Pour se marier, demander la main ?

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Modes de salutation, laïcité et citoyenneté :
obtenir la main comme condition formelle du mariage en Belgique ?

 

La presse rapporte en mai 2018 un nouveau cas de refus par un Echevin (de la ville de Malines) de célébrer un mariage pour des motifs non prévus par le Code civil.

Dans le contexte actuel de sensibilité accrue à l’égard des questions d’expression religieuse dans la société, certains gestes perçus jusqu’ici comme assez surprenants — mais en fin de compte relativement anecdotiques — peuvent désormais recevoir une résonnance notable et emporter des conséquences sérieuses pour ceux qui les adoptent.

Il en allait déjà ainsi de l’expérience relatée le 14 décembre 2016 par l’échevin bruxellois de l’Etat civil Alain Courtois (Mouvement Réformateur), au sujet de plusieurs cérémonies de mariage qu’il était amené à présider à l’Hôtel de Ville de Bruxelles, et durant lesquelles la future épouse a refusé de lui serrer la main. L’échevin précise que la raison avancée par les femmes concernées pour décliner cette poignée de main est « généralement » en lien avec « des motifs religieux ». Selon la RTBF, les couples en question sont d’ailleurs principalement de confession musulmane[1].

Cet épisode n’est pas sans rappeler celui, sensiblement similaire, dont a fait écho Sofie Bracke il y a quelques semaines dans les pages du Morgen, en sa qualité d’échevine de l’Etat civil de la ville de Gand[2]. Celle-ci s’est également offusquée du refus « démonstratif » d’un homme de lui serrer la main, lors d’une cérémonie de mariage. A l’explication donnée par l’intéressé (« Je ne serre pas la main des femmes, seulement celle de ma propre femme »), l’échevine s’est dite « offensée dans sa fonction d’échevine, dans sa féminité et dans son humanité ». A l’instar d’Alain Courtois, elle a rétorqué à celui-ci que « l’égalité entre hommes et femmes s’applique en Belgique » et que son comportement va à l’encontre de ce principe, ainsi que de celui de la neutralité de l’Etat.

L’analogie entre les deux hôtels de ville s’arrête cependant ici. Là où Sofie Bracke s’est contentée d’« expédier » la cérémonie matrimoniale du couple en question, Alain Courtois a quant à lui tout simplement refusé d’entamer la célébration de chacun des huit mariages et de prononcer l’union de ces couples.

Des conceptions culturelles différentes relatives aux signes usuels de « civilités » peuvent-elles conduire à des sanctions proprement juridiques, plutôt qu’à des débats sur les usages variés de la politesse ? Les guides de « savoir vivre », bien connus des touristes, ont-ils acquis rang de loi ?

Il convient d’apporter un certain éclairage légal.

Pas de poignée de main, pas de mariage / d’emploi / d’école ?

En premier lieu, l’on pourrait s’interroger sur la place de cette salutation « de main à main » parmi les conditions formelles de conclusion du mariage. La poignée de main pourrait-elle – ou devrait-elle – figurer expressément à côté de la déclaration à l’officier d’état civil, la publicité de la cérémonie et la présence de témoins, comme formalité nécessaire à tout mariage civil ? En cette matière, l’on mentionnera le rappel d’Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances) suite aux propos d’Alain Courtois, qui indique que « dans tous les cas de figure, l’officier de l’Etat civil ne peut pas refuser de procéder à un mariage civil si les conditions prévues par le Code civil sont remplies, sauf en cas de suspicion de mariage forcé ou de mariage de complaisance ».

Sans prétendre ici remonter aux sources sociologiques voire anthropologiques de la symbolique entourant la poignée de main, l’on notera en tout état de cause que ce « langage du corps » peut tout à la fois être vu comme s’inscrivant dans une tradition culturelle ancestrale (l’on songera, en droit féodal, au serrement des mains lors des serments synallagmatiques de fidélité entre le seigneur et son vassal[3]), sans pour autant constituer une marque universelle et intemporelle de salutation[4].

L’on se souviendra qu’en 2013, déjà, la Ville de Bruxelles avait fait face à un cas similaire : un employé musulman ayant notamment refusé de serrer la main de son échevine de tutelle, Karine Lalieux (PS) dans ce cas-ci, avait été licencié sur base de son attitude jugée extrémiste[5].

Ces épisodes belges ne sont pas sans rappeler une autre affaire récente, suisse cette fois, au sujet du refus de deux écoliers musulmans de serrer la main de leur professeure de collège. La dispense accordée dans un premier temps par le collège avait, suite au tollé général qu’elle avait provoqué, finalement été annulée par le gouvernement du canton de Bâle[6], ce dernier précisant que « l’intérêt public concernant l’égalité entre femme et homme, aussi bien que l’intégration, l’emportent sur la liberté de croyance des élèves ». Les parents récalcitrants encourent désormais des sanctions pouvant atteindre 5000 francs suisses.

Une autre question est celle du caractère discriminatoire de ce refus de mariage par l’échevin bruxellois. Tout en indiquant n’avoir encore jamais reçu de plainte parce qu’une femme a été obligée de serrer la main d’un homme, Unia précise par ailleurs que si un tel refus de mariage était véritablement motivé sur base des convictions religieuses des fiancés – ce qui reste à prouver en l’espèce –, l’officier public tomberait sous le coup des dispositions pénales en matière de non-discrimination.[7]

Objection de conscience …de l’officier d’état civil

Dans cette perspective, un parallèle a été établi avec d’autres cas d’objection de certains officiers d’état civil, par exemple, au fait de célébrer l’union de personnes de même sexe. A l’inverse d’autres situations à l’égard desquelles un droit à l’objection de conscience est reconnu (comme pour les lois « éthiques » sur l’avortement et l’euthanasie), la loi belge ouvrant le mariage aux couples homosexuels n’a pas laissé la possibilité aux officiers d’état civil de s’abstenir de célébrer le mariage de ces couples en raison de leurs convictions. Cette impossibilité de dérogation s’explique certainement en premier lieu par le fait que, ici plus qu’ailleurs, la concrétisation d’une telle objection de conscience serait jugée comme portant atteinte de manière démesurée aux droits d’autrui, à savoir le droit à la vie privée et familiale du couple homosexuel concerné, ainsi qu’au droit à la non-discrimination. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’est prononcée la Cour européenne des droits de l’homme en 2013 dans l’arrêt Eweida et autres contre Royaume-Uni[8]. Parmi les quatre requêtes concernées par cet arrêt, l’une d’entre elles visait la situation de Mme Ladele, fonctionnaire municipale dans la banlieue de Londres qui s’était vue licenciée sur base de son refus de célébrer l’union de couples homosexuels. La Cour a jugé que l’atteinte à la liberté de religion de Mme Ladele était légitime et proportionnée, au regard de la protection à accorder au droit de ces couples à se marier et au respect de leur orientation sexuelle[9].

La poignée de main, jauge d’une intégration réussie ?

En filigrane, l’on perçoit en réalité qu’au-delà des conditions juridiques formelles et explicites, c’est la démonstration de la « bonne intégration » et du partage des valeurs fondamentales de notre société par l’individu concerné qui est mise en avant à travers ce type d’épisodes. Si apporter la preuve effective de tels critères n’est pas toujours sans difficulté en pratique, les autorités publiques ont tenté d’inscrire cette exigence dans les procédures en matière d’acquisition de la nationalité et pour les étrangers primo-arrivants sur le territoire belge. Dans ces deux hypothèses, la poursuite d’un cours d’intégration peut être requise sous certaines circonstances. Outre l’apprentissage d’une des langues nationales, parmi les notions abordées dans le cadre de ces formations, l’on retrouve la non-discrimination, l’égalité des chances et …l’égalité homme-femme. Il reste que ces cours d’intégration, lié à la sollicitation de la nationalité belge, ne sont pas encore prévus comme conditions de l’accès au mariage civil…

Leopold Vanbellingen

Chercheur-doctorant à la Chaire UCL Droit & Religions
Note publiée initialement en janvier 2017

[1] « Refus de serrer la main de l’échevin: huit mariages annulés à la Ville de Bruxelles », RTBF info, 14 novembre 2016.

[2] S. Bracke, « Allemaal samen moeten we aangeven dat er democratische vrijheden zijn waarover we niet onderhandelen », De Morgen, 15 octobre 2016.

[3] Sur ce sujet, voy. par exemple H. Débax, « Le serrement des mains. Éléments pour une analyse du rituel des serments féodaux en Languedoc et en Provence (XIe-XIIe siècles) », Le Moyen Age, 1/2007 (Tome CXIII), pp. 9-23.

[4] En ce sens, voy. H. Roodenburg, « The ‘hand of the friendship’ : shaking hands and other gestures in the Dutch Republic », in J. Bremmer et H. Roodenburg (eds), A cultural history of gesture from antiquity to the present day, Cambridge, 1991, pp. 152-189.

[5] « Bruxelles-ville: un employé musulman jugé trop extrémiste licencié », RTBF Info, 13 mai 2013.

[6] « Face à l’islam radical, la poignée de main obligatoire », Le Temps, 25 mai 2016.

[7] « Alain Courtois a déjà refusé 8 mariages car la future épouse refusait de lui serrer la main », La Libre Belgique, 14 décembre 2016.

[8] Cour eur. D.H., Eweida et autres c. Royaume-Uni, 15 janvier 2013.

[9] Ibid., § 105-106.

 

Pour aller plus loin

 



L’autonomie religieuse de l’enfant

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Au moment où le législateur reconnaît à l’enfant souffrant en phase terminale le droit de demander une euthanasie, il en soumet l’exercice à l’accord des parents. Le Parlement a indiqué combien rares seraient les cas qui donneraient lieu à l’application de cette loi. En revanche, la question de l’autonomie des mineurs se pose quotidiennement dans les secteurs les plus divers de sa vie. Si l’incapacité juridique du mineur est la règle de base en droit des contrats, bien des options personnelles vont poser des questions plus délicates d’articulation avec l’exercice de l’autorité parentale. Il en va ainsi de la liberté de conscience de l’enfant et de son éducation philosophique ou religieuse.  A la différence de droits étrangers qui fixent législativement une majorité spéciale (souvent 14 ans) pour le droit de choisir sa propre religion, le droit belge ne fixe pas une telle règle formelle, sauf pour le choix des funérailles. Il appartient à la jurisprudence de résoudre les éventuels contentieux entre l’enfant et ses parents, au regard du meilleur intérêt de l’enfant.

La formule ambigüe de l’art. 14 de la Convention ONU sur les droits de l’enfant confirme à sa façon la difficulté de la tâche :

« Art. 14  1. Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
2. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.
3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. « 

On inaugure ici un nouveau type de notice, qui vise à proposer une bibliographie sélective sur des thématiques choisies.

Jancy Nounckele

Collaboratrice à la chaire de droit des religions

 

Pistes bibliographiques

Droit belge

  • MALLIEN, M. Le contentieux judiciaire parental à propos de l’éducation de l’enfant. Hiérarchie et inventaire des principaux critères d’appréciation retenus par les juges, Bruxelles, Larcier, 2016, sp. « La religion de l’enfant », pp. 611-686.
  • COURTIN, C., « La religion de l’enfant en cas de séparation des parents », AJ Famille, janvier 2010, p. 29.
  • MILLARD, E., « Le droit de la famille «revisité». La garde des enfants et la discrimination en matière de religion (arrêt Palau-Martinez du 16 décembre 2003) », in Paul Tavernier (sous la direction de), La France et la Cour européenne des droits de l’Homme. La jurisprudence en 2003, Bruxelles, Bruylant, 2005, 208 p., coll. du CREDHO n° 7.
  • BIHAIN, L., « La liberté de conscience et de religion du jeune », in J. BEAUFAYS, V. TRUILLET (dir), L’enfant, avenir des droits de l’homme, Liège, Faculté de droit, 1996, pp. 45-61.
  • PIGEAUD, O., « Protestantisme et religion de l’enfant », L’année canonique, 1994, pp. 227-233.
  • BIHAIN, L., « La liberté de pensée, de conscience de religion des enfants », J.D.J., 1992, n°117, pp. 2-4.

Droit comparé

  • PRELOT, P.H., « La protection du droit à la liberté religieuse de l’enfant dans l’enseignement public et dans l’enseignement privé », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • PAUTI, Ch., « La liberté religieuse de l’enfant en droit italien », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • ATLAN, G., « Le statut juridique de l’enfant dans la Loi juive », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • BERNARD, G., « La liberté religieuse de l’enfant pour le catholicisme », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • OBADIA, L., « Liberté et religion, liberté de religion chez l’enfant en contexte bouddhiste : regards croisés entre l’Asie et l’Europe », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  •  DACCACHE, S., « Quelle liberté religieuse de l’enfant dans la religion musulmane ? », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • CYNIDES, E., « Cours de religion à l’école ; et si l’on se préoccupait de l’intérêt de l’enfant ? », Journal Indépendant et Militant, 4 mai 2010. http://www.lejim.info/spip/spip.php?article111
  • TOSCER-ANGOT, S., Les enfants de Luther, Marx et Mahomet, Religion et politique en Allemagne, paru le 08 Mars 2012.
  • LALIBERTE, J., La liberté de religion et les intérêts de l’enfant au Canada
  • SARIS, A. et DAOUST, S., « La polygamie, une pratique préjudiciable en soi pour les enfants ? Impacts en droit pénal, en droit civil et en protection de la jeunesse canadiens », à paraître dans le numéro thématique sur la polygamie au Canada de l’Annuaire Droit et Religions de l’hiver 2013.
  • LALIBERTE, J., La liberté de religion et les intérêts de l’enfant au Canada, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2004-12, publié 2005-06.
  • Inédit, « La religion de l’enfant : de l’abstrait au concret », RTD Civ., 9 septembre 2008 p.666,
  • LANDHEER-CIESLAK, Ch. et SARIS, A., La réception de la norme religieuse par les juges de droit civil français et québécois: étude du contentieux concernant le choix de la religion, l’éducation et la pratique religieuse des enfants, 2003, p.671.
  • NKOT, P.F., « La liberté de religion de l’enfant au Cameroun et l’instrumentalisation politique du droit international », in KOUBI, G. (dir.) Religion, pouvoir et liberté, in Droit et Cultures, n°42, 2001/2.
  • LUGUET, E., La religion de l’enfant, Mémoire dea, Limoges, 2000, 138.
  • COMBARNOUS, M., « L’enfant, l’école et la religion », in Le Conseil d’Etat et la liberté religieuse : deux siècles d’histoire, n° spécial de la revue administrative, 1999, pp. 66-78.
  • BREILLAT, D., « La religion de l’enfant en France », in Werner, O., et al., eds. Brucken fur die Rechtsvergleichung: Festschrift fur Hans G. Leser zum 70, 1998, pp. 429-449.
  • BREILLAT, D., « La religion de l’enfant en droit public français : les incidences de la convention relative aux droits de l’enfant », L’année canonique, 1994, pp. 159-174.
  • RAYMOND, G., « La religion de l’enfant en droit privé français (les incidences de la convention internationale des droits de l’enfant) », L’année canonique, 1994, pp. 137-153.
  • MEYER-SCHWAB, C., Le choix de la religion de l’enfant, thése multigr., Université de Paris, 1967, 230.
  • BARBIER, P., « Incidence de la religion du mineur sur les mesures dites d »assistances éducatives » que peut prendre le juge des enfants », Gaz. Pal., 1962, II, Doctr., p. 40.
  • BARBIER, P., « L’enfant, la religion et le droit », Gaz. Pal., 1960, I, p. 73.
  • BARBIER, P., « La religion de l’enfant et l’exercice de la puissance paternelle », Gaz. Pal., 1957, II, Doctr., pp. 57-59.

 

Droit international

  • PUBERT, L., « La liberté religieuse de l’enfant dans les textes internationaux », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • GONZALEZ, G., « Les droits de l’enfant à la liberté de religion et la Convention européenne des droits de l’homme », Société, Droit & Religion 3, juin 2013.
  • FENAIN–BETRENCOURT A.-G., « L’enfant simplement conçu dans les textes patristiques », L’annuaire droit et religions, volume6, 2011-2012, pp. 15-27.
  • LANGLAUDE, S., « La liberté religieuse de l’enfant, l’éducation religieuse et la prévention de la contrainte dans le droit international et le droit anglais », L’annuaire droit et religions, volume 6, 2011-2012, pp. 643-663.
  • DURAND, J.P., « La religion de l’enfant en droit canonique. Réflexion à la suite de l’adhésion du Saint-Siège à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant », L’année canonique, 1994, pp. 193-221.
  • FULCHIRON, H., « Le problème de la religion de l’enfant au lendemain de la Convention internationale des droits de l’enfant », DEF, 1992/2, p. 20.
  • BREDIN, J.D., La religion et l’enfant, D., 1969, p. 76.


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