Ouverture à révision de l’article 21 al.1 de la Constitution belge

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Autonomie des cultes et des philosophies non confessionnelles dans la Constitution belge

La Déclaration de révision de la Constitution publiée au Moniteur belge le 27 mai 2024 vise entre autres l’article 21 « en vue d’y ajouter, après l’alinéa 1er, un alinéa afin d’étendre la protection accordée aux ministres des cultes aux délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle, visés à l’article 181, § 2 ».

La doctrine classique a toujours analysé l’article 21 de la Constitution comme portant le principe général de l’autonomie des cultes et assimilés, bénéficiant à l’ensemble des dénominations, reconnues ou non. Le Congrès national de 1830 n’avait pas réussi à formuler les termes généraux d’un tel principe. Il s’est finalement borné à en énoncer certains exemples que les cours et tribunaux ont interprété, par métonymie, comme garantie générale d’autonomie : « L’Etat n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. / Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu ».

Un des enjeux récurrents d’une interprétation large de cette disposition a notamment porté sur le régime juridique de la révocation des ministres des cultes. Les recours introduits par des clercs révoqués n’ont pas manqué, dès le XIXe siècle, mais n’ont pas déstabilisé le principe d’autonomie : les décisions d’écartement prises par les autorités religieuses n’ont pas été remises en cause par les tribunaux, dès lors qu’aucun arbitraire manifeste n’était établi. C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation, chambres réunies, en 1994 et 1999 et, indirectement, la Cour constitutionnelle en 2017[1]. Le statut juridique sui generis reconnu au clergé catholique rendait peut-être assez banale cette approche, mais elle a été étendue à d’autres cultes au sein desquels les fonctions cultuelles de leurs ministres sont sous contrat, voire sous contrat de travail. Par ailleurs, à défaut de contrat, certains tribunaux ont admis pouvoir examiner les procédures religieuses d’écartement en termes de responsabilité délictuelle, et à défaut d’injonction en nature, des dédommagements par équivalent, y compris comme perte de chance en cas de lacune des droits de la défense. Très récemment, la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 19 décembre 2023 a toutefois énoncé que « Les droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Constitution priment sur les dispositions pénales nationales. Il appartient aux tribunaux d’interpréter et d’appliquer la Convention et la Constitution, sans préjudice de la compétence de la Cour constitutionnelle. Il s’ensuit qu’il n’est pas exclu que les droits fondamentaux consacrés par les articles 9, 10 et 11 de la Convention européenne et l’article 19 de la Constitution empêchent, même lorsque les éléments constitutifs des infractions d’incitation de la loi anti-discrimination sont réunis, l’application de ces infractions à un comportement concret inspiré par une règle de foi ».

Quatre questions

Comment comprendre l’ouverture à révision de l’article 21, al.1, telle que formulée ? Quatre questions semblent ouvertes. D’une part, la nécessité d’une telle révision formelle n’a jamais été visée par la doctrine dès lors que cultes et philosophies non confessionnelles ont toujours été assimilés dans leur garantie d’autonomie, comme l’impose d’ailleurs aujourd’hui la Convention européenne des droits de l’homme. On notera qu’une telle extension implicite a déjà été confirmée par la Cour constitutionnelle, quand il s’est agi il y a quelques années d’interpréter l’article 24 de la Constitution (relatif aux cours de religions et de morale) pour les considérer tous ces cours, morale comme religion, liés aux dénominations reconnues aux al. 1 et 2 de l’art. 181.

D’autre part, la proposition de restreindre la garantie d’autonomie des organisations philosophiques aux seules organisations « reconnues », semble cependant en porte-à-faux avec le principe de l’article 21 qui, quant à lui, n’est précisément pas limité par une condition de reconnaissance des dénominations. Certes, c’est au lendemain de la loi du 21 juin 2002 ‘relative au Conseil central des Communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique, aux délégués et aux établissements chargés de la gestion des intérêts matériels et financiers des communautés philosophiques non confessionnelles reconnues’, que l’art. 21 al.1 a été ouvert à révision pour la première fois mais ceci ne justifie nullement de restreindre la généralité constitutionnelle du principe d’autonomie.

Troisièmement, la motivation proposée (« d’étendre la protection accordée aux ministres des cultes aux délégués des organisations… ») semble, à ce stade, potentiellement paradoxale, dès lors que l’autonomie garantie jusqu’à présent l’est avant tout aux institutions convictionnelles bien davantage qu’à leurs agents. En atteste précisément la jurisprudence limitant très fortement le contrôle judiciaire des décisions de révocation des agents convictionnels, au titre précisément de l’art. 21 de la Constitution et de l’article 9 de la Convention européenne. Il reste que les délégués laïques sont placés actuellement sous régime de contrat de travail et qu’un futur débat parlementaire pourrait contribuer à clarifier l’incidence de l’article 21 de la Constitution sur le régime des licenciements contractuels de ces délégués, comme d’ailleurs de tous les ministres des cultes qui seraient sous contrat, voire ceux qui sont sous statut sui generis.

Enfin, plus généralement, insérer un nouvel alinéa à l’article 21 plutôt que d’étendre l’alinéa 1 aux délégués philosophiques (comme c’est le cas implicitement aujourd’hui), reviendrait aussi à rouvrir le débat du Congrès national sur la formulation idéale d’un principe d’autonomie. L’exercice est complexe comme l’Histoire l’a montré. Le cas échéant, il conviendrait de justifier que l’autonomie des cultes et des philosophies, et la « protection » de leurs agents respectifs, ne soient pas formulées de façon identique, ce qui serait un défi très particulier au regard des garanties internationales. Et une formulation en miroir, à l’instar de celle de l’article 181, impliquerait en tout cas, comme on l’a mentionné, de ne pas restreindre le nouvel alinéa aux seules philosophies reconnues.

Pourquoi n’ouvrir à révision que le seul art. 21 al.1 ? Symétrie ou asymétrie aléatoires du droit belge entre cultes et philosophies ?

On  notera que l’ouverture à révision ne concerne que l’alinéa 1 de l’article 21 et non son alinéa 2 visant quant à lui l’antériorité du mariage civil sur la bénédiction nuptiale. Ceci pourrait étonner dès lors qu’au même moment le législateur pénal élargissait la formule constitutionnelle pour sanctionner dans le nouveau Code pénal aussi bien les rites philosophiques que religieux de mariages antérieurs. L’art. 642 nouveau érige en effet en infraction « La célébration du mariage religieux ou du mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil [ce qui] consiste à, pour un ministre des cultes ou pour un délégué qui offre une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle, célébrer, délibérément, le mariage religieux ou le mariage non-confessionnel avant la célébration du mariage civil ».

Plus largement, les articles 19 et 20 de la Constitution demeurent également absents d’une telle proposition d’extension des garanties religieuses aux convictions et rites philosophiques. En particulier, la prohibition de toute contrainte en faveur ou à l’encontre d’un rite philosophique n’a pas, quant à elle, été actée par le nouveau code pénal, dont l’article 354 se borne à continuer à protéger le seul exercice du culte. En revanche, l’infraction d’outrage à la personne du ministre du culte se voit étendue par l’article 247 nouveau à tout « officiant lors des cérémonies d’une obédience philosophique non confessionnelle ».

Conclusion : la Convention européenne des droits de l’homme tient lieu de révision constitutionnelle depuis longtemps

Pour conclure, l’enjeu premier qui semble apparaître tient davantage à la cohérence du propos constitutionnel entre ces diverses dispositions, qu’à la seule disposition de l’article 21, al.1. Dès lors que jurisprudence et doctrine unanimes ont depuis longtemps assuré la mise sur le même pied des garanties de liberté de religion et de conviction philosophique, comme l’exige d’ailleurs la Convention européenne des droits de l’homme, on ne comprendra pas cette focalisation retenue par la déclaration de révision 2024. Ce n’est donc pas cet alignement qui semble en soi nécessiter une intervention sur la Constitution, et encore moins une intervention qui ne serait que partielle, se focalisant sur une disposition et négligeant les autres. Certes, parmi les dispositions relatives aux religions et philosophies, seuls les articles 24 et 181 ont été modifiés depuis 1831. Les articles 19, 20, 21 ne l’ont pas été et appelleraient sans doute une formulation plus contemporaine. Mais celle-ci n’est-elle pas déjà assurée par l’art. 9 de la Convention européenne ? Sur ces libertés de base, aucun Parlement constituant ne pourra prétendre faire mieux en l’état actuel du droit européen.

Louis-Leon Christians
Professeur ordinaire UCLouvain
Directeur de la Chaire Droit & Religions

 

 


[1] Par arrêt du 27 avril 2017 (n°45/2017), la Cour constitutionnelle de Belgique a confirmé, a contrario, ce principe d’autonomie en indiquant qu’il ne pouvait faiblir qu’à l’égard de fonctions « hybrides » comme le sont par exemples celles des professeurs de religion de l’enseignement public (et de leurs inspecteurs), en opposition aux fonctions cultuelles des ministres du culte.



Religions et congés de la magistrature : loi du 12 mai 2024

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Religions et congés de la magistrature : folklore ou faiblesses constitutionnelles de la loi du 12 mai 2024 ?

La loi du 12 mai 2024 portant statut social du magistrat fixe, parmi bien d’autres dispositions certes plus importantes, la liste des congés de circonstances admissibles pour les magistrats. L’article 20 de cette loi reprend une longue liste à la Prévert, assez usuelle pour la fonction publique. Cette liste frappera pourtant le lecteur de 2024 par son archaïsme, en particulier en matière religieuse et philosophique. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause ce type de congés, liés à l’importance des événements évoqués comme étapes de vie spirituelle ou philosophique, par ailleurs garantie par la Constitution, mais d’en observer l’inadéquation de la formulation.

Des congés de circonstances sont accordés pour « 10° l’ordination, l’entrée au couvent ou tout autre événement similaire d’un culte reconnu d’un enfant du magistrat ou de son/sa conjoint(e): un jour ouvrable; 11° la communion solennelle ou tout autre événement similaire d’un culte reconnu d’un enfant du magistrat ou de son/sa conjoint(e): un jour ouvrable; 12° la participation à la fête de la jeunesse laïque, d’un enfant du magistrat ou de son/sa conjoint(e): un jour ouvrable ».

Le Rapport sur la réforme de la législation sur les cultes et les organisations philosophiques non confessionnelles publié en 2010 par le Groupe de travail interuniversitaire instauré par Arrêté Royal du 13 mai 2009 insistait sur la nécessité de toiletter l’ensemble de la législation et d’en assurer une mise en cohérence du lexique, tant les scories, les imprécisions et les variations de vocabulaire y sont aussi fréquentes que trompeuses (ou révélatrices). Un lecteur pressé pourrait certes n’y voir que détail ou folklore législatif. Un observateur plus attentif y découvrira une des clés d’interprétation du régime belge des cultes et philosophies : en l’occurrence une bipartition catho-laïque plus idéologique que sociologique. S’agirait-il alors de traces purement archéologiques ou d’une permanence généalogique qui structurerait encore le système juridique ? Le dossier de la non-reconnaissance du bouddhisme en mai 2024 semble faire pencher vers la deuxième hypothèse… Mais revenons aux formules du texte.

Concernant les cultes, le vocabulaire relève d’un lexique historique chrétien, élargi par un parallélisme bancal à « tout autre événement similaire » pour autant qu’il relève d’un culte « reconnu ». Cette dernière restriction n’était pas explicitement appliquée à l’ordination, à l’entrée au couvent ou à la communion solennelle. Ordination, entrée au couvent, communion solennelle sont-elles nécessairement catholiques, ou à l’inverse toujours visées quel que soit le culte, même non reconnu, comme certaines dissidences catholiques ou autres ?

Les philosophies non confessionnelles se voient quant à elles visées par la seule référence à la « fête de la jeunesse laïque », dont légalement on semble faire l’équivalent d’une « communion solennelle » ? Sans entrer dans une comparaison sociologique des rituels chrétiens et laïque, on se borne à observer trois traits significatifs de cette référence. Le premier tient à l’absence de toute limitation au caractère « reconnu » du rite en question. Pas plus que la communion solennelle, la fête de la jeunesse laïque n’est limitée par une restriction administrative ou législative. Deuxièmement, alors qu’aucune dénomination de culte spécifique n’est mentionnée pour les événements religieux (tantôt implicitement catholiques, tantôt catégoriellement « reconnus »), il en va différemment pour la « Laïcité » dont la dénomination, est mentionnée, certes en dehors de toute reconnaissance. Enfin, troisièmement, alors que la communion solennelle se voit étendue à « tout autre événement similaire d’un culte reconnu », il n’en va pas de même de la fête de la jeunesse laïque, qui ne se voit étendue par analogie à aucun autre rite philosophique, reconnu ou non.

Le pluralisme des convictions semble demeurer assez assymétrique en droit belge entre un régime des cultes de nature oligopolistique et un régime des philosophies non confessionnelles qui peine à quitter une conception monopolistique. La reconnaissance de la laïcité en 2002, comme « une » philosophie non confessionnelle, ne semble pas avoir percolé jusqu’au législateur de 2024 (1). L’inachèvement de la reconnaissance du bouddhisme en 2024 est de cette façon un défi de moins pour les congés de la magistrature…  quelques temps encore.

Louis-Léon Christians
Professeur ordinaire UCLouvain
Directeur de la Chaire Droit & Religions

(1) D’autres législations récentes ont au contraire révisé leur vocabulaire et l’ont mis en conformité avec la légisprudence du Conseil d’Etat. Voy. ainsi la loi du 31 juillet 2023 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme IV (M.B. 9 août 2023), art. 8, « Dans l’article 1er bis de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, inséré par la loi du 26 juin 1992 et remplacé par la loi du 17 mai 2007, les mots “aux ministres des cultes catholique, protestant, orthodoxe, anglican, israélite, aux imams du culte islamique, aux délégués du Conseil central laïque, aux aumôniers et aux conseillers moraux;” sont remplacés par les mots “aux ministres des cultes reconnus, aux délégués des organisations philosophiques non confessionnelles reconnues, aux aumôniers et aux conseillers moraux;”.



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