Polygamie(s) et Constitution 14 juin
Après le décès de son mari de nationalité marocaine, une veuve belgo-marocaine apprend qu’en vertu de la Convention belgo-marocaine du 24 juin 1968, elle doit partager de moitié sa pension de survie avec une autre veuve, laissée au Maroc par leur commun mari marocain à l’issue d’un second mariage. La Cour du travail d’Anvers interroge la Cour constitutionnelle de Belgique sur la discrimination qui frapperait ainsi les femmes belges, selon qu’elles auraient ou non un mari marocain polygame. Pour répondre négativement à la question dans un arrêt du 4 juin 2009, la Cour tire son principal argument de l’existence en droit interne belge d’autres hypothèses de partage des pensions de survie entre plusieurs veuves : celles qui sont liées à des remariages après divorce, ou après annulation avec bénéfice de putativité.
« B.7.2. Le fait qu’en l’occurrence, une des veuves a également acquis la nationalité belge ne prive pas la mesure de sa justification. Dans le droit interne, il existe aussi des situations où il est tenu compte de plusieurs bénéficiaires d’une pension de survie. Ainsi dans le régime de pension du secteur public, un survivant divorcé et le conjoint survivant peuvent, chacun pour une partie, prétendre à la pension de survie, proportionnellement aux périodes respectives de leur mariage avec la personne qui ouvre le droit à la pension. Dans le régime des travailleurs salariés, les personnes divorcées n’ont pas droit à une pension de survie. Lorsqu’elles ont droit à une pension de retraite, celle-ci est calculée au prorata de la durée du mariage. De même, il découle de l’article 201 du Code civil qu’un mariage déclaré nul en Belgique produit néanmoins des effets à l’égard du ou des conjoints de bonne foi, de sorte que, dans ce contexte du mariage putatif aussi, il doit être tenu compte, le cas échéant, de plusieurs prétentions à une pension de survie. »
Si la littérature compare souvent les formes de polygamies « successives » issues du divorce à la polygamie simultanée issue de l’Islam, il n’est pas fréquent que la jurisprudence souligne à ce point les effets polygamiques du divorce suivi de remariage. Il est vrai que considérées de façon « posthumes », après le décès du mari commun, la différence entre les deux hypothèses s’atténue singulièrement.
Il reste que l’arrêt prend soin de noter que le partage des droits ne se fait pas en droit belge entre deux « veuves » mais « entre ‘un survivant divorcé’ et ‘le’ ‘conjoint survivant’. Cette précision dans les qualifications ne remet toutefois pas en cause aux yeux de la Cour l’équivalence des régimes de partage des pensions de survie entre pluralité de survivants.
La polygamie reste par ailleurs confrontée à un renforcement récent de l’exception d’ordre public international, par la Cour de cassation de Belgique (Cass. (3e ch.), 3 décembre 2007, J.T.T., n° 997-3/2008, p. 37; HENRICOT, A., « Les effets du mariage polygamique sur l’octroi de droits sociaux », R.T.D.F., 2008, 82). La Cour constitutionnelle prend soin de préciser qu’elle n’est pas compétente « pour exercer un contrôle direct au regard de l’ordre public international belge » (B.9.3.). Jusqu’où toutefois l’exception légale de l’ordre public international ne pourrait-elle être soumise à un contrôle de constitutionnalité propre ? (Voy. déjà, J.-Y. Carlier, « La polygamie devant la Cour d’arbitrage », Le journal du juriste, 24 mai 2005, à propos d’un arrêt de la Cour d’arbitrage 84/2005 du 4 mai 2005). Une future question préjudicielle, mieux formulée, permettra peut-être à la Cour de poursuivre sa réflexion…