Une citoyenneté en dialogue

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Les enjeux du vivre-ensemble dans les écoles (religions, morale et citoyenneté)

Le samedi 3 octobre, un colloque interdisciplinaire sur un thème d’actualité a été organisé par l’UCL, devant un vaste public de plus de 250 personnes : « les enjeux du vivre-ensemble dans les écoles (religions, morale et citoyenneté) ». L’enjeu de ce colloque a clairement été exprimé : mieux objectiver un débat étonnamment peu documenté, que ce soit en pédagogie, en sociologie, ou encore en psychologie. Beaucoup de stéréotypes continuent à parasiter l’arrière-plan d’une évolution pourtant consensuelle. L’ensemble des acteurs souscrivent à l’idée de construire une citoyenneté ouverte, responsable et critique, ce que confirmaient les témoignages et analyses de plusieurs professeurs de religion (catholique et islamique) et de morale. Seuls les moyens différent pour en assurer une réelle ouverture réflexive, sans ni capture ni exclusion. Loin d’une querelle de slogans, le colloque en a appelé à une démarche mieux instruite et moins émotionnelle.

Que sait-on exactement des modalités d’enseignement des religions et de la morale ? A-t-on mesuré les impacts des spécificités pédagogiques déployées sur le terrain, et en profonde mutation depuis des années ? A-t-on pris la mesure de la littérature internationale en psycho-pédagogie qui compare les modalités d’enseignement de l’interreligieux et de la citoyenneté, notamment dans les 43 Etats du Conseil de l’Europe qui (sur 47) demeurent explicitement attachés à une intégration de la citoyenneté et de la diversité des convictions ? Une enquête auprès de plusieurs millers d’enfants en Communauté française, menée en 2014-2015 par le laboratoire UCL du GRER (Prof. H. Derroitte) a été présentée et comparée à des enquêtes similaires menées par les plus grandes universités européennes, sur base de projets financés par la Commission européenne, et exposés par le Prof. B. Roebben (Univ. de Dortmund). Ces enquêtes fournissent une image en temps réel des mutations en cours, bien plus précise que certaines caricatures. Le Professeur Olivier Servais, anthropologue, accentuait encore cette nécessité d’une mesure réelle des postures des nouvelles générations d’élèves, notamment dans leur rapport délégitimateur envers l’espace scolaire et institutionnel.

Les Professeurs de droit Louis-Leon Christians et Xavier Delgrange ont rappelé quant à eux les nombreuses approximations juridiques qui demeurent dans le débat public. Ainsi combien l’inscription d’un jeune à un cours philosophique n’est en rien, selon les positions-mêmes du Conseil d’Etat, l’aveu de sa conviction propre. Ils ont rappelé aussi combien, selon la Cour européenne, l’existence de deux réseaux d’enseignement sont le signe d’un pluralisme qui s’exerce. Cette même Cour, à travers plus d’une vingtaine d’arrêts, souvent méconnus, rappelle qu’il existe différentes manières d’arriver à la pratique de la « neutralité » dans l’enseignement. Elle s’oppose à toute forme d’endoctrinement, mais requiert outre la citoyenneté, l’enseignement du fait religieux.

Le Professeur Laurent de Briey, grâce à sa réflexion de philosophie politique engagée, a montré combien l’on doit passer du concept de neutralité, dont il a montré les avatars actuels, au concept de bienveillance qui permet de rencontrer en vérité chaque religion – chaque conviction – qui nous est étrangère.

Avec le Professeur et sociologue Jean De Munck, le nombreux public s’est posé la question de savoir si la « neutralité » est une condition de l’objectivité, comme le législateur aimerait qu’il en soit. Selon J. De Munck, l’objectivité est « un problème, plutôt qu’une solution ». Le Professeur De Munck a pointé qu’aux yeux du sociologue, éprouvés par les leurres de l’histoire, la neutralité est un moment méthodologique (le chercheur peut tenter de rester neutre dans l’analyse d’un fait de société) et non une finalité de la connaissance (la sociologie étant en effet la production d’un savoir critique et, partant, non neutre). Il a notamment mis en évidence les matrices d’une culture scolaire qui façonne inéluctablement les savoirs et appelle une démarche critique qui n’exclut pas nos démocraties elles-mêmes. Tandis que les enquêtes sociologiques montrent l’évolution auto-critique dont peuvent être capables les cours philosophiques (ce que le professeur Benoît Bourgine a confirmé au sein même de la théologie chrétienne contemporaine), pourra-t-on éviter qu’un cours de citoyenneté ne soit qu’un nouveau catéchisme civil, prompt à supprimer toute approche critique du pouvoir ou de la culture dominante ? J. De Munck présente la validité du discours religieux, comme celui-là même de la citoyenneté, comme dépendant du jeu alterné entre la position d’observateur et celle de participant. Or, le cours de citoyenneté est présenté aujourd’hui comme « le point de certitude dans un monde d’incertitudes maximales » (dont feraient partie les religions). Nous « croyons » en effet aujourd’hui aux Droits de l’homme et à la Citoyenneté. Ces réalités sont « sûres ». Pourtant, le champ de la Citoyenneté est, selon l’orateur, aussi troublé que le champ du religieux. Il est l’objet d’un programme civique déjà ancien (dès la 3e République en France). Mais aujourd’hui, quel contenu exact donner à ce cours, se demande J. De Munck ? « Je crains, dira-t-il, l’apparition d’un catéchisme d’Etat, fondé sur les abstractions des Droits de l’homme, sans cesse répétées comme une litanie, pour résoudre tous nos problèmes de société. Alors même qu’aucune de ces abstractions ne détermine par elle-même une solution à ces problèmes. » La Citoyenneté n’échappe pas à cette question du sens et de la validité de ses contenus. Mais c’est en faisant le détour par l’Histoire que la Citoyenneté trouvera sa validité : l’histoire de la Citoyenneté est en effet un passage par des épreuves, des réussites et de fracassants échecs. Tel est le programme que le Professeur De Munck s’est permis de suggérer. Son exposé, abrégé par le temps, a reçu une véritable ovation.

Marc Deltour

Web : http://www.uclouvain.be/515138.html

Voy. aussi Cathobel



Une dispense non dispensatoire

Coursreligion

 

La publicité francophone sur la dispense des cours de morale inspirée de l’esprit de libre examen  (et de religions reconnues)

La Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 12 mars 2015, après avoir relevé ce qu’elle estime être une perte de neutralité du cours de morale, énonce que « (B.7.1) Dans cette situation, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme précitée que, pour que soit assuré le droit des parents à ce que leurs enfants ne soient pas confrontés à des conflits entre l’éducation religieuse ou morale donnée par l’école et les convictions religieuses ou philosophiques des parents, les élèves doivent pouvoir être dispensés de l’assistance au cours de religion ou de morale. B.7.2. En outre, afin de protéger leur droit à ne pas divulguer leurs convictions religieuses ou philosophiques, qui relèvent avant tout du for intérieur de chacun (CEDH, 9 octobre 2007, Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, § 73), la démarche à accomplir en vue d’obtenir cette dispense ne pourrait imposer aux parents de motiver leur demande de dispense et de dévoiler ainsi leurs convictions religieuses ou philosophiques (CEDH, 9 octobre 2007, Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, § 76; 16 septembre 2014, Mansur Yalçin et autres c. Turquie, §§ 76-77). »

On rappellera encore que l’arrêt ne concerne que les régimes scolaires soumis ou adhérents au Décret neutralité du 30 mars 1994, validant de iure un « cours de morale inspirée de l’esprit de libre examen ». Il n’en va pas de même des régimes soumis au décret du 17 décembre 2003, exempts de l’arrêt dès lors qu’ils s’en tiennent à un cours de morale « non confessionnelle ». La dispense n’est dès lors pas à ce jour nécessaire pour ces derniers régimes, à défaut de toute position nouvelle du Conseil d’Etat concernant leur contenu de facto.

Le choix des cours de religions ou morale ne révèle pas les convictions : position constante du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle

Dans son raisonnement la Cour ne remet pas en cause le caractère en principe obligatoire des cours philosophiques. Elle ne les transforme pas en cours facultatifs, mais prévoit la possibilité, par exception, d’une « démarche à accomplir en vue d’obtenir une dispense ». C’est cette démarche que la Cour entend « immuniser contre le dévoilement des convictions religieuses ou philosophiques ». A contrario, laissant subsister le système des cours philosophiques, la Cour confirme une jurisprudence constante du Conseil d’Etat selon laquelle le choix d’un cours de religion n’implique per se aucune révélation des convictions intimes des parents ou de leurs enfants. Le choix des cours est de nature purement cognitif, et n’implique aucune adhésion convictionnelle ni appartenance religieuse. Tous les cours sont ouverts au choix de tous les enfants, quelle que soit leur religion ou conviction.  Le choix d’un des cours reconnus n’est qu’un choix « administratif » ne révélant rien de plus que d’autres choix scolaires. Ainsi, choisir le cours d’anglais plutôt que de néerlandais, n’est pas tenu comme révélateur d’une option politique sur l’avenir de la Belgique ou sur la loyauté démocratique envers un Etat plurilingue, ni sur les origines linguistiques des parents.   La fluctuation des choix des cours philosophiques d’une année à l’autre est un autre indice en croissance : des parents de plus en plus nombreux souhaitant pour leur enfant une connaissance la plus diverse possible des univers de sens qui s’offrent à eux, changent leur enfant de cours. Cela ne signifie en rien qu’ils se convertissent multiplement, ce qui serait certes leur droit, mais qui n’est en rien « révélé » par la fluctuation de leur choix. Voir répéter par le presse que le choix d’un cours de religion ou de morale « révèle des convictions » est une erreur, — et parfois une faute — de communication. C’est en tout cas trahir nettement la position bien circonscrite de la Cour constitutionnelle.

La demande de dispense « non autrement motivée »

Dans ses premiers contentieux, la demande de dispense fut historiquement liée à une révélation des convictions, notamment par des parents adhérant à des cultes non reconnus et qui pour cette raison sollicitaient une exemption et la justifiaient explicitement. C’est ce système de révélation narrative de convictions cette fois intimes des demandeurs qu’entend écarter la Cour constitutionnelle. C’est ce qu’a bien compris la Flandre dès la formalisation du système d’exemption qu’elle a mis en place, sans publicité aucune, au début des années 1990 : les parents demandeurs ne doivent à aucun moment indiquer leurs convictions ou appartenances alternatives qui justifieraient l’exemption de leur enfant. L’exemption flamande s’obtient sur « simple demande non autrement motivée », ce qui n’empêche pas la Flandre d’attendre de la part des parents l’engagement de fournir à leur enfant, pendant une durée similaire, une formation philosophique ou religieuse de leur goût, une fois encore sans obligation ni possibilité d’identifier ce dernier.

L’absence de pression quelconque dans le choix des cours s’étend à la dispense

Au moment où une circulaire 5236 du 15 avril 2015 organise un sondage auprès des parents de l’enseignement public sur les choix qu’ils opéreraient à la rentrée prochaine en vue de préparer les dispositifs qui s’imposeraient selon les flux, la presse fait écho d’une plainte adressée à la Ministre contre un tract de l’association militante FAPEO invitant les parents à systématiquement opter pour l’exemption, en vue notamment d’ « envoyer un signal fort pour une réforme des cours de religion et de morale, plutôt qu’une demande de dispense ». Si la liberté d’expression garantit à chaque association de développer sa propre militance, il en va différemment lorsque cette association écrit également aux directeurs d’établissement en vue de leur faire joindre le tract au formulaire ministériel. Selon le texte de la plainte communiqué par la Presse, il en irait là d’une infraction formelle à la loi du Pacte scolaire, art. 8, obligatoire rappelée par les circulaires : « Conformément à la loi, le choix des parents entre ces cours est entièrement libre. Il est formellement interdit à quiconque d’exercer une pression à cet égard, quelle qu’elle soit. » La Ministre a pris position le 29 avril au Parlement de la Communauté française : « Je travaille volontiers avec la FAPEO, le CECP et le Cpeons mais je ne peux accepter que ces fédérations de pouvoirs organisateurs demandent aux directeurs d’école d’écrire aux parents pour les inciter à opter pour la dispense, en ajoutant que celle-ci renvoie automatiquement vers le cours de citoyenneté alors qu’il est encore dans les limbes. Cette démarche bafoue le principe de neutralité et elle est sanctionnable sur la base de l’article 24 du Pacte scolaire. Les personnes peuvent écoper de peines disciplinaires et les écoles peuvent se voir retirer 5 % de leur subvention. Ce n’est pas nécessairement ce dont j’ai envie. Je n’entends pas, je le répète, me lancer dans une polémique. Demain, quoi qu’il arrive, une nouvelle circulaire sera envoyée aux directeurs pour leur rappeler qu’ils sont obligés de nous retourner le seul et unique formulaire qui leur a été transmis et qu’aucune pression ne peut être exercée à l’égard de quiconque. Nous voulons simplement connaître le nombre de dispenses sollicitées pour pouvoir préparer l’encadrement » (°).

Choix éclairé, mal informé ou désinformé  ? (°)

Recommander le choix de la dispense a fait l’objet d’autres critiques dans la presse et au Parlement pour mésinformation ou du moins manque d’information.  Il apparaît en effet  tant de la Constitution que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ou encore de la pratique flamande et tout simplement de la règlementation de l’obligation scolaire, que les enfants dispensés ne peuvent précisément pas se croire déliés de tout cadre pédagogique ou de tout travail personnel soumis à évaluation et notes de passage. Ils « devront bosser » indique le Journal le Soir. Laisser croire qu’il s’agirait de choisir entre étudier ou paresser, voire quitter l’école, pourrait orienter le choix faussement ou du moins imprudemment, dès lors que seraient tues ou ignorées les conséquences de ce choix. Sur ce point également, la Ministre a confirmé une obligation organisée pour les élèves dispensés (°).

La réinvention d’un dispositif résiduaire neutre

Reste encore à imaginer si les élèves dispensés ne devraient pas suivre un enseignement  spécifique, qui assure à tout le moins les fonctions qui étaient dévolues précédemment au cours de morale non confessionnelle, tenu pour neutre et résiduaire.

Louis-Leon Christians
Professeur à l’UCL – Chaire de droit des religions

(°) Voy. le Débat thématique: «Envoi de la circulaire 5236 de Mme la ministre Milquet sur les cours philosophiques », Parl. Cté Fr., Session 2014-2015, 29 avril 2015, CRI N°13, pp. 26-36, et la réponse de la Ministre : (autres extraits) : (…) « Nous avons simplement indiqué dans le formulaire de l’administration la possibilité d’une dispense. On aurait pu cacher la possibilité d’une telle option, ou l’écrire en caractères minuscules. Non, nous signalons clairement que les enfants qui choisissent cette option auront droit à un encadrement pédagogique dans l’établissement. Il n’était pas possible de décrire en détail dans ce formulaire tout le contenu de cet encadrement, car nous devons respecter l’autonomie des établissements. De plus ce formulaire a été préparé en mars, immédiatement après la publication de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, nous n’avions pas le temps de réfléchir à ce qui pouvait être repris dans cet encadrement. Si nous l’avions détaillé, nous aurions subi les critiques des établissements: nous n’avons pas le personnel, avec quel argent, etc. La seule chose que je tiens à dire maintenant est qu’il y aura un encadrement et que cela ne se limitera pas à de la surveillance. Nous allons trouver une solution qui soit praticable. De toute manière pour prendre une décision, il fallait que les établissements aient une idée du nombre d’élèves qui demanderont cette dispense. Certains semblent se croient revenus soixante ans en arrière, durant la guerre scolaire! Moi, je vis en 2015, je travaille pour l’avenir dans l’ouverture. Il n’y a pas de manipulation, juste une volonté de transparence. Quel que soit le pourcentage de demandes de dispenses, on assumera, que ce soit 50 ou 10 pour cent. Si nous n’avions rien fait, on nous aurait reproché de ne pas prendre à temps les mesures nécessaires. La fable de Lafontaine Le meunier, son fils et l’âne semble toujours d’actualité. Restons rationnels! »



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