L’appel du muezzin

 Muezzin

Le son du muezzin et la « pollution sonore » : quelle réponse juridique ?

Ce lundi 21 novembre 2016, une mosquée de la ville de Lod – située dans le district du centre d’Israël – a été condamnée par la municipalité à payer une amende équivalente à 200 euros en raison de ce que le son diffusé par le muezzin à l’occasion des appels à la prière constituerait une « pollution sonore ».

Cette condamnation fait notamment écho au projet de loi récemment déposé en Israël et visant à interdire l’emploi des haut-parleurs tôt le matin et tard le soir (à savoir entre 23h et 6h).

Actuellement, ce projet de loi déposé par un ministre juif ultra-orthodoxe – et qui est notamment appuyé par le premier Ministre Benyamin Netanyahou – fait polémique en Israël, où environ 20 % de la population est de confession musulmane. Si ce projet de loi vise, sur le principe, toutes les religions, il est évident que ce sont les pratiques du culte musulman qui sont spécialement concernées puisqu’il est le seul a effectué un appel à la prière par le biais de haut-parleurs.

Néanmoins, le projet de loi pourrait aussi emporter des conséquences néfastes pour le culte israélite dans la mesure où ce dernier utilise la sirène afin d’inviter les Juifs à leur repos hebdomadaire, à savoir le « shabbat ». Le projet a été voté par la commission interministérielle des lois le 13 novembre 2016 mais le Ministre de la santé Yaacov Litzman (membre du parti ultra-orthodoxe « Judaïsme unifié de la Torah ») a bloqué l’examen du texte par le Parlement, craignant que cette interdiction emporte l’impossibilité d’utiliser la sirène pour le culte israélite.

Quel que soit finalement le sort de ce projet de loi – déjà surnommé « projet de loi muezzin » –, il montre, une fois encore, la difficulté liée à la coexistence des pratiques de différentes religions présentes sur un même territoire et la nécessité de trouver une façon pour elles de dialoguer afin de créer un espace de « vivre ensemble » pour les différentes confessions.

Et en Belgique ?

Même si cela est peu connu, le muezzin résonne déjà dans quelques endroits en Belgique. Par exemple, à Cheratte-Bas, petit village de la province de Liège, le muezzin résonne depuis plus de vingt ans.

S’agissant de la difficulté éventuelle liée à la « pollution sonore », c’est davantage concernant le son des cloches des églises que des recours ont déjà été introduits auprès des cours et tribunaux belges. Il n’existe néanmoins, en l’état actuel du droit, aucune législation concernant la « pollution sonore » des établissements religieux.

De manière générale, la règle est celle de l’antériorité, c’est-à-dire que lorsqu’une personne vient s’installer tout près d’une église déjà existante et se plaint du bruit des cloches, le juge donnera tort à l’habitant.

Dans les autres cas, c’est la jurisprudence généralement appliquée aux troubles de voisinage (art. 544 C. civ.) qui sera suivie – qu’il s’agisse du son des cloches, du muezzin, etc. –, et ce, comme elle prévaut dans tout litige ayant pour objet une question de « pollution sonore ».

Stéphanie Wattier
Chargée d’enseignement et chercheuse post-doctorale à l’UNamur
Chargée de recherche honoraire du F.R.S-FNRS à l’UCL

Pour aller plus loin

  • CHRISTIANS, L.-L., « Les droits campanaires canonique et civil comme lieux symboliques », in J. Fraikin (dir.), Cloches et carillons, Bruxelles, Ministère de la Communauté française, 1998,  pp. 255-297.
  • CORBIN, A., Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1994, Champs Flammarion, 2000.
  • EPINETTE, F., « 1905-2005 : du bourdon au muezzin, le maire, acteur républicain du fait religieux », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2005/4, pp. 49-71.
  • HAMOUDI, Haider Ala, « The Muezzin’s Call and the Dow Jones Bell: On the Necessity of Realism in the Study of Islamic Law », American Journal of Comparative Law, Vol. 56, Issue 2 (Spring 2008), pp. 423-470.
  • KREPS, J., « La bataille des cloches », Revue générale belge, juillet 1949, pp. 424-447.
  • LAUWERS, M., Des cloches et de l’usage légal qu’il est permis d’en faire, Bruges, De Zuttere, 1876, 37 pp.
  • SARCEVIC,-E., « Religionsfreiheit und der Streit um den Ruf des Muezzins », Deutsches Verwaltungsblatt, 2000, pp. 519-528.
  • WIERNASZ, M.,  « Les cloches de Sainte-Ruffine ne sonneront plus la nuit… Note sous CAA Nancy 5 décembre 2011 n° 10NC01532″, AJDA ACTUALITE JURIDIQUE. DROIT ADMINISTRATIF,  2012, 15, 813-815.
  • X., « France: l’imam Abdelali Mamoun accuse les cloches des églises de sonner », Le Nouvel Obs, 19 août 2016.


Signes ostentatoires et modèle belge ?

Foulard drapeau belge

Depuis 1989, la Belgique a été progressivement entrainée par la question, à l’origine française, du port du foulard islamique. Ce contentieux sans fin a conduit la France a comprendre combien son concept de laïcité était devenu complexe et ambivalent. Jusque 2004, c’est une laïcité ouverte qui a dominé, recommandée par le Conseil d’Etat de France. Depuis lors, la laïcité française s’est progressivement durcie et a dès lors suscité de nouvelles interrogations en Belgique ou encore au Québec. La fascination pour le modèle français montre toutefois ses limites, du moins en Wallonie plus qu’en Flandres – ce qui n’est pas anodin. Loin de conduire à une simple duplication des nouvelles positions françaises, c’est tout au contraire une réflexion incertaine et ouverte qui se déploie pour remettre en lumière l’originalité d’un modèle « belge » de neutralité pluraliste. Très progressivement dégagé des partis-pris liés à une polarisation de la vie sociale entre catholiques et laïques, ce régime est confronté à un dilemme imputé plus ou moins explicitement à l’importance nouvelle de l’Islam en Belgique. C’est le coeur d’une hésitation, qui en réalité n’est autre que celle-là même qui porte sur l’originalité du projet belge : soit poursuivre l’ouverture d’un modèle pluraliste (comme l’atteste la reconnaissance de l’Islam en 1974), soit liquider toute régulation pluraliste, au profit d’un modèle jacobin qui ne fut jamais celui de la Belgique.

Cette hésitation s’est encore faite perceptible très récemment.

Le 24 mars dernier, la Commission des affaires générales, de la simplification administrative, des fonds européens et des relations internationales du Parlement wallon approuvait une proposition de résolution visant à interdire le port de signes convictionnels ostentatoires et l’expression de comportements ostentatoires au sein des services du Gouvernement wallon, des organismes d’intérêt public et des entités dérivées de l’autorité publique relevant de la Région wallonne. Introduite par le MR, cette proposition trouvait le soutien des quatre partis francophones, après de longues discussions et d’importants amendements.

Le texte initial défend plusieurs idées que sont la neutralité de l’État, spécifiquement dans l’exercice de ses missions publiques, son impartialité, et l’égalité entre les citoyens. Les auteurs de la proposition plaidaient pour une interdiction générale du port de signes convictionnels au sein de l’administration, quel que soit le niveau de pouvoir, en s’appuyant sur quatre arguments :
-    éviter l’inégalité de traitement entre fonctionnaires ;
-    éviter des difficultés en matière de gestion du personnel et de cohérence interne ;
-    éviter que se pose la question de l’organisation et de l’agencement des locaux ;
-   supprimer toute crainte de position d’autorité d’un agent autorisé à extérioriser ses convictions à l’égard d’autres agents non autorisés.

Afin de parvenir au consensus, les représentants des quatre grandes forces politiques francophones se livrèrent à une longue bataille et à une surenchère d’amendements afin que soient apportées au texte initial diverses modifications.

Il en alla tout d’abord de l’opportunité de maintenir un principe général d’interdiction. Sur insistance du cdH et du PS, les parlementaires s’accordèrent sur l’interdiction générale avec toutefois une exception – importante – pour les agents dont les prestations n’impliquent aucun contact fonctionnel avec le public.

La discussion porta ensuite sur l’opportunité de distinguer les signes convictionnels des comportements : selon le PS, les premiers ne sont par nature pas prosélytes et impliquent une discrimination entre la femme portant le voile (considéré comme un signe) et l’homme portant la barbe (non considérée comme un signe) là où les seconds ont un sens plus large et plus en phase avec les réalités. À cet argument s’attacha celui de la problématique définition du « signe », auquel le MR répondit d’une part qu’il en allait de « tout vêtement ou accessoire exprimant une conviction ou une identité philosophique ou religieuse » , et d’autre part que parler de comportements imposerait de définir le comportement neutre, ce qui s’avérait impossible : pour les libéraux, l’objectif de la proposition de résolution « est de garantir la neutralité et de lutter contre des signes évidents et […] de mettre en cause la liberté d’expression […] seulement dans le cadre des fonctions ». Le cdH en appela quant à lui au « bon sens » et à la capacité des directeurs d’administration de décider quand un comportement devient problématique, soulignant donc l’importance d’avoir égard tant aux signes qu’aux comportements. Les seconds peuvent en effet survenir sans que la personne concernée ne porte de signe convictionnel particulier. Aussi fut proposé l’ajout du qualificatif « ostentatoire » après les mots « signe » et « comportement ». Selon le député cdH, dès lors que le signe n’est pas en soi problématique, l’accent est mis sur la nécessité de déterminer le moment où la juste mesure et le caractère raisonnable font défaut par rapport au comportement ou au signe. En ce sens, « ostentatoire » marque la volonté de lutter contre les excès. La décision fut ainsi prise d’interdire à toute personne chargée d’une mission de service public qui exerce des prestations qui nécessitent un contact fonctionnel avec le public tant le port de signe convictionnel ostentatoire que l’expression de comportements ostentatoires, dans l’exercice de ses fonctions.

Deux autres amendements furent encore adoptés. L’un porte sur le respect des règles en matière de concertation sociale lorsqu’il s’agira de préciser quelles fonctions sont concernées par des prestations nécessitant un contact fonctionnel avec le public . L’autre, adopté par seulement 2 voix et 7 abstentions, rappelle le large champ d’application du principe d’impartialité, qui dépasse largement le port de signes convictionnels, et exhorte le Gouvernement wallon à prévenir toute intervention visant manifestement à favoriser des situations individuelles auprès des autorités administratives .

L’accord des quatre partis pour soutenir cette proposition de résolution, une première, est toutefois relatif : ainsi que l’a souligné à deux reprises le député cdH Maxime Prévot, il ne s’agit « que » d’une proposition de résolution « et donc d’une intention adressée à l’exécutif » , d’une déclaration d’intention sans force légale. C’est à ce dernier qu’il revient donc, dès à présent, de prendre les arrêtés nécessaires à la modification du Code de la fonction publique wallonne dans le sens voulu par les parlementaires.

La volonté du parti libéral ne s’arrêta cependant pas à cette résolution. Le mardi 25 mars, il déposait devant la Commission des affaires intérieures et du tourisme trois propositions de décret visant à interdire le port de signes convictionnels aux personnes exerçant une mission de service public au sein des communes, provinces, intercommunales ou associations de projets, au membres des organes exécutifs de ces différentes entités ainsi qu’aux présidents et au personnel des CPAS . L’objectif de ces décrets est de garantir la neutralité de l’exercice des fonctions ainsi que l’apparence de neutralité des agents et mandataires visés en leur demandant de faire preuve d’une certaine réserve dans l’exercice de leur mission publique.

La discussion entre les députés, dont plusieurs avaient pris part à celle du lundi, fut cette fois bien plus ardue et aucun accord ne put être trouvé . La portée juridique et normative du décret a ainsi fait prévaloir la prudence sur la précipitation dans un domaine aussi sensible que celui des libertés fondamentales. Trois décisions furent toutefois adoptées par les parlementaires, à savoir envoyer les textes pour avis au Conseil d’État et à l’Union des villes et communes de Wallonie, ouvrir le texte de la résolution adoptée le lundi à la co-signature avec possibilité d’y inclure la fonction publique locale visée par les propositions de décret, et demander au Gouvernement wallon de s’exprimer sur cette résolution.

L’objectif poursuivi par la résolution ainsi que par les propositions de décret est légitime : les agents du service public et les mandataires politiques occupent délibérément des missions de service public impliquant de leur part un comportement et une attitude neutre dans l’exercice de leurs fonctions. Tout aussi légitime est le principe de proportionnalité respecté par les députés dans le texte de la résolution : seuls les agents exerçant des prestations qui nécessitent un contact fonctionnel avec le public se voient interdire le port de signes convictionnels ostentatoires et l’expression de comportements ostentatoires. Les difficultés rencontrées lors de la discussion de la résolution – à savoir les questions de définitions, de contour clair des notions, etc. –, soulevées avec plus de force lors de la discussion portant sur les textes législatifs, ont toutefois empêché les députés de s’accorder sur ces derniers. La sensibilité de s’entendre sur la question du port de signes convictionnels est bien réelle. À moins de deux mois des élections, c’est donc au Parlement et au Gouvernement qui sortiront des urnes que reviendra la charge de gérer ce dilemme à la belge ou à la française.

Dr. Sophie Minette
Assistante de recherche à la Chaire de droit des religions



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