Constitution et préjudice religieux

Par son arrêt n° 148/2011 du 5 octobre 2011, la Cour constitutionnelle de Belgique s’est prononcée sur la demande de suspension de la loi du 1er juin 2011 (publiée au Moniteur belge du 13 juillet 2011) visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage, introduite par deux femmes de confession musulmane qui estiment que « la loi attaquée, en dépit de la généralité de ses termes, interfère de manière excessive avec des libertés qu’elles entendent pouvoir exercer en tant que musulmanes portant le voile intégral pour des motifs religieux et en tant que femmes, et crée de la sorte, à leur égard, une situation discriminatoire ».

La demande en suspension étant subordonnée à la demande en annulation, la Cour constitutionnelle a déjà examiné la question de la recevabilité de la demande au stade de la procédure en suspension. A cet égard, elle juge que les requérante justifient d’un intérêt puisqu’elles sont « des femmes de confession musulmane vivant en Belgique et portant toutes deux le voile intégral, plus particulièrement le niqab »(1). De plus, leur situation pourrait se trouver « directement et défavorablement affectée par la loi attaquée dès lors que celle-ci prévoit qu’une sanction pénale peut être infligée à toute personne qui se présente dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu’elle ne soit pas identifiable »(2). C’est dès lors de façon, somme toute, logique que la Cour estime la demande en annulation – et par conséquent la demande en suspension – est recevable.

Plus surprenante est la manière dont la Cour constitutionnelle balaye le recours des requérantes en ce qui concerne le critère du préjudice grave et difficilement réparable. A cet égard, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 20, 1° de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, deux conditions de fond doivent être satisfaite pour que la suspension puisse être prononcée : d’une part, les moyens invoqués doivent être sérieux ; d’autre part, l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

S’agissant de la condition liée à l’existence d’un préjudice, la Cour explique qu’il s’agirait pour les requérantes d’être « tenues soit de rester chez elles, soit de se présenter dans un lieu accessible au public en encourant le risque d’être verbalisées – ce qui porterait atteinte à leur dignité – et de se voir infliger des amendes ou des peines de prison, soit encore de renoncer, contre leur gré, à l’exercice de certaines libertés fondamentales pour préserver leur liberté de circulation »(3). Curieusement, la Cour constitutionnelle n’y voit pas un préjudice suffisant à entrainer la suspension de la loi attaquée – et dès lors pas un préjudice grave et difficilement réparable – pour trois raisons.

Premièrement,  parce qu’il sera toujours loisible aux requérantes, si elles devaient se trouver poursuivies devant les juridictions répressives, de demander au juge de poser à la Cour une question préjudicielle relative à la compatibilité du nouvel l’article 563bis Code pénal, inséré par ladite loi du 1er juin 2011 et interdisant le port du voile intégral en rue, avec les dispositions constitutionnelles et conventionnelles concernées (4).

Deuxièmement, au motif que les requérantes, si elles venaient à être pénalement condamnées, pourraient toujours réclamer la rétractation de cette décision si la Cour constitutionnelle venait, par la suite, à annuler la loi attaquée. Cette deuxième justification étonne tout particulièrement dans la mesure où il est toujours possible pour une partie requérante de demander, en vertu de l’article 10 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la rétractation d’une décision ayant été adoptée sur la base d’une disposition postérieurement annulée par la Cour constitutionnelle. Si, en l’espèce, cette justification suffit à rejeter l’argument du préjudice grave et difficilement réparable, quand pourra-t-on encore prétendre à l’existence d’un tel préjudice devant la Cour constitutionnelle ?

Mais une troisième raison, peut-être moins immédiatement surprenante, concerne la preuve des convictions et pratiques religieuses invoquées. Poursuivant son analyse quant à l’existence d’un préjudice grave et irréparable, la Cour relève « quant au fait que les parties requérantes se verraient dans ce cas contraintes de renoncer à l’exercice de certaines libertés fondamentales pour préserver leur liberté de circulation, un tel préjudice ne pourrait être considéré comme à ce point grave qu’il puisse justifier la suspension de la loi attaquée. Il ressort, en effet, de la requête et de l’audience que si les parties requérantes affirment qu’elles portent le voile intégral par conviction personnelle, elles indiquent que dans certaines circonstances, des dérogations peuvent être apportées à l’expression de leur conviction. Elles restent [dès lors], à ce stade, en défaut de démontrer pour quel motif elles ne pourraient admettre pareille dérogation durant le temps limité que dure la procédure devant la Cour ».

Différents arguments furent avancés en cours de procédure, sur lesquels semble s’appuyer la Cour pour raisonner de la sorte. En effet, les deux requérantes affirment porter le niqab sur base d’un choix purement personnel découlant « de l’idée qu’elles se font de la portée des prescrits caractérisant la religion qu’elles ont choisi d’observer » et reconnaissent pouvoir l’enlever spontanément dans certaines circonstances (ce ne leur est pas « résolument impossible ou interdit »). Le Conseil des ministres estime quant à lui que le port du voile intégral constitue une prescription de la religion musulmane dont les requérantes restent en défaut de démontrer le caractère « fondamental ou absolu » : le fait qu’elles puissent l’ôter dans certains contextes confirme en réalité qu’il n’en est rien.

Que la sincérité des convictions des requérantes soit vérifiée par la Cour ne fait pas problème. La fraude ou l’arbitraire anéantirait la crédibilité des requérantes et avec elle, l’existence d’un préjudice. La question porte davantage sur les modalités de ce contrôle et les modes de preuves attendus. L’aveu que « dans certaines circonstances, des dérogations peuvent être apportées à l’expression de leur conviction » semble essentiel à la Cour. De deux choses l’une : ou bien le seul fait qu’il puisse exister des exceptions religieuses quelconques en viendrait à ruiner de iure la prétention des requérantes ; ou bien, c’est l’indétermination apparente de ces exceptions qui produirait cet effet de disqualification. C’est sur ce second versant que semble se situer la Cour. La formule de l’arrêt mérite toutefois une lecture attentive : après avoir utilisé un passif objectivant qui semble renvoyer à un référant tiers (« des dérogations peuvent être apportées »), c’est un actif subjectivant qui vient conclure que « les requérantes demeurent en défaut de démontrer pour quel motif elles ne pourraient admettre pareille dérogation durant le temps limité que dure la procédure devant la Cour ».

Que conviendrait-il donc de prouver ? Que le Coran (ou la tradition de l’Islam non déraisonnablement interprétée) ne contient aucune exception au bénéfice de procédures en cours devant une juridiction – voire spécifiquement devant la Cour constitutionnelle de Belgique ? Ou s’agirait-il pour les requérantes de prouver, de façon non potestative, qu’elles ne découvrent en elles-mêmes aucune ressource spirituelle leur permettant de s’auto-dispenser de cette conviction durant la procédure ? Dans l’un comme dans l’autre cas, exiger une telle preuve négative ne revient-il pas à rendre impossible, ou du moins à alourdir hors de proportion, les conditions de mise en œuvre des droits fondamentaux ?

Deux réserves doivent être apportées avant d’aller plus loin. Tout d’abord, c’est prudemment la possibilité de déroger à l’expression de leur conviction qui est visée par la Cour, non aux convictions elles-mêmes. Ensuite, on ne perdra pas de vue que la question posée ici, plus circonscrite que celle des libertés, est celle de l’existence d’un préjudicie grave et difficilement réparable.

Même recadrée de la sorte, la question nous semble subsister. Prouver un préjudice grave peut-il conduire à exiger la preuve négative de l’absence de toute exception religieuse, voire de toute exception religieuse susceptible de se manifester durant la durée avenir de la procédure. Comment prouver qu’aucune circonstance religieuse adéquate ne se manifestera dans le laps de temps, futur, qui sera celui de la procédure ?

La construction argumentative de l’arrêt relative à la charge la preuve ne convainc que difficilement tant elle paraît artificielle ou disproportionnée. En revanche, les formules de l’arrêt pourraient traduire trois positions sous-jacentes qui auraient mérité d’être abordées plus directement : soit une mise en cause de la sincérité des requérantes, qui pourrait être vérifiée factuellement par l’inconstance ou les contradictions de certaines de leurs attitudes ou pratiques ; soit l’hypothèse selon laquelle ne pourraient bénéficier d’une exemption à une règle ou exigence publique que les croyants n’acceptant aucune remise en cause ou discussion de leurs convictions personnelles, quelles qu’elles soient, tels par exemple les fondamentalistes religieux pour qui la religion constitue un tout non négociable : soit enfin le principe qu’aucun préjudice religieux grave ne serait envisageable concernant des « pratiques simplement motivées par la religion » et qui n’en serait pas estimées « la part centrale et nécessaire » (transposant ici à la détermination du préjudice grave, les critères de fond propres à la jurisprudence européenne).

L’ouverture dont ont fait preuve les requérantes ne s’est-elle in fine pas retournée contre elles, la Cour les incitant en quelque sorte à faire des efforts supplémentaires pour s’accommoder temporairement leur Dieu ? La jurisprudence européenne montre clairement la complexité des équilibres à trouver entre politiques publiques et prise en compte proportionnée des libertés de conscience ou de religion. Mais demeure constante l’obligation préalable de prendre au sérieux la nature religieuse ou philosophique de la conviction qui fonde le contentieux. De ce point de vue, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne fait qu’attester des difficultés contemporaines quant aux modalités adéquates d’une telle prise au sérieux.

L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle atteste plus généralement du caractère délicat de la tâche qui incombe aux juges, pour traiter de réalités sociales spécifiques au départ de concepts juridiques et dans un vocabulaire limité et précis. Tâche qui semble s’avérer plus difficile encore en cas de conflit opposant des droits fondamentaux individuels (en l’espèce notamment les libertés de circulation, de conscience et de religion, d’expression) et impliquant également des buts tels que la protection ou la garantie de la sécurité publique. La question reste ouverte et l’arrêt que rendra la Cour lorsqu’elle statuera sur le recours en annulation éclairera peut-être davantage.

© S. Minette, S. Wattier, LL. Christians

1 C. const., n° 148/2011 du 5 octobre 2011, B.2.3.
2 C. const., n° 148/2011 du 5 octobre 2011, B.2.4.
3 C. const., n° 148/2011 du 5 octobre 2011, B.4.2.
4 C. const., n° 148/2011 du 5 octobre 2011, B.6.1.

Citation : MINETTE, S. WATTIER, S., CHRISTIANS, L-L., « Constitution et préjudice religieux. Note sur C.Const. n°148/2011 du 5 octobre 2011″, Les Commentaires de la Chaire de droit des religions de l’UCL, http://belgianlawreligion.unblog.fr, 26 octobre 2011



Expression religieuse, vigilance publique

Dans une « réaction » du 25 janvier 2010, le Centre belge pour l’égalité des chances communique que : « Le chef de l’église catholique belge, interrogé sur le sujet de l’orientation sexuelle, a comparé l’homosexualité à l’anorexie. Comme tout citoyen, l’archevêque de Malines-Bruxelles a la liberté d’exprimer ses opinions. C’est le cas aussi des représentants des Cultes israélite et musulman présents sur le plateau qui ont également tenu des propos très négatifs à l’encontre de l’homosexualité. Leurs propos ne les exposent pas à des poursuites judiciaires dans le sens de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, dont celles motivées par l’homophobie. Rappelons que la liberté d’expression s’étend aux propos “qui blessent, qui choquent et qui inquiètent”, selon l’expression consacrée de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et n’incriminent que l’incitation à la haine et à la discrimination. Il reste néanmoins  que ce type de discours, amalgamant maladie, perversité et homosexualité, est regrettable, et potentiellement dangereux car il entretient stéréotypes et préjugés non fondés. C’est pourquoi le Centre déplore que de hauts responsables de cultes stigmatisent à nouveau l’homosexualité et sera attentif à ce que leurs propos publics n’encouragent pas des actes de haine inspirés par ceux-ci. Le Centre rappelle que l’orientation sexuelle n’est ni un choix ni une maladie à soigner. Elle ne constitue pas non plus a priori un comportement qui mettrait en danger, plus qu’un autre, la vie ou la santé des individus. Elle est une orientation sexuelle qui, tout comme, les convictions religieuses, appelle le respect mutuel des différences.”

Tous les discours de désapprobation morale et religieuse sont aujourd’hui délicats (*). On se borne ici à des observations de formes de nature juridique.

A la différence de la Halde française, le Centre belge ne formalise pas systématiquement ses positions en « délibération » ou en « avis». Le statut juridique des délibérations françaises n’en fait pas des décisions contraignantes, mais en balise l’élaboration et assure une formalisation précise d’un « magistère d’influence ». Il pourrait être souhaitable qu’il en aille de même pour le Centre belge, et que la production et le statut de diverses notices et « réactions » soit clarifié ou renforcé. L’article 2 de la loi du 15 février 1993 évoque une mission générale de promotion de l’égalité de lutte contre une série de discriminations, à accomplir “dans un esprit de dialogue et de collaboration avec les associations, instituts, organes et services qui, en tout ou en partie, accomplissent la même mission ou sont directement concernés par l’accomplissement de cette mission”. L’article 3 de la loi du 15 février 1993 présente dix hypothèses de compétence qui ne permettent toutefois pas de formaliser davantage le statut des positions, réactions et dialogues, au delà de la libre expression des agences publiques.            

Après avoir rappelé que les autorités religieuses bénéficient comme tous du régime européen de liberté d’expression des « opinions qui choquent », le Centre estime « regrettable » les discours qui « amalgament » « maladie, perversité et homosexualité ». Dans une intervention télévisée, le représentant du Centre a indiqué qu’il aurait estimé plus approprié que l’autorité religieuse s’exprime en référence à son propre ordre de rationalité, par exemple, en termes de « péché ». Cette position n’était qu’un souhait d’adéquation, et non une limitation d’ordre juridique : l’opinion publique des autorités religieuses n’est pas soumise à une distinction entre les sphères du religieux, de la morale et de l’éthique commune. Quant au registre politique, seule l’attaque publique et directe des lois et gouvernements par un ministre du culte dans le cadre de ses fonctions est réprimée par le droit belge (art. 268 code pénal).     

Au regard de la distinction avec la science, on se bornera à constater que Centre ne dispose pas, lui non plus, de compétences médicales spécifiques. On soulignera surtout plus fondamentalement le caractère inadéquat du passage d’une affirmation d’ordre médical à une affirmation d’ordre juridique lorsqu’il rapproche que sans être ni un choix, ni une maladie (…) « l’orientation sexuelle, tout comme les convictions religieuses, appelle le respect mutuel des différences ». Ce n’est pas le statut médical ou scientifique, libre ou non libre, d’une forme de vie qui fonde l’état actuel du droit, mais un consensus démocratique sur les caractéristiques qui justifieront une protection juridique. En particulier, il ne semble pas que les personnes atteintes d’une maladie (**) puissent se voir dépréciées au regard de la lutte juridique contre la discrimination.     

La réaction du Centre évoque également, pour l’écarter en l’espèce, la prohibition pénale de l’incitation à la haine et à la discrimination (Loi du 10 mai 2007).      

Tout en admettant que les propos tenus par les autorités religieuses ne relèvent pas de l’incitation à la haine, le Centre indique qu’il « sera attentif à ce que leurs propos publics n’encouragent pas des actes de haine inspirés par ceux-ci ». Cette distinction en forme d’oxymore (***) entre un discours d’incitation à la haine (non retenu en l’espèce) et les pratiques sociales potentielles que le Centre non seulement observerait mais également estimerait se justifier comme “inspirées” et même “encouragées” par les propos des autorités religieuses, semble devoir recevoir une appréciation réservée.       

Il est certainement pertinent d’appeler à la prudence et la responsabilité sociale l’ensemble des autorités qui prennent la parole dans l’espace public, notamment face au risque de se faire mal comprendre ou instrumentaliser. La même prudence verbale se verrait conseillée, dans des termes moins ambivalents, à bien des discours publics concernant par exemple la prohibition du port du foulard.

En revanche, maintenir, par la formule ambigüe adoptée, un lien subliminal entre “haine” et “autorités religieuses” semble une imputation imprudente et peu conforme au regard d’un principe d’équité des débats.     

Il ne fait nul doute que le but premier de la réaction du Centre est de prévenir discrimination, stéréotypes et préjugés non fondés. Pour autant, le Centre ne devrait-il pas veiller, à l’avenir, à une vigilance plus équitable lorsqu’il prend position sur des débats et questions qui animent, voire divisent, la société belge ? 

Le Centre a précisé sa méthodologie dans son rapport 2011 (****), en mettant l’accent sur la responsabilité morale de l’ensemble des autorités prenant une parole publique. Le Centre estime que cette responsabilité morale pourrait toutefois se muer en responsabilité juridique par la répétition de certaines prises de parole, dont chacune séparément pourrait être admise, mais non leur accumulation. User d’un critère de répétition pour systématiquement révéler une stratégie d’incitation à la haine  ne serait pas conforme aux critères internationaux, notamment de liberté d’expression sur les questions qui heurtent, choquent ou inquiètent. Une agence publique peut-elle inciter au silence pour des propos dont elle a en l’espèce chaque fois reconnu la licéité ?  Se confirme une zone grise de l’action administrative, forme nouvelle de Government speech, quelque part en deçà du droit de la répression. Le Centre soutient-il pour autant une morale d’Etat ? Il ne semble pas : c’est à une responsabilité pédagogique qu’il semble appeler, face aux risques de polarisation induits par les techniques de presse.

(*) En l’occurrence, Mgr Léonard, officiellement désigné par le Pape archevêque de Malines-Bruxelles le 18 janvier dernier, a souvent fait l’objet de réactions, variées, en raison de divers propos tenus dans les médias eu égard plus particulièrement à des questions éthiques telles que l’homosexualité, l’avortement ou l’euthanasie. Invité à prendre part à l’émission Controverse sur RTL-TVI le dimanche 24 janvier et interrogé quant à l’homophobie dont il ferait l’objet, le nouveau primat de Belgique souligna tout d’abord que s’il émettait un jugement ou une appréciation philosophique sur une tendance ou un comportement, il refuserait toujours de condamner les personnes homosexuelles pour lesquelles, en tant que personnes, il a la plus grande estime. Afin d’éclairer cette position de l’Eglise catholique, il tint les propos suivants : « Je prends une comparaison pour éclairer, comparaison qui ne signifie pas que j’identifie les deux situations. Par exemple, je pense que, anthropologiquement, l’anorexie […] est un développement qui n’est pas dans la logique de l’appétit qui cherche à ce qu’on entretienne sa vie. C’est un développement qui n’est pas tout à fait cohérent de l’appétit. Mais jamais je ne vais dire que les anorexiques sont des anormaux, même si le développement de cette tendance de l’appétit n’est pas en cohérence avec ce à quoi sert l’appétit ».

(**) Sans se prononcer sur la question, on remarquera que c’est en réalité le rapprochement opéré entre homosexualité et anorexie qui est à l’origine des différentes réactions, dont celle du Centre pour l’égalité des chances. N’est-il toutefois pas singulier que ces réactions, alors qu’elles défendent une stigmatisation des personnes homosexuelles, tendent, par effet domino, à stigmatiser à leur tour les anorexiques ? Quand bien même ces derniers seraient véritablement malades, au contraire des homosexuels comme d’aucuns l’avancent, n’ont-ils pas eux aussi droit au respect, mutuel, de leur condition et de leur différence ? Conformément à l’article 2, 2° de la loi du 15 février 1993 créant le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, « [l]e Centre a pour mission de promouvoir l’égalité des chances et de combattre toute forme de distinction, d’exclusion, de restriction ou de préférence fondée sur : 1° [...] ; 2° [...] l’état de santé actuel ou futur », mission qu’il doit exercer dans un esprit de dialogue.

(***) Figure de style qui réunit dans un même syntagme deux mots sémantiquement opposés.

(****) Addendum : Sous l’intitulé « Discours émanant d’ ‘autorités »",  le Rapport 2011 du Centre, publié en juin 2012, indique p. 51 : « Le Centre reçoit régulièrement des réactions indignées concernant des déclarations faites par des mandataires ou des responsables politiques ou d’autres personnes investies d’une certaine autorité intellectuelle ou morale. Ces affaires font régulièrement la une des médias et les gens attendent alors du Centre qu’il prenne position rapidement. Face à une telle situation, la position du Centre est la suivante : d’une part, les mandataires et responsables publics doivent être particulièrement protégés au titre de la liberté d’expression, car ils doivent pouvoir prendre des risques dans la formulation de telle ou telle idée. Tel est bien le sens de l’irresponsabilité des parlementaires, par exemple. Mais d’autre part, comme ‘professionnels’ de la parole publique, ils sont généralement conscients des effets produits par leurs propos. L’autorité morale qui est la leur devrait donc les engager à une plus grande responsabilité. Mais on est ici dans le registre moral, et non juridique. C’est pourquoi, face aux propos tenus par des personnes publiques, le Centre sera particulièrement attentif au caractère répété de certains propos – caractère répété qui est indicatif d’une intention, d’une stratégie incitant à la haine ».
p. 52 : « « L’archevêque Léonard et ses déclarations concernant l’homosexualité -  Lors d’une émission de télévision à laquelle assistaient différents représentants de cultes reconnus, cet archevêque avait exposé le point de vue du Vatican à l’égard des homosexuels, et fit (en des termes choisis) un parallèle avec les patients anorexiques. Vu les termes employés et les nuances qui les accompagnaient, il était difficile de parler d’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination. Rappelons qu’en 2007, Mgr. Léonard avait déjà créé la polémique en considérant les homosexuels comme des « anormaux », s’autorisant (d’ailleurs abusivement) de Freud et de la psychanalyse. Comme en 2007, le Centre a déploré publiquement qu’un haut responsable d’un culte reconnu stigmatise les personnes homosexuelles et a répété que ce type de discours était dangereux car il pouvait entretenir l’idée pernicieuse qu’il est légitime de discriminer les personnes homosexuelles. À l’instar de chacun, l’archevêque de Malines-Bruxelles a le droit de s’exprimer publiquement, ceci étant également valable pour les représentants des cultes juif et musulman présents au cours de l’émission et qui y ont également tenu un discours particulièrement négatif au sujet de l’homosexualité. Aux yeux du Centre, leurs propos ne pouvaient donner lieu à une condamnation judiciaire en vertu de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, dont les actes inspirés par l’homophobie. Le Centre a donc décidé de ne pas entamer d’action en justice. Une situation similaire s’est présentée lorsque Mgr. Léonard a déclaré, au cours d’une émission de télévision, que le sida était « une forme de justice immanente ». Le Centre a adopté la même attitude que dans le cas présenté ci-avant, étant suivi cette fois par les organisations de défense du groupe concerné. Enfin, l’archevêque a également appelé les croyants divorcés à bien réfléchir avant de poser leur candidature à des postes tels que celui de directeur d’une école catholique ou de professeur de religion. Même s’il y a ici davantage matière à discussion, le Centre a également estimé qu’il ne s’agissait pas là d’incitation à la discrimination. Les choses auraient été assurément différentes s’il avait clairement incité les pouvoirs Néanmoins, dans sa réflexion, le Centre a été amené à prendre en considération le caractère répété des saillies [sic] de Mgr. Léonard à l’encontre des homosexuels. Mais il n’en a jamais conclu, jusqu’à présent, à une réelle intention d’inciter à la haine, la violence ou la discrimination ».

Sophie Minette et Louis-Léon Christians



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