Rite religieux versus mariage blanc

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Mariage abstrait, mariage concret ?

Il est fréquent que, parmi diverses preuves, les juges prennent en compte l’existence d’une cérémonie religieuse pour se convaincre de la réalité de l’engagement d’un couple de croyants soupçonnés de simuler un mariage (la figure du « mariage blanc »). La substance symbolique du mariage civil s’affaissant progressivement, c’est à un autre ordre de réalité que l’Etat lui-même en vient à se référer pour évaluer la sincérité des conjoints.

Dans un arrêt du 15 mai 2009, récemment publié, la Cour d’appel de Mons a été amenée à préciser certains aspects de cette prise en compte d’un rite religieux, dans un cas original où ce rite avait précédé la demande de mariage civil.

Soupçonnant pour diverses raisons un cas de mariage blanc,  l’Officier d’état civil avait décidé de surseoir à la célébration civile. Devant les juges, le rite religieux est discuté à l’appui de deux positions opposées. Pour les candidats au mariage, le rite religieux et la présence d’un imam à leurs fiançailles, est une preuve de leur sincérité. Pour la Police et le Ministère public, le rite religieux doit être considéré comme un véritable mariage religieux, dont l’antériorité à la cérémonie civile témoigne cette fois d’un mépris pour l’ordre public belge (et en particulier l’art. 267 du code pénal qui sanctionne les ministres des cultes de toute « bénédiction nuptiale »  antérieure à la cérémonie civile).

Contrairement aux juges d’instance, la Cour estime que l’incertitude qui plane sur qualification exacte du rite religieux n’entame pas la conviction que ce rite religieux suffit en tout cas contribuer à établir la sincérité des candidats :

« L’intimé fait grand cas du fait que les appelants après avoir, dans un premier temps, soutenu qu’ils avaient fêté leurs fiançailles en présence d’un imam (fathia), à une date imprécise, ont affirmé, lors de leurs auditions par la police d’Anderlecht, qu’il s’agissait en réalité d’un mariage religieux ;

L’intimé épingle ainsi, tant l’incohérence des propos des appelants, que le fait que leur mariage civil projeté aurait été contraire à l’ordre public belge, puisqu’il aurait été précédé d’un mariage religieux ;

D’une part, s’il faut noter que les appelants n’ont pas donné la date précise de cette festivité, ils ont, en revanche, été tout à fait concordants pour la situer à la fin du mois de mars 2004 ;

De plus, l’organisation de ces festivités de fiançailles accréditent plutôt le sérieux de leur engagement et de leur volonté de créer une communauté de vie durable ;

Quant à l’incohérence prêtée aux propos des appelants, elle semble plutôt à mettre sur le compte d’une incompréhension culturelle ;

Ce n’est pas parce que les appelants ont fêté leur engagement par le biais d’un rite, en présence d’un imam, qui s’apparente peut-être à une simple bénédiction non sacramentelle, qu’il faudrait automatiquement en déduire qu’il y allait d’un mariage religieux, au sens strict du terme ;

En tous les cas, la cour n’aperçoit pas les éléments qui permettraient de conclure, avec certitude, qu’il y allait d’un mariage religieux ;

A cet égard, la cour ne peut qu’épingler avec sévérité, les commentaires de l’inspecteur D. Y. de la police d’A. qui s’est permis de préciser qu’il était « attristé de constater qu’il y a un manque de respect de l’ordre public belge. Ainsi un mariage religieux est effectué avant le mariage civil. Ceci dans le but de justifier la cohabitation, comme le veut la religion. Il n’est nullement tenu compte de la loi belge et lorsque nous en faisons la remarque, nous avons l’impression que peu leur importe. Aucun sentiment de remords par rapport à la transgression de la loi ne transparait du regard, des gestes ou des paroles » ;

Ces propos de l’inspecteur qui a mené les auditions sont tout à fait déplacés, non seulement dans la mesure où, sur la base des déclarations des appelants, il est impossible de savoir s’il y a eu ou non un vrai mariage religieux, mais encore parce qu’ils démontrent, en son chef, un parti pris peu compatible avec la neutralité qu’il convient d’observer lors de telles auditions ;

Face à ces incertitudes, il n’y a pas lieu de parler d’une violation de l’ordre public belge par le fait qu’un mariage religieux aurait précédé un mariage civil ; (…) »

Le fait pour un juge de porter attention à un trait religieux appelle une grande prudence. En l’occurence, la question posée était limitée à la sincérité matrimoniale des candidats. Deux questions semblent confusément s’interpénétrer. Le test de sincérité pouvait-il être influencé par la violation ou non des prohibitions que l’article 267 fait peser sur d’autres personnes que les candidats, à savoir les ministres des cultes.  Et si oui, est-ce bien un « mariage religieux » plutôt que de « fiançailles » qui avait été célébré en présence d’un imam ?

Sur la première question, on ne voit pas comment une infraction à charge d’un ministre du culte pourrait compromettre le test de sincérité de candidats au mariage civil. A défaut de distinguer ces éléments, ce n’est plus la volonté matrimoniale qui serait examinée, mais la croyance en la priorité du mariage civil dans l’engagement matrimonial. Telle n’est pas à l’heure actuelle la définition civile de la simulation de mariage.

Sur la seconde question, jusqu’où un juge civil peut-il procéder à un départage rituel entre fiançailles et mariage religieux ? Doit-il faire référence aux normes du corpus religieux invoqué devant lui ? Doit-il se limiter à apprécier l’inteprétation subjective ou contextuelle des parties ? C’est ce que semble, à juste titre,  faire la Cour en renvoyant les incertitudes en la matière à une « incompréhension culturelle » des candidats. En revanche, lorsque la Cour fait l’hypothèse que le rite d’engagement, en présence d’un imam, « s’apparente peut-être à une simple bénédiction non sacramentelle », on doutera de la fermeté de son interprétation de l’article 267 du code pénal, et on s’interrogera sur l’interprétation implicite qu’elle donne à l’expression « sacramentelle », pour l’appliquer à l’Islam. 

Sur ces deux questions, les « incertitudes » que la Cour invoque semblent en réalité concerner tout autant le droit que le fait… On y verra tout aussi bien le déphasage progressif des conceptions formelles du Code civil face à l’émergence de recompositions rituelles et d’usages nouveaux dans l’Islam « européen » (cfr déjà les observations de Ferrié J.-N. et Radi S. 1990, « Convenance sociale et vie privée dans la société musulmane immigrée », in B. Étienne (ed.), L’Islam en France, Paris, CNRS, p. 229- 234 (extrait de l’Annuaire de l’Afrique du Nord, tome XXVII).

Il reste à dire qu’en l’espèce, c’est un tout autre élément de fait qui semble avoir finalement emporter la conviction de la Cour quant à la sincérité des candidats : à savoir, leur engagement assidu dans un long processus de procréation médicalement assistée. Autre vaste question sur les implicites d’une définition proprement civile du mariage…

Louis-Leon Christians



Polygamie(s) et Constitution

Après le décès de son mari de nationalité marocaine, une veuve belgo-marocaine apprend qu’en vertu de la Convention belgo-marocaine du 24 juin 1968, elle doit partager de moitié sa pension de survie avec une autre veuve, laissée au Maroc par leur commun mari marocain à l’issue d’un second mariage. La Cour du travail d’Anvers interroge la Cour constitutionnelle de Belgique sur la discrimination qui frapperait ainsi les femmes belges, selon qu’elles auraient ou non un mari marocain polygame. Pour répondre négativement à la question dans un arrêt du 4 juin 2009, la Cour tire son principal argument de l’existence en droit interne belge d’autres hypothèses de partage des pensions de survie entre plusieurs veuves : celles qui sont liées à des remariages après divorce, ou après annulation avec bénéfice de putativité.

« B.7.2. Le fait qu’en l’occurrence, une des veuves a également acquis la nationalité belge ne prive pas la mesure de sa justification. Dans le droit interne, il existe aussi des situations où il est tenu compte de plusieurs bénéficiaires d’une pension de survie. Ainsi dans le régime de pension du secteur public, un survivant divorcé et le conjoint survivant peuvent, chacun pour une partie, prétendre à la pension de survie, proportionnellement aux périodes respectives de leur mariage avec la personne qui ouvre le droit à la pension. Dans le régime des travailleurs salariés, les personnes divorcées n’ont pas droit à une pension de survie. Lorsqu’elles ont droit à une pension de retraite, celle-ci est calculée au prorata de la durée du mariage. De même, il découle de l’article 201 du Code civil qu’un mariage déclaré nul en Belgique produit néanmoins des effets à l’égard du ou des conjoints de bonne foi, de sorte que, dans ce contexte du mariage putatif aussi, il doit être tenu compte, le cas échéant, de plusieurs prétentions à une pension de survie. »

Si la littérature compare souvent les formes de polygamies « successives » issues du divorce à la polygamie simultanée issue de l’Islam, il n’est pas fréquent que la jurisprudence souligne à ce point les effets polygamiques du divorce suivi de remariage.  Il est vrai que considérées de façon « posthumes », après le décès du mari commun, la différence entre les deux hypothèses s’atténue singulièrement.

Il reste que l’arrêt prend soin de noter que le partage des droits ne se fait pas en droit belge entre deux « veuves » mais « entre ‘un survivant divorcé’ et ‘le’ ‘conjoint survivant’. Cette précision dans les qualifications ne remet toutefois pas en cause aux yeux de la Cour l’équivalence des régimes de partage des pensions de survie entre pluralité de survivants.

La polygamie reste par ailleurs confrontée à un renforcement récent de l’exception d’ordre public international, par la Cour de cassation de Belgique (Cass. (3e ch.), 3 décembre 2007, J.T.T., n° 997-3/2008, p. 37; HENRICOT, A., « Les effets du mariage polygamique sur l’octroi de droits sociaux », R.T.D.F., 2008, 82). La Cour constitutionnelle prend soin de préciser qu’elle n’est pas compétente « pour exercer un contrôle direct au regard de l’ordre public international belge » (B.9.3.). Jusqu’où toutefois l’exception légale de l’ordre public international ne pourrait-elle être soumise à un contrôle de constitutionnalité propre ? (Voy. déjà, J.-Y. Carlier, « La polygamie devant la Cour d’arbitrage », Le journal du juriste, 24 mai 2005, à propos d’un arrêt de la Cour d’arbitrage 84/2005 du 4 mai 2005). Une  future question préjudicielle, mieux formulée, permettra peut-être à la Cour de poursuivre sa réflexion…



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