Financement des cultes et liberté d’expression

debat deBeukelaer

Financement des cultes et liberté d’expression :
l’État achète-t-il le silence des ministres du culte ?

La liberté d’expression de certains ministres du culte devrait-elle être restreinte en Belgique, dès lors qu’ils bénéficient d’un financement public ?

Dans le cadre d’un récent débat au sujet de l’assouplissement de la loi belge sur l’avortement, la position critique des évêques et d’autres responsables de l’Église de Belgique à ce sujet a en effet conduit certains à considérer qu’une telle prise de parole de membres du clergé était illégitime – voire délictueuse.

Etaient visés en particulier les propos du vicaire général du diocèse de Liège, Eric de Beukelaer, réagissant lui-même à une interview de la députée Sophie Rohonyi (DéFi), selon laquelle les évêques « n’ont pas à s’immiscer » dans les débats sur l’avortement, dès lors qu’il ne s’agirait plus de « débats éthiques, mais [de] questions de santé publique »[1]. E. de Beukelaer considère qu’un tel refus d’admettre la légitimité de la prise de parole des évêques peut être assimilé à une « démocrature soft, qui dénigre la parole à contre-courant pour ne pas devoir affronter le débat de fond »[2], bel et bien éthique, selon lui.

Selon Marc Uyttendaele, avocat et professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles, la prise de position d’Eric de Beukelaer et, plus largement, des évêques, constituerait un délit, au regard de l’article 268 du Code pénal.

Aux termes de cet article, « [seront] punis d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six euros à cinq cents euros, les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ».

Ainsi, selon M. Uyttendaele, cette disposition « interdit à un ministre du culte d’attaquer publiquement une loi. La loi consacre le droit à l’IVG. Le clergé doit s’y soumettre. Ce n’est pas une question éthique, c’est l’État de droit »[3].

Conditions prévues par l’article 268 du Code pénal

L’article en question n’est pas pertinent en l’espèce dans la mesure où était ici visée une proposition de loi en discussion, alors que l’article 268 du Code pénal vise les attaques formulées contre une disposition effectivement adoptée par les autorités (législatives, exécutives, voire judiciaires) et ayant force normative à ce titre. Précisons d’ailleurs que, dans leur communiqué d’avril 2023, les évêques de Belgique se défendaient de vouloir remettre en cause la loi actuelle, insistant sur le fait que « le législateur s’est préoccupé jusqu’à présent de trouver un équilibre entre la protection de la vie à naître et l’autodétermination de la femme enceinte »[4].

Par ailleurs, en requérant la présence d’un « discours » prononcé « en assemblée publique », « dans l’exercice » de leur ministère, le Code pénal vise en particulier les propos publics tenus « en chaire » par le ministre du culte, et non un simple écrit[5].

Enfin, dans l’hypothèse où les conditions précédemment évoquées sont satisfaites, il reste à démontrer l’existence de l’élément intentionnel de l’infraction, consistant en la volonté d’« attaquer directement » les autorités publiques ou l’une de leurs décisions. Dans l’interprétation de cette dernière condition, une attention est portée aux effets d’une telle attaque sur la confiance des fidèles en l’acte ou l’autorité en question[6].

Une disposition obsolète et inconstitutionnelle ?

Plus largement, il convient d’interpréter cette disposition au regard du contexte entourant son adoption, à la fin du XIXe siècle. Celui-ci est marqué par la volonté de réduire l’influence politique – alors notable – des ministres du culte, en particulier catholique, sur l’opinion publique[7]. Dans la société largement sécularisée du XXIe siècle, tel n’est manifestement plus le cas, de telle sorte que de nombreux auteurs considèrent que cette disposition apparaît à tout le moins non pertinente, voire carrément contraire à la Constitution[8].

Conçue initialement comme une dérogation à l’article 19 de la Constitution belge consacrant à la liberté de culte et d’opinion, la restriction de ces libertés fondamentales prévue à l’article 268 du Code pénal semble en effet difficilement justifiable aujourd’hui, tant du point de vue de la Constitution belge que de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’invocation de l’article 268 du Code pénal par M. Uyttendaele rappelle une intervention similaire en février 2006, par Michel Magits (alors président de l’Unie Vrijzinnige Verenigingen, pendant néerlandophone du Centre d’action laïque), considérant que l’homélie de Noël 2005 tenue par le Cardinal Danneels tombait sous le coup de cette disposition pénale, en ce que ce dernier alertait sur les dangers d’une extension de la loi sur l’euthanasie aux personnes atteintes de démence.[9]

Financement public et liberté d’expression des ministres du culte

Au-delà de la (non-)application de cette disposition pénale au cas d’espèce, la restriction de la liberté d’expression des ministres du culte serait justifiée, selon d’aucuns, par le financement public dont ceux-ci bénéficieraient (dans le cas où ils sont membres d’un culte reconnu).

À l’occasion d’une après-midi d’étude tenue à l’Académie royale de Belgique au sujet des droits fondamentaux, M. Uyttendaele précise en effet sa pensée en indiquant qu’on « ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre », autrement dit, qu’on « ne peut pas à la fois bénéficier d’un système de financement des cultes et en même temps critiquer l’état des droits » : selon lui, il serait « malvenu que des ministres du culte, payés avec l’argent de tous, prennent part à un débat qui fragilise » l’avortement, qu’il considère « dans [sa] subjectivité », comme l’une « des libertés les plus fondamentales des femmes »[10].

Il convient ici de rappeler que la neutralité, en tant que modèle de relation Églises-État ayant court en Belgique, n’implique pas une séparation étanche des sphères religieuse et étatique (au demeurant impossible), mais plutôt une « indépendance réciproque »[11] entre l’État et les tendances et communautés convictionnelles. L’idée de pluralisme joue à cet égard un rôle central.[12] À travers cette notion, est visé le fait que le régime belge inclut certaines formes de reconnaissance et de dialogue avec les courants religieux et philosophiques présents sur le territoire, sur la base d’une conception relativement positive de l’apport de ces courants à la société.[13] La neutralité implique de ce fait certaines formes de dialogue entre les pouvoirs publics et les représentants des religions et philosophies.

Le financement public dont bénéficient certains cultes, de même que l’implication (et le subventionnement) de nombreuses organisations « pilarisées » dans les missions de service public et d’intérêt général, loin de remettre en cause le respect du principe de neutralité, s’inscrivent précisément dans cette conception pluraliste (et plurielle) de la neutralité, y compris sur le plan institutionnel.

Si, en droit, il ne peut être question d’une restriction de la liberté d’expression des ministres du culte et représentants des courants convictionnels comme contrepartie à leur financement, d’aucuns, à l’instar du Nonce apostolique auprès de la Belgique, s’interrogent malgré tout sur l’impact pratique d’un tel financement sur la liberté de parole de l’Église de Belgique, indiquant qu’il n’est « pas certain que cela la rende très libre »[14].

Quelle représentativité pour les représentants des courants convictionnels ?

Au-delà de la légitimité incontestable, sur le plan juridique, d’une prise de parole des représentants religieux dans le débat public, se pose la question de leur représentativité, dans un contexte d’individualisation et de subjectivisation des croyances et convictionnelles personnelles.

En témoigne par exemple l’épisode relatif à la contestation des mesures de restriction de la liberté de culte durant la récente période de confinement : en dépit du fait que les évêques de Belgique, en tant que représentants du culte catholique, n’avaient pas jugé pertinent de remettre en cause la légitimité de ces mesures, un groupe de catholiques a néanmoins choisi de déposer un recours en annulation en la matière.  L’arrêt d’annulation de certaines de ces mesures par le Conseil d’État[15] – rendu à l’occasion d’un recours introduit ultérieurement par des requérants juifs – prévoit alors une obligation de « concertation » entre les autorités et les représentants des cultes et des communautés convictionnelles …en ce compris les évêques catholiques qui s’étaient abstenus de contester ces mesures.

Du point de vue de l’État, par ailleurs, la nécessaire prise en compte du phénomène d’individualisation-subjectivisation des croyances et convictions se heurte de plus en plus à la volonté conjointe des autorités de pouvoir « compter » sur des organes représentatifs suffisamment institutionnalisés. Comme en témoignent les récents développements autour de la désignation de l’organe représentatif officiel pour le culte musulman en Belgique, la difficulté pour l’État consiste à s’assurer du caractère suffisamment représentatif de ces organes de dialogue, sans pour autant s’immiscer dans le choix formulé par les personnes et communautés concernées – et ainsi remettre en cause le droit à l’autonomie des cultes et courants convictionnels.

Dr Léopold VANBELLINGEN
Chercheur post-doctoral
Chaire Droit & Religion
UCLouvain


[1] « Le CD&V a une attitude de marchand de tapis sur l’avortement qui est totalement indigne », La Libre Belgique, 29 avril 2023.

[2] E. de Beukelaer, « Avortement – la tentation de la démocrature soft », Blog de l’Abbé Eric de Beukelaer, 29 avril 2023.

[3] « Pour Marc Uyttendaele (ULB), les propos d’Eric de Beukelaer sur l’avortement relèvent… du Code pénal », La Libre Belgique, 2 mai 2023.

[4] « Extension considérable de l’accès à l’avortement », Déclaration des Evêques de Belgique, 25 avril 2023.

[5] F. Van Volsem, « Commentaar bij artikel 268 Sw. », in M. De Busscher et al. (éds.), Duiding Strafrecht, Bruxelles, Larcier, 2018, p. 328.

[6] Ibid.

[7] C.-E. Clesse et P. De Pooter, « Des délits commis par les ministres du culte dans l’exercice de leur ministère », in H.-D. Bosly et C. De Valkeneer (éds.), Les infractions -Volume 5 – Les infractions contre l’ordre public, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 420.

[8] M. Rigaux et P.-E. Trousse, Les crimes et les délits du Code pénal, Bruxelles, Bruylant, 1968 IV, 400 ; J. Velaers, De beperkingen van de vrijheid van meningsuiting, Anvers, MAKLU, 1991 II, p. 445, n° 464 ; C.-E. Clesse et P. De Pooter, « Des délits commis par les ministres du culte dans l’exercice de leur ministère », op. cit., p. 422 ; F. Van Volsem, « Commentaar bij artikel 268 Sw. », op. cit.

[9] M. Magits, « Een straf voor de kardinaal? », De Standaard, 14 février 2006. Voy. les réponses de K. Buckinx (« Een spreekverbod voor de kardinaal ? », De Standaard, 15 février 2006) et de H. de Dijn (« Een dreigement voor de kardinaal? », De Standaard, 17 février 2006).

[10] M. Uyttendaele, Intervention lors de la table ronde « Justice en vérités (II) : La vision transatlantique des droits humains », CollègeBelgique, Académie royale de Belgique, Bruxelles, 10 mai 2023, disponible sur www.youtube.com/watch?v=qrOE9_id6v8&t=4330s

[11] C. Sägesser, « The Challenge of a Highly Secularized Yet Multiconfessional Society », in Religion and Secularism in the European Union. State of Affairs and Current Debates, Bruxelles, Peter Lang, 2017, p. 22 ; H. Hasquin, Inscrire la laïcité dans la Constitution belge ?, Collection L’Académie en poche, Bruxelles, Académie Royale des Sciences, 2016, p. 25.

[12] H. Dumont, « A quoi sert un préambule constitutionnel ? Réflexions de théorie du droit en marge du débat sur l’inscription d’un principe de laïcité dans un préambule ajouté à la Constitution belge », in Y. Cartuyvels (éd.), Le droit malgré tout. Hommage à François Ost, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis – Bruxelles, 2018, pp. 824‑825.

[13] S. van Drooghenbroeck, « La neutralité des services publics : outil d’égalité ou loi à part entière ? Réflexions inabouties en marge d’une récente proposition de loi », in Le service public (vol. 2), Bruges, La Charte, 2009, p. 245.

[14] Entretien avec Monseigneur Franco CoppolaLa Libre Belgique, 16 juin 2022.

[15] C.E., 8 décembre 2020, n° n° 249.177.



Catalogues, religions ou philosophies

Ikea

« Glocalisation » en kit, mode d’emploi :
les catalogues IKEA et la mixité à géographie variable

Qu’elles comportent une dimension religieuse ou non, les questions liées à la mixité hommes-femmes dans la sphère publique reviennent régulièrement au-devant de l’actualité médiatique.[1]

Ces débats sont notamment ravivés à l’occasion de choix de séparation entre hommes et femmes faits par diverses entreprises, dans le cadre de leur politique commerciale. Si certaines situations suscitent rapidement des réactions indignées, à l’instar des salles de fitness exclusivement accessibles aux femmes[2], d’autres cas soulèvent nettement moins de vagues[3].

Un catalogue (pas) très orthodoxe en Israël

La dernière polémique en date concerne ainsi l’enseigne IKEA, dont la branche locale en Israël a publié une version de son catalogue ne reprenant aucune image de femme ou de jeune fille devant les meubles de sa collection. Destiné spécifiquement à la communauté juive orthodoxe haredim, la publication entendait coller aux convictions particulières de ces croyants en matière de préservation de la pudeur féminine, qui passerait selon certains par la non-représentation de femmes dans les médias ou dans la publicité. Selon la firme, ce catalogue « spécial et alternatif » entendait « permettre aux communautés religieuses et aux ultraorthodoxes de profiter des produits et des solutions IKEA, en fonction de leur mode de vie » et des « perceptions les plus traditionnelles de la pudeur »[4].

Représentant environ 11% de la population israélienne, et généralement reconnaissables à leurs longs vêtements et chapeaux noirs, les juifs haredi observent de manière étroite les lois de la religion hébraïque, notamment concernant la mixité. Hommes et femmes non apparentés ne sont par exemple pas censés avoir de contact physique.

Devant le flot de réactions indignées face à cette ségrégation entre les sexes, le géant du meuble a finalement présenté ses excuses, reconnaissant une « erreur » dans l’initiative de sa branche locale, en ce que celle-ci ne serait « pas en accord avec les valeurs d’IKEA »[5]. L’on notera effectivement qu’une telle vision en matière de représentation des sexes tranche pour le moins radicalement avec celle prévalant dans le pays d’origine de la firme, la Suède, à laquelle l’on rattache une vision très progressiste en matière d’égalité homme-femme. Sur ce point, il est à noter qu’IKEA met en avant, depuis les années 90, des couples gays ou mixtes dans certaines de ses publicités, notamment aux Etats-Unis, où de telles initiatives lui avaient valu plusieurs appels au boycott[6].

Des meubles féministes à l’ouest, traditionnalistes à l’est

IKEA n’en était pourtant pas à sa première décision controversée en matière d’effacement des femmes de ses catalogues. En octobre 2012, plusieurs médias avaient « mis à nu » la manière avec laquelle une franchise de l’enseigne en Arabie Saoudite avait remodelé la version occidentale du catalogue en y effaçant – au sens propre – les femmes à l’aide d’un logiciel de traitement d’images. Face à la polémique, la maison-mère avait alors opéré plusieurs replis successifs, justifiant d’abord son choix en expliquant devoir trouver un équilibre entre ses propres valeurs et la culture et la législation locales, mais présentant finalement ses excuses et s’engageant à mettre tout en œuvre pour qu’un tel incident ne se reproduise plus.[7]

Un an plus tard, c’était la crainte de voir son catalogue censuré par les autorités russes qui poussait alors IKEA à en supprimer les pages représentant un couple de femmes homosexuelles.[8] Cette décision faisait suite à l’adoption par la Douma, en juin 2013, d’une loi interdisant la propagande homosexuelle en Russie. Ici aussi, des appels au boycott de l’enseigne avaient été lancés.

Le bon ton ou le bon droit ? … en Belgique 

Du point de vue du droit européen, toute distinction entre les sexes, a fortiori lorsqu’elle est opérée de manière directe, en l’occurrence dans le cadre d’une offre de biens et de services, doit pouvoir être justifiée par un objectif légitime et être proportionnée. Dans le cas contraire, une telle offre commerciale serait jugée discriminatoire. A cet égard, la Cour d’appel de Liège, dans son arrêt rendu au sujet du caractère discriminatoire envers les hommes d’une salle de fitness réservée aux femmes, a considéré comme légitime et proportionnée la distinction directe fondée sur le sexe. Parmi les arguments retenus par la Cour, la liberté d’entreprise et la loi de l’offre et la demande occupaient une place non négligeable, notamment sur base du fait que ce changement de politique commerciale avait conduit à une explosion de la clientèle de la salle en question, et que de nombreuses salles mixtes étaient accessibles à proximité. L’on notera qu’en première instance, il avait été considéré que « des difficultés économiques ne sont pas une justification objective d’une discrimination entre les sexes »[9], et qu’il n’était de toute façon pas prouvé que l’exclusion des clients masculins était le seul moyen possible de relancer l’activité de la salle. Les juges d’appel ont quant à eux précisé qu’« il n’appartient pas à la Cour d’imposer son propre idéal sur ce que devraient être les relations entre les hommes et les femmes », et que la motivation des femmes « à vouloir des salles de fitness unisexes » correspondait à des « ressentis personnels, comme tels respectables, qui sont admissibles dans l’état actuel des mœurs »[10].

Dans le cas des catalogues IKEA « unisexes » toutefois, dans l’hypothèse où une telle affaire se produirait sur le continent européen, il n’est pas certain que l’on puisse nécessairement parler de distinction basée sur le sexe dans la fourniture de biens, dans la mesure où cette exclusion des femmes est opérée non pas directement dans le cadre de la vente des produits de la marque (par exemple, l’interdiction d’accès à ses magasins pour les femmes), mais bien à travers la promotion de ses produits. A fortiori, le fait que le catalogue ne soit distribué que sur demande expresse des clients intéressés vient encore affaiblir l’hypothèse d’une discrimination. Pour le surplus, par-delà l’analyse juridique stricto sensu, il n’en demeure pas moins que la pertinence d’une telle initiative se pose de manière plus générale, eu égard notamment au message qu’elle véhicule en termes d’égalité entre les sexes.

Le Petit Livre rouge bleu et jaune

Cet ajustement des pratiques publicitaires en fonction de la culture, des traditions ou des croyances locales, lorsqu’elles rentrent dans le cadre de la politique de développement commercial d’une entreprise multinationale telle qu’IKEA, peuvent faire écho au concept de « glocalisation »[11]. Ce mot-valise, tiré des concepts de globalisation et de localisation, pourrait être résumé par l’adage « think globally, act locally ». La glocalisation impliquerait ainsi l’adaptation, par une multinationale, de ses produits ou services à chacun des lieux où ceux-ci sont vendus, en fonction des cultures ou traditions locales. Dans le cas d’IKEA, si la marque reste championne de la standardisation du design de ses meubles et objets – voire même de ses magasins et restaurants –, identiquement proposés aux quatre coins du globe, elle ne se prive pour autant pas d’en adapter géographiquement la promotion.

Au-delà des enjeux de stratégie et d’éthique commerciales, d’aucuns vont jusqu’à mettre en avant la dimension spirituelle et philosophique véhiculée selon eux par la marque à travers son catalogue. Avec un tirage estimé à environ 250 millions d’exemplaires distribués chaque année à travers le monde, le catalogue IKEA se situe désormais sur le podium des ouvrages les plus publiés au monde après la Bible et le Petit Livre Rouge de Mao Zedong. L’influence métaphysique de cette publication n’est peut-être effectivement pas à sous-estimer[12]. A propos de l’édition 2016 du catalogue, le magazine en ligne Slate.fr allait ainsi jusqu’à parler de « grand livre de sagesse moderne » et de « philosophie commode »[13] (dans les deux sens du terme), à travers les petites sentences philosophiques disséminées au fil des pages, telles que : « Un geste, un mot gentil, un sourire en passant. Peut-être ces petites choses se manifestent-elles à travers le plateau du petit-déjeuner, que vous servez au lit à celui ou celle qui partage votre vie. (…) Des petites choses toutes simples, qui contribuent à rendre le quotidien extraordinaire… ». Ikea, entreprise philosophe ? A méditer… sur un convertible IKEA…

Leopold Vanbellingen
Chercheur-doctorant (Chaire Droit et religions – Chaire Tolérance – UCL)

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Le catalogue israélien standard de IKEA n’omet pas les femmes de ses photos

[1] Voy. en ce sens le billet précédent sur ce blog, à propos des problématiques liées au refus de serrer la main dans le cadre d’une cérémonie de mariage civil.

[2] Sur le sujet, voy. Liège, 4 novembre 2014, J.T, 2015, p. 42, obs. S. Van Drooghenbroeck.

[3] On songera par exemple aux soirées « Ladies only » organisées dans de nombreuses salles de cinéma du pays.

[4] « Haredi IKEA catalogue is a no-ma’am’s land », Ynetnews, 15 février 2017.

[5] « Ikea s’excuse à la suite de la publication d’un catalogue sans femmes destiné à des juifs orthodoxes », Le Monde, 18 février 2017.

[6] « Ikea Ads Feature Gay Customers », The New York Times, 29 mars 1994.

[7] « Ikea se repent après avoir effacé les femmes de son catalogue saoudien », Le Monde, 1er octobre 2012.

[8] « Ikea faces boycott after it removes lesbian couple from Russian magazine to comply with Putin laws », The Independent, 21 novembre 2013.

[9] Civ. Liège, cess., 23 janvier 2014, J.L.M.B., 2014, p. 520.

[10] Liège, 4 novembre 2014, J.T, 2015, p. 42, obs. S. Van Drooghenbroeck.

[11] En ce sens, voy. P. Valdivieso, « Glocalization as the natural evolutionary path in the multinationals’ activities », Espacios, 2013, Vol. 34(4), p. 17.

[12] La version suisse du site web de la marque comprend d’ailleurs une section intitulée « La philosophie IKEA ».

[13] « Méditez votre catalogue Ikéa, ce grand livre de sagesse moderne », Slate.fr, 8 septembre 2015. Voy. aussi B. Edvardsson, B. Enquist, « Values-based service brands: narratives from IKEA », Managing Service Quality, 2006, Vol. 16(3), p. 230.



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