  • VERVLIET, L., « Eglise et responsabilité », Intercontact, Bruxelles, 1998/3, p. 81
  • VERVLIET, L., « L’Eglise et l’Etat en Belgique en 1998″, European Journal for Church and State Research, 1999, pp.1-11

 

 

  



Le mariage religieux scientologue

Couple in UK’s first Scientology church wedding

Le mariage scientologue reconnu comme forme religieuse du mariage
par la Cour suprême du Royaume-Uni

La plus haute juridiction du Royaume-Uni – la Cour suprême – a reconnu l’Eglise de scientologie comme étant une religion, apte à célébrer des mariages à effets civils, dans un arrêt du 11 décembre 2013 : Supreme Court of UK, R (on the application of Hodkin and another) (Appellants) v Registrar General of Births, Deaths and Marriages (Respondent), 11 December 2013, disponible ici.

En l’espèce, une jeune femme scientologue de vingt-cinq ans souhaitait se marier dans une chapelle appartenant à l’Eglise de scientologie et, dès lors, profiter de ce que le droit anglais, comme tous les droits anglo-saxons, octroie des effets civils aux célébrations religieuses de mariage, du moins à certaines conditions d’enregistrement. Partant, le mariage religieux de la jeune femme avec son fiancé – également scientologue – aurait suffit à ce qu’ils soient considérés comme civilement unis. Toutefois, le couple dut faire face à une difficulté majeure : l’officier d’état civil refusait que des effets civils soient accordés à ce mariage scientologue. Le couple s’était alors pourvu en justice, mais avait été débouté par les juridictions de fond.

L’arrêt de la Cour suprême anglaise de ce 11 décembre 2013 marque un tournant important dans l’histoire de l’Eglise de scientologie puisque la Cour a réformé la décision qui avait été adoptée par la cour d’appel et qui avait donné tort aux requérants en indiquant qu’une Eglise de scientologie n’était pas un lieu où pouvait être exercée la liberté de religion au sens de la loi anglaise de 1855 relative à l’enregistrement des lieux de culte.

A l’unanimité, la Cour suprême a jugé que la décision prise par la cour d’appel procédait d’une interprétation implicitement théiste de la religion, dans la mesure où la cour exigeait qu’il existe une référence à Dieu pour que la qualification de « religion » soit admise. Or, la Cour suprême indique qu’aucune définition de la religion n’est unanimement admise en droit anglais et ce, vu la grande diversité des religions et croyances. Dès lors, selon la Cour suprême, l’Eglise de scientologie peut être considérée comme une religion. En effet, sans exiger de référence à un Dieu, la Scientologie implique tout de même la croyance en une « nature abstraire et impersonnelle », précise la Cour. En ce sens, confiner la religion à la seule référence divine reviendrait également à exclure d’autres religions ou confessions, telles le bouddhisme et l’hindouisme.

Et en droit belge ?

La décision de la Cour suprême du Royaume-Uni semble ainsi fortement contraster avec la méfiance témoignée à l’égard de l’Eglise de scientologie dans bon nombre d’Etats d’Europe continentale, à l’instar de l’Allemagne, la France ou la Belgique. Ainsi, la Cour de cassation de France a, par un arrêt du 16 octobre 2013, confirmé la décision qui avait été rendue par la Cour d’appel de Paris le 2 février 2013 et avait entériné la condamnation de deux organisations scientologues au paiement respectif de 200.000 et 400.000 euros. Ce faisant, la Cour de cassation française a rendu définitive la condamnation pénale de l’Eglise de Scientologie pour escroquerie en bande organisée. Notons cependant que les deux organisations scientologues françaises n’entendent pas en rester là et qu’elles ont introduit un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

En Belgique, le parquet fédéral a entamé depuis plusieurs années diverses poursuites à l’encontre de l’Eglise de scientologie en tant qu’organisation criminelle mais également pour escroquerie et pratique illégale de la médecine. A cet égard, l’on se souviendra que l’Eglise de scientologie fut citée par la Commission d’enquête parlementaire mise en place pour « élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge ». Parmi les faits qui lui étaient reprochés dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, figuraient notamment les prêts personnels contractés par les membres – parfois à hauteur de montants exorbitants – pour suivre les formations proposées par l’Eglise, mais également l’existence de séances de « purification », le prosélytisme ou encore les travaux intensifs (Rapport fait au nom de la Commission d’enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, n°317/7-95-96).

L’on notera également que l’ASBL Eglise de scientologie de Belgique a perdu un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme le 27 aout 2013 et plus récemment devant de la Cour constitutionnelle à l’encontre de la loi du 26 novembre 2011 « modifiant et complétant le Code pénal en vue d’incriminer l’abus de la situation de faiblesse des personnes et d’étendre la protection pénale des personnes vulnérables contre la maltraitance ». L’ASBL Eglise de scientologie, partie intervenante, considérait avoir un intérêt suffisant pour attaquer la loi en question, dans la mesure où elle avait été « désignée comme secte »  par le rapport de la Commission d’enquête susmentionnée. Bien que contesté par le Conseil des Ministres, l’intérêt au recours de l’ASBL Eglise de scientologie fut confirmé par la Cour constitutionnelle par un arrêt du 7 novembre 2013. A l’occasion de cet arrêt, la Cour  a rejeté les différents recours en annulation introduits à l’encontre de la loi du 26 novembre 2011 et a ainsi validé l’insertion d’un article 442 quater dans le Code pénal. Désormais, sera donc puni d’une peine d’un mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende de cent euros à mille euros ou d’une de ces peines seulement « quiconque aura, alors qu’il connaissait la situation de faiblesse physique ou psychique d’une personne, altérant gravement la capacité de discernement de cette personne, frauduleusement abusé de cette faiblesse pour conduire cette personne à un acte ou à une abstention portant gravement atteinte à son intégrité physique ou mentale ou à son patrimoine ».

Sans se demander si un mariage pourrait en venir à constituer un tel abus, il reste à s’interroger de façon plus générale sur le statut en Belgique d’un mariage scientologue, dès lors qu’il serait entendu comme « mariage » et comme « religieux ». Si le droit belge n’attribue en principe aucun effet civil à un mariage religieux célébré sur le territoire, deux questions s’ouvrent à la suite de la décision de la Cour suprême britannique : d’une part, quel serait l’effet en Belgique du mariage scientologue célébré en Angleterre, par un couple anglais ou par un couple belge; d’autre part, sur territoire belge, l’article 267 du Code pénal s’appliquera-t-il au mariage scientologue qui serait célébré sans mariage civil antérieur ?

Lorsqu’il reconnaît un effet civil délégué aux célébrations religieuses, le Royaume-Uni n’effectue à l’heure actuelle aucun contrôle d’ordre public sur l’auteur de la forme du mariage. Comme le rappelle la Cour Suprême, la question est celle du concept de religion, et non d’éventuelles dérives pénales extrinsèques. Quant au fond du mariage, il demeure en toute hypothèse soumis au droit britannique, voire à ses règles de droit international privé. Dès lors que la Belgique soumet la forme du mariage à la loi du lieu de célébration, il n’y aura en principe aucun obstacle à ce que la forme scientologue britannique, validée en droit anglais, se voit reconnue en Belgique, même au bénéfice de belges mariés en Angleterre hors fraude à la loi.

Quant à une célébration sur territoire belge, l’article 267 du code pénal frappe indistinctement «  tout ministre d’un culte qui procédera à la bénédiction nuptiale avant la célébration du mariage civil », sans se limiter aux cultes reconnus. L’infraction n’exclut nullement les groupes qui seraient minoritaires, voire socialement contestés, ni les pratiques rituelles matrimoniales spécifiques, qu’elles soient strictement ou non liées aux formes de « bénédiction » des grandes traditions religieuses.  La jurisprudence a par ailleurs montré dès l’origine une tendance à interpréter largement la notion de « bénédiction » (malgré la nature pénale du texte) : ainsi, pour assimiler au concept de « bénédiction » la simple inscription dans un registre religieux (voy. notamment Cass. 26 décembre 1876, Pas. 1877, I, 46, et en ce sens la réponse de la Ministre de la Justice au Sénat, le 13 octobre 2005, à une demande d’explications de M. Joris Van Hauthem sur «la notion de mariage religieux», nº 3-998, Annales, Sénat, 3-127).  En revanche, c’est bien la notion de « ministre d’un culte » qui cerne l’auteur de l’infraction. En va-t-il ainsi des ministres de la Scientologie, par analogie avec les positions de la Cour suprême du Royaume-Uni ? Des indices semblent attester en Belgique d’une interprétation large sur ce point également. Ainsi, depuis 1993, certains Parquets belges ont estimé cette disposition applicable aux rites laïques de mariage, dès lors que ceux-ci ne se déploieraient pas de façon nettement postérieure à la cérémonie civile. Le raisonnement sous-jacent est d’assimiler, suite à leur égale inscription dans la Constitution, organisations philosophiques non confessionnelles et cultes. La reconnaissance publique, non exigée par l’art. 267, constituait en l’occurrence le facteur d’assimilation des figures de délégués laïques et de ministres des cultes, sans poser la question du rapport à la divinité. Saisie à la Chambre d’une question sur l’opportunité de telles poursuites, la Ministre de la Justice a répondu le 13 novembre 2003 que la simple présence d’un délégué laïque durant la cérémonie civile n’emportait pas à ses yeux infraction à l’art. 267 (Compte-rendu analytique, Chambre des Représentants, Commission de la Justice, CRABV 51 COM 056 p. 17). Il en irait donc de même de la simple présence d’un ministre d’un culte, y compris scientologue, dans la salle communale des mariages ?

A défaut de reconnaissance légale, la notion de culte se définit en référence raisonnable à l’usage populaire et au sens courant, qui contribuent ainsi à façonner une compréhension locale des différents mouvements. Mais comment y articuler des considérations nées en d’autres lieux ? Sans que les jurisprudences des autres Etats européens puissent avoir une influence directe sur la qualification belge du mariage scientologue, il est certain qu’elles contribuent à influencer une appréciation factuelle des mouvements transnationaux. A défaut d’établir que les pratiques belges de la Scientologie seraient de nature ou de perception radicalement différentes, l’assimilation à une religion et à un mariage religieux, réalisée dans un Etat étranger, sans avoir d’effets de droit transfrontières, pourrait renforcer certaines appréciations probatoires factuelles en Belgique…

Stéphanie WATTIER
Aspirante du F.N.R.S. à l’UCL

Pour aller plus loin

  • CRANMER, F., « UKSC holds that the activities of the Church of Scientology are religious », Law & Religion UK, Posted on 11/12/2013.
  • CLESSE Ch.-E., DE POOTER, P., « Des délits commis par les ministres du culte dans l’exercice de leur ministère » [267 et 268 CP], in Les infractions -Volume 5 – Les infractions contre l’ordre public, Sous la direction de Henri-D. Bosly, Christian De Valkeneer, Larcier, 2012, 417-425.
  • COLELLA, P., « La disciplina di « Scientology » nell’ordinamento italiano », Giurisprudenza italiana, 2000, fasc. 12 (dicembre), 2446.
  • GONZALEZ, G., « Quelle liberté de religion et d’association pour l’église de scientologie? CourEDH Eglise moscovite de scientologie c. Russie, 5 avril 2007″, Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2007, 1137.
  • HELTON, A.C., MUNKER, J., « Religion and persecution: should the United States provide refuge to German Scientologists? », International Journal of Refugee Law 11 (2), 1999: 310-328.
  • HORWITZ, P., « Scientology In Court: A Comparative Analysis And Some Thoughts On Selected Issues In Law And Religion », 1997, 47 DePaul L. Rev. 85.
  • MUCKEL, S., « The « Church of Scientology » under German law on church and state », German Yearbook of International Law, 41, 1998, 299-316.
  • ONIDA, F., « Nuove problematiche religiose per gli ordinamenti laici contemporanei : Scientology e il concetto giuridica di religione », Quaderni di diritto e politica ecclesiastica, 1998, 1, 279-295.
  • NICHOLS, J.A. (ed.), Marriage and Divorce in a Multicultural Context: Reconsidering the Boundaries of Civil Law and Religion, Cambridge University Press, 2012.
  • ROME, F., « Scientologie: apocalypse now ? », Recueil Dalloz, 2012, 345.
  • THUSING, G., « Ist Scientology ein Religionsgemeinschaft?  Rechtsvergleichende Gedanken zu einer umstrittenen Frage », Zeitschrift fur Evangelisches Kirchenrecht, 2000, 4, 592-621
  • ZUCCA, L., « Is Scientology a Religion? Religious Marriage and the UK Supreme Court’s Landmark Decision Hodkin v Registrar (December 9, 2013) », SSRN: http://ssrn.com/abstract=2365308


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